Chapitre IX
Mes pieds m'ayant guidé jusqu'à l'entrepôt, je relève les yeux vers le haut. Il doit bien contenir une dizaine d'étage soit plus de trente mètres de haut. Hier, j'ai descendu trois étages alors pour retrouver mon chemin, je vais me fier à mon instinct et retourner là ou je me trouvais. Lorsque je monte les escaliers, mes pas sont lourds, pesants, comme si je me devais de porter mon corps jusqu'en haut. J'ai la boule au ventre. Les fenêtres situées dans les escaliers sont sales, remplies de crasse. On ne peut même pas voir au travers. J'arrive seulement à distinguer les arbres qui bordent la rue non utilisée depuis des lustres. De ce que j'ai compris, plus personne ne passe par ici depuis que des évènements étranges ont eu lieu.
Arrivée en haut de l'escalier, je souffle et pousse la porte pour déboucher dans le couloir. Un flash survient dans ma tête : je me sens prise en étau. Je sens ses mains dégoutantes sur mon corps. Un haut le cœur me revient. Arthur me dégoute. Après tout ce qu'il a fait, il mériterait de croupir en prison. Si j'en avais le pouvoir, je l'aurais tué sur le champ. Ses mains me serrent. Je régule ma respiration. J'inspire. J'expire. J'inspire. J'expire. Je me stoppe deux secondes. Il faut que je reprenne mes esprits si je veux paraitre forte devant elle. Je ne dois pas faiblir. Je ne peux pas faiblir. Je n'ai pas le droit. Si je craque, ils gagneront. C'est ce qu'ils cherchent à faire : me voir perdre. Mais je vais me battre. Pour mon père, pour ma meilleure amie, pour ma mère, pour ma sœur, pour mon fils . . . Je vais me battre pour eux. Je veux leur rendre hommage, qu'ils soient fiers de moi de là où ils sont. Je le sens au fond de moi, ils m'envoient de la force pour affronter ce qui m'attend. Parce que je compte aller jusqu'au bout quoiqu'il arrive. Et tant pis si je perds tant que j'ai été le plus loin possible dans cette affaire. Je sais que je n'ai même pas accompli la moitié de ce qui m'attend, mais je suis prête a y faire face.
J'avance dans ce couloir sombre et prête attention à chaque porte devant laquelle je passe. Aucune ne porte d'inscriptions. Je ne sais pas comment je vais retrouver cette fameuse pièce lambrissée mais je compte sur mon instinct pour m'y emmener. L'odeur renferme le mal. Je ne sais pas comment le définir mais je le sens. L'atmosphère qui y règne est pesante, lourde et remplie de mauvaises ondes. Même la lumière n'arrive pas à percer les fenêtres crasseuses. Tout dans ce bâtiment inspire le dégoût. Je pousse une porte aléatoire et tombe sur une salle remplie de lumières fluorescentes. Pleins de tubes semblent traverser la pièce. J'ai a peine le temps d'y pénétrer qu'une voix masculine me coupe dans mon élan.
– Qu'est-ce que tu fous ici toi ? s'écrie t'il en se précipitant sur la porte pour la refermer. Je prends le temps de me retourner pour ne pas perdre la face.
Je ne lui réponds pas. Il n'a pas besoin de réponses de toute façon. Il sait tout aussi bien que moi la raison de ma venue. Arthur m'adresse un sourire mesquin, apparemment ravi de me revoir ici.
– Tu as été rapide pour revenir dit donc ! dit-il en éclatant de rire. Tu es bien trop curieuse Matt, ça va finir par te nuire. Je hausse les sourcils. A peine ai-je le temps d'ouvrir la bouche qu'il me devance. Amber est partie, mais elle va revenir d'un instant à un autre. Elle est furieuse de t'avoir laissée filer mais ne t'en fais pas, Amber est bien plus intelligente que tu ne le pense. Elle ne te laissera pas fuir une deuxième fois.
J'essaye de passer devant lui mais son corps me bloque contre l'encadrement de la porte.
– Je ne suis pas Jessica. Je ne suis pas aussi faible qu'elle et tu ne m'auras pas.
– Ca c'est ce que tu penses Matt, chuchote-t-il à mon oreille. Mais ta sœur l'avait cherché, elle le voulait autant que moi.
– ELLE ETAIT MINEURE. TU DEVRAIS ALLER EN PRISON POUR CE QUE TU AS FAIT CONNARD !
A l'entente de l'insulte, sa main vient percuter violemment ma joue, laissant une grosse trace rouge. Son corps compresse le mien et je laisse échapper un haut le cœur violent. Je porte ma main à ma bouche et les larmes menacent de jaillir. Ses mains se font un peu plus baladeuses et je commence à perdre mes moyens. Il n'a pas changé. Malheureusement, un violeur reste un violeur et le restera toute au long de sa vie. La vie est telle qu'elle est faite et pour éradiquer ce genre de personne, il n'existe aucune solution. Des personnes de ce genre, il en existe tellement dans cette société. Ils sont partout, ils se fondent dans la masse. Arthur en fait partie. Celui-ci continue de laisser parcourir ses mains sales sur mon corps. Je le sens passer sa main sous mon T-shirt et je tente de le repousser sans succès. Il est bien trop fort pour moi. Il continue son parcours et force le passage lorsque Amber fait son apparition :
– Arthur, lâche la tout de suite !
Je souffle de soulagement, ravie, pour une fois, de voir Amber. C'est bien la dernière fois que je suis ravie. Elle m'a sortie d'affaire mais je suis sure que c'est pour son propre intérêt.
– Pfff, tu abuse Amber !
– Ne cherche pas à détruire notre proie tout de suite. Nous avons encore besoin d'elle je te rappelle.
Mes yeux s'arrondissent. Je suis devant elle, et elle se permet de parler de moi comme si je n'étais pas là. Celle-ci me prend le bras et m'emmène loin d'Arthur.
– Reste ici et ferme bien la porte du labo ! Personne ne doit savoir à quoi ça correspond, crie t-elle du bout du couloir à l'adresse d'Arthur.
– Trop tard Amber, je sais déjà à quoi ça vous sert, osais je dire. Ma voix se fait plus faible que d'habitude mais je ne baisse pas le regard. Ses yeux deviennent noirs. Sa poigne sur mon bras se fait plus forte. Elle continue de me tirer et m'enferme dans une pièce qui ne contient qu'une simple chaise en bois. Aucune fenêtre. De simples ampoules qui grésillent. Un parquet en bois. Cette pièce est simple mais étouffante. Je ne me sens pas à l'aise. Amber se retrouve face à moi, ses poings sur ses hanches :
– Tu as essayé de m'échapper Matt. Ca n'arrivera pas deux fois, compte sur moi. Cependant, je vois que tu es assez intelligente. Elle s'avance lentement vers moi. Mais toi et moi, on n'a pas fini. Loin de la même !
Ses yeux plongent dans les miens comme si ça lui permettait de lire dans mon esprit. Pourtant, rien ne se passe. Je ne ressens pas de piques qui viennent performer ma peau, je ne vois pas de vide se créer autour de moi. Amber s'écarte et fais volte-face rapidement avant de s'élancer dans le couloir. Je l'entends crier :
– ARTHUR, DEPÊCHE TOI, J'EN AI BESOIN TOUT DE SUITE AVANT QU'ELLE NE M'ECHAPPE !
Je ricane légèrement en tentant de détendre l'atmosphère qui règne dans la salle. Voir Amber perdre ses moyens est assez comique si on pense à la situation. Elle qui cherche toujours à avoir le contrôle. Je me permets de m'avancer jusqu'au couloir quand je vois Amber se faire piquer par Arthur avec une seringue remplie d'un liquide. La larymosine ! Elle est dans ce bâtiment. Au lieu de courir pour enlever la seringue enfoncée dans l'avant-bras d'Amber, je reste paralysée, ne sachant pas quoi faire. Pourquoi mon corps se bloque toujours au moment où j'en ai le plus besoin ? Mes yeux scannent tous les détails. Au fur et à mesure que mon regard s'accroche à la seringue, le liquide diminue jusqu'à disparaitre dans le corps d'Amber qui a retrouvé ses prunelles sombres. Mes pieds s'accrochent au sol. Amber se redresse et fixe ses yeux dans les miens. Cette fois ci, j'y lis de la détermination de me nuire. Je n'ai jamais perçu autant de haine dans un regard. Je ne pensais pas que c'était possible de détester quelqu'un à ce point. Alors que je pensais que les effets de la larymosine avaient disparus, cette pique revient me transpercer la cote. Je hurle de douleur, surprise et me plis en deux. Mes yeux se plissent mais j'arrive à percevoir Amber se rapprocher.
– Non, non, ne m'approche plus jamais, chuchotais je, le souffle coupé par la douleur.
Mes mains se retrouvent sur mes hanches et je suis obligée de me recroqueviller au sol pour estomper la douleur. Les larmes commencent à monter.
– C'est fou que même sous la douleur, tu sais toujours où es ta place ! ricane-t-elle. Tu n'es qu'une moins que rien Matt ! Tu as blessé tant de proches ! Regarde où ils en sont maintenant ? Ils sont morts ! ILS SONT MORTS PAR TA FAUTE MATT ! PAR TA FAUTE ! crie t-elle. Elle est proche de moi. Trop proche de moi. Je me sens étouffée. Je suffoque tandis que le vide se rapproche bien trop rapidement. Je ne veux plus tomber, je ne veux pas m'avouer vaincue.
– Matt, pourquoi tu te voile la face à ce point ? Tu ne te rends pas compte à quel point tu es perdue ? Tu veux que je te rappelle tout ce que tu leur as infligé ?
Je hurle. Je lui intime de se taire. Sa voix resonne dans ma tête. Elle se fait forte. Je sais qu'elle cherche à me convaincre et malgré tout mes efforts pour la contrer, mon esprit commence à faiblir. Elle rentre dans ma tête comme un venin qui pénètre mon sang. Elle trace sa route et écarte tous les obstacles qui se dresse face à elle. Tous les remparts que j'ai dressés s'affaissent pour lui laisser le chemin. Mes pieds s'enfoncent dans le sol et le même processus s'enclenche. Je suis engloutie dans les ténèbres et je ne cherche même plus à me débattre. Elle a encore une fois gagnée, et je n'ai plus aucuns espoir de m'en sortir. Mon corps devient de plus en plus lourd et tombe dans la noirceur la plus totale.
Amber fait renaitre en moi les démons que j'avais tenté de cacher au plus profond de mon être. Ils surgissent à une vitesse ahurissante. J'en oublie le temps. C'est ce que l'on appelle la dilatation du temps. Cela signifie que la sensation du temps qui passe plus ou moins vite dépend du contexte ainsi que de notre état émotionnel. On trouve que le temps passe lentement lorsqu'on s'ennuie ou qu'on est triste, et rapidement quand on est joyeux ou engagé dans une activité passionnante. Dans ce contexte précis, je me situe quasiment au bord de la dépression.
Après un certain temps que je ne saurais définir, mes pieds se posent sur un sol froid, ressemblant à du carrelage. Je laisse la pénombre se dissiper et mon regard se pose sur ma salle de bain. Je frissonne au contact de ma main sur le carrelage quand je prends appui pour me redresser. Je tourne sur moi-même et reconnait la Matt du passé adossée à la baignoire, la tête entre les jambes. Un flash, une image, et tout me revient.
Justine.H
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