Chapitre X

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Je me vois dans cette salle de bain, mon téléphone posé sur le côté. Je connais le fonctionnement de ce sérum. Je sais que personne ne me voit, je peux donc aller et venir à ma guise. Je m'avance vers mon ancien moi. Je crois que j'essayais de joindre quelqu'un car le téléphone était mis en haut-parleur.

Je m'entends râler et déposer ma tête sur mes genoux. Je me souviens de ce moment, et je sais d'avance que le revivre sera difficile. Bien que je ne pense pas qu'Amber en soit la responsable. Matt se relève avec difficulté dû à la grosseur de son ventre. Elle récupère au passage son téléphone resté au sol et envoie un message vocal.

« Thomas, Amour, je . . . Elle marque un temps de pause, il faut aller à la maternité, j'ai tellement mal. »

Je la regarde et effectivement, celle-ci se plie en deux par rapport à la douleur qu'elle reçoit. Elle doit y'aller d'urgence ou elle va accoucher dans cette salle de bain. Un silence inquiétant résonne dans la pièce. Le téléphone sonne et casse le silence :

– Je suis en route, je viens te chercher !

Elle hoche la tête et répond un faible « oui ».

Cinq minutes plus tard on entend le cliquetis des clés et la porte du palier qui s'ouvre avec empressement. Thomas passe par l'entrebâillement tandis que Matt porte une main sur son ventre pour supporter les contractions. Il lui prend la main, dépose un long baiser sur son front, en signe de protection. Celle-ci se met à le suivre, moi à leur suite. Il l'emmène jusqu'à l'ascenseur qui descend les deux étages. Elle s'engouffre dans la voiture avec quelques difficultés. Thomas remonte et dépose ses affaires dans le coffre. Avant que celle-ci ne démarre, je franchis la portière et m'installe sur la banquette arrière.

C'est vraiment étrange de s'observer d'un point de vue extérieur. C'en est presque effrayant. J'arrive a discerner chacune des émotions qu'affiche mon regard, mes paroles, mes actes . . . Grâce ou à cause, je ne saurais dire, j'en apprend plus sur moi-même qu'en trente ans de ma vie. Bien sûr, j'ai appris de mes erreurs, de mes épreuves, mais c'est complètement différent de se contempler en train de vivre l'évènement en question.

Thomas accélère et traverse la ville pour emmener Matt à l'hôpital. D'apparence calme et posée, je sais qu'à l'intérieur, l'angoisse et l'appréhension sont les maitres mots de mon corps. J'arrive enfin à poser des mots sur ce que je ressens. Je me surprends a me contempler moi-même. Matt a le regard posé sur le paysage qui défile par la fenêtre de la voiture. D'un seul coup, elle se crispe tandis que de nouvelles contractions font leur apparition.

– Je suis désolé cœur, je ne peux pas aller plus vite, s'excuse Thomas.

– Ce n'est pas grave, arrive-t-elle à dire dans un souffle.

Les yeux de Thomas qui est toujours concentré sur la route, sont remplis de stress et de doute. Cependant, avec une longue concentration, j'arrive à percevoir une lueur. Est-ce de l'espoir ? Du bonheur ? Je ne saurais dire. Je me rappelle ce moment où j'ai dû lui dire que j'étais tombée enceinte.

Flashback :

J'attends avec impatience Thomas qui ne devrait pas tarder à entrer du boulot. J'ai décidé de lui faire la surprise. De toute façon, ça m'étonnerait qu'il se doute de quelque chose. Je suis posée sur le canapé, un plaid qui recouvre mes jambes. Ces neuf prochains mois ne seront pas les plus faciles entre les visites chez le médecin, chez le gynécologue ou encore chez le psychologue . . . Mais je suis sure qu'avec l'accompagnement de Thomas, tout se passera pour le mieux. Avant d'envisager cette idée, d'avoir un enfant, on en avait longuement parlé. Il nous fallait trouver un équilibre entre le boulot, les revenus, la famille. Il fallait tout prendre en compte. Mais ça me tenait à cœur d'obtenir un enfant. Cela signait le fruit de notre amour. C'est un signe encore plus fort qu'une union de mariage à mes yeux. Fonder une famille, c'est la chose la plus importante de ma vie. On m'a enlevé la mienne et j'en voudrait toujours à Dieu de me l'avoir détruite. Mais même si tourner la page est une des choses des plus complexes de la vie, je me dois de la tourner pour pouvoir avancer dans ma vie. Avoir un enfant me prouvait à moi-même que j'en étais capable et que si moi j'y arrive, tout le monde peut y arriver. Je souris malgré moi. Je n'ai pas vraiment d'espérance sur le sexe du bébé. Qu'il soit une fille ou un garçon ne m'importe peu tant que j'ai mon propre enfant à élever. Thomas souhaite une fille, il dit que c'est bien plus facile qu'un garçon. Il est persuadé qu'en ayant une fille, elle sera bien plus proche de son père que de sa mère. Je trouve ça mignon, mais j'ai bien peur que Thomas développe son côté un peu jaloux. Est-ce que si c'est un garçon, il aimera moins ? Je ne l'espère pas. Il arrive devant moi et se pose a son tour dans le canapé, exténué.

– Pfff, enfin le weekend ! s'exclame t'il.

– Chéri, j'ai . . . j'ai quelque chose à t'annoncer. Sans un mot, je sors de sous le plaid, ce fameux test de grossesse. Thomas me regarde, les yeux grands ouverts tout en le prenant dans ses mains.

– Tu déconne ! s'écrie t-il choqué. Je ne saurais dire s'il est ravi ou non, ce qui me procure une pression monstre. Il . . . Il est positif ? me demande-t-il sous le choc.

– Oui ! répondis je dans une petite voix. Je n'ose pas le dire plus fort. Je n'arrive pas à décrypter son sentiment. Est-il déçu ? Ou au contraire est-il heureux ? Celui-ci se met tout d'un coup à crier de joie et me sers dans ses bras.

– Oh je suis tellement content, tu n'imagines même pas ! s'écrie t-il.

Je lâche enfin un souffle. Je peux enfin me mettre à inspirer et je prends une bouffée d'air qui me remplit les poumons. J'avais cessé de respirer, trop stressée par sa réaction. Une boule s'était formée au milieu de mon estomac. Qu'aurais je fait s'il ne l'avait pas accepté ? Je n'en ai aucune idée. Peut-être aurais je pu penser à l'avortement pour lui ? J'avoue y avoir déjà pensé mais je ne sais pas si je m'en sentirais capable.

Fin du Flashback

Perdue dans mes pensées, je ne remarque même pas que la voiture franchit précipitamment le parking. La scène où j'accouche, je la connais que trop bien. Et puis tout s'est bien passé dans le meilleur des mondes. C'est ce qui adviendra après qui me terrifie. C'était le calme avant la tempête. Avoir eu un enfant était le meilleur moment de ma vie. Je savais enfin ce que ça voulait dire d'être d'heureuse. C'était une sorte de phase de délivrance. Mes yeux pétillaient à chaque fois que mon regard se posait sur mon fils. Je l'ai appelé Cole et je n'ai pas laissé à Thomas l'occasion d'en proposer un autre. En hébreu, Cole signifie « Victoire » et je voulais prouver que même avec toutes les misères du monde, on peut toujours trouver une source de bonheur. Même dans la tempête, le soleil peut percer les nuages et réchauffer votre cœur. De toute façon, Thomas a tout de suite validé le prénom, prétextant que c'était le meilleur nom qu'on aurait pu lui trouver.

Tandis que nous nous rendons à l'accueil et que mon ancienne moi est prise en charge par les infirmiers, je me concentre sur Thomas qui regarde autour de lui à la recherche d'un endroit pour se poser en attendant de pouvoir rejoindre Matt. L'hôpital est un bâtiment neutre, aux murs immaculés d'un blanc profond à vous donner mal au crâne. Quelques plantes agrémentent la salle d'attente ou d'autres personnes sont assoupies. Quelques magazines trainent abandonnés sur la petite table basse. C'est vrai que ceux-ci ne servent quasiment plus a force que nous soyons sur nos téléphones. Je suis l'une des première à l'utiliser quand je ne l'oublie pas chez moi. Depuis ce jour, je me suis toujours assurée de le garder proche de moi au cas où il arriverait un malheur.

Thomas s'assoit sur une chaise et patiente pendant que les médecins procèdent aux examens. C'est fou, je n'aurais jamais cru avoir eu un enfant. C'était pour moi le plus grand cadeau de la vie. Donner la vie à un être humain est quelque chose de magique, d'incroyable. Trente minutes se passent avant que Thomas soit appelé par une infirmière. Celui accourt jusqu'à sa chambre. Je me vois dans une position plus qu'humiliante. Les jambes écartées, une autre infirmière procède à de derniers vérifications avant que Thomas ne vienne lui prendre la main.

C'est une scène émouvante et remplie d'intensité émotionnelle. La chambre dans laquelle Matt a été placée est baignée de lumière douce, filtrée par les rideaux blancs de l'hôpital. Matt est allongé sur le lit médicalisé. L'infirmière lui demande de se concentrer. Ses cheveux légèrement épars sur son front perlent de sueur. Elle respire profondément, les yeux fermés, concentrée sur chaque contraction. À ses côtés, Thomas lui tient fermement la main, son visage montrant à la fois de l'inquiétude et de l'amour. On y lit de la tendresse dans son regard. Il se rapproche d'elle et lui murmure des mots de réconfort et d'encouragement. Son autre main caresse doucement son épaule, essayant de la soulager, de la soutenir du mieux qu'il peut. L'anxiété se mêle à la joie imminente qu'il éprouve à la naissance de son futur fils.

Les bips réguliers du moniteur cardiaque rythment la pièce, et le personnel médical est affairé autour du lit, tout en restant calme et rassurant. Les infirmières donnent des instructions claires et douces à la mère, tandis que le médecin se prépare à accueillir le bébé. La tension dans la pièce est palpable, mais elle est adoucie par l'amour. Thomas essuie délicatement le front de Matt avec le tissu posé à côté d'elle, ses doigts tremblants légèrement. Le moment approche, et ils partagent un regard chargé d'une promesse : bientôt, ils seront trois.

Les sons dans la pièce sont un mélange de souffles profonds et de soutien :

– Respirez profondément... Allez, poussez, vous y êtes presque.

Matt inspire et pousse de toutes ses forces. Son visage se contracte, ses muscles semblent tendus à l'extrême, mais une détermination pure se lit dans ses yeux. Chaque poussée est un effort immense, chaque contraction est une étape vers la délivrance tant attendue. De mon point de vue le temps semble s'étirer, les minutes paraissent des heures, mais l'objectif reste clair dans son esprit : la naissance de son fils.

– On voit la tête ! Continuez comme ça ! lance la sage-femme, un sourire dans la voix, sa présence réconfortante remplissant la pièce de courage et d'espoir. Ces mots donnent à Matt une nouvelle impulsion. Elle respire profondément, le regard rivé sur Thomas qui ne cesse de lui sourire.

Puis, l'instant arrive, presque irréel : un cri retentit. Le premier cri de son fils. Matt laisse échapper un sanglot, un mélange de soulagement, de fatigue et d'une immense joie. Le bébé, couvert de vernix, est doucement soulevé et placé sur la poitrine de sa mère. Je vois le petit corps de mon fils se blottir contre sa mère qui l'entoure immédiatement de ses bras, des larmes coulant le long de ses joues. A la vue de Cole qui s'accroche aux cheveux de Matt mon cœur se serre.

Les pleurs de Cole se calment lorsqu'il entend la voix de sa mère, qui murmure des mots d'amour, un sourire fatigué mais radieux sur son visage. Je la vois regarder son fils avec tendresse et caresse ses petits doigts, son visage encore fripé. Thomas, à côté, les regarde avec des yeux embués, posant une main tremblante sur la tête Cole.

La salle devient silencieuse, comme respectant l'intensité de ce premier contact. La mère, le père, et leur fils, réunis pour la première fois, vivent un moment suspendu dans le temps, un instant de pure tendresse et d'amour inconditionnel. Pendant deux secondes, je me sens de trop dans cet espace confiné. 

Justine.H

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