Chapitre XIV
Le même mécanisme recommence une fois que je touche le sol. Je laisse le voile noir se lever et tente de me situer dans le temps. Je me retrouve en plein milieu d'un quartier bordée de maisons plus belles les une que les autres. L'espace est calme. Le soleil s'est levé et perce les faibles nuages qui stagnent dans le ciel. Un claquement de portière me sort de ma contemplation. C'est ma mère qui sort de sa voiture. Attendez ma mère ? Je me stoppe. Je n'y comprends plus rien. Amber me montre sa mort pour ensuite me montrer qu'elle est vivante ? Ou alors j'ai reculé dans le temps. C'est une solution probable. J'évite de réfléchir et m'élance à sa poursuite. Celle-ci franchit les marches d'une maison et toque à la porte. J'en profite pour pouvoir l'admirer une dernière fois. Malgré son âge, ma mère aimait se sentir apprêtée. Aujourd'hui elle a opté pour un pantalon noir en velours cintré à la taille qui met en valeur ses longues jambes. Un haut noir vient compléter le tout et pour finir avec style, elle a rajouté une veste blazer qui lui donne un air un peu plus professionnel. Je souris, je la trouve magnifique. Je suis plutôt fière d'elle : au fil du temps elle a réussi à maquiller sa tristesse et à la cacher dans son style vestimentaire. Après l'absence de mon père, elle ne faisait plus d'efforts. Sa journée ne se rythmait qu'à sortir de son lit pour se rendre dans le canapé, faire un petit détour par le frigo et passer aux toilettes. Elle ne portait que des joggings et des pulls. Je ne pourrais nier que Julia a fortement contribué à ses efforts de se remettre de son décès bien que cela me déplaise de le dire. J'ai comme un gout acre dans la gorge. Je ne reverrais plus ma mère comme je ne pourrais plus jamais revoir mon père. Tout cela me rend nostalgique mais j'essuie mes larmes d'un revers de la main et grimpe les dernière marches qui me séparent de ma mère et de la porte. Celle-ci se redresse et se grandit pour avoir fière allure lorsque la porte s'ouvre sur Julia, le sourire aux lèvres. Je ne peux m'empêcher de la dévisager avec dédain lorsque celle-ci lui ouvre grand ses bras. Les deux femmes se sourient et s'embrassent avant que Julia ne l'invite à rentrer sur le palier. Je les suis, tandis qu'elles se partagent les formules basiques de politesse. Ma mère semble tellement rayonnante à ses côtés que j'en viens à douter de Julia. Peut-être n'est-elle pas si mauvaise qu'elle en a l'air. Je chasse cette idée de ma tête et continue de suivre la scène d'un œil expert. Je ne dois louper aucuns actes : chaque détails à son importance. Nous franchissons un couloir qui nous mène directement au salon. Mes yeux s'ouvrent soudainement. Je quitte ma mère des yeux pour prendre le temps d'admirer la pièce dans laquelle nous venons de déboucher. Je n'ai d'yeux que pour le centre de la salle : un canapé blanc épuré remplis de coussins de velours bleu trône au milieu du salon, nous laissant tout le loisir de s'y poser. Des tableaux d'œuvres d'art ornent les murs blancs. Je tourne autour de moi. Un escalier aux rambardes en verre mène l'étage. Je suis surprise de la beauté du lieu. Au fond, la cuisine qui fait aussi office de salle a manger permet à Julia d'inviter quantité de personne. Je peine à décrocher mon regard du lustre qui brille de mille feux. Il baigne tout l'espace dans une lumière chaude et luxueuse, renforçant la sensation d'opulence et de grandeur. Toute cette maison respire la richesse et la supériorité mais cela ne semble pas déranger ma mère qui ne prend même plus le temps d'admirer les pièces vu le nombre de fois qu'elle a été invitée chez elle. Je détache enfin mon regard de toute cette beauté et me contente de surveiller ma mère de là où elle se trouve. Celle-ci a posé sa veste et son sac à l'entrée et a rejoins Julia dans la cuisine.
– Tu as besoin d'aide ? propose gentiment Maman.
– Ne t'embête pas Mathilde, je termine juste de préparer les boissons. Tu peux aller te poser si tu veux, je te rejoins dans quelques secondes ! dit-elle dans un sourire.
Mathilde acquiesce et se contente de se poser sur le canapé, les yeux rivés sur son téléphone. Pendant ce temps, je me rapproche de Julia. Elle est occupée à préparer du thé. Je la regarde sortir des tasses du tiroir et remplir la bouilloire avec de l'eau. Elle la laisse chauffer et adresse un regard à ma mère avant de sortir deux sachets de thé qu'elle pose sur le plateau. Je jette un œil aux sachets et je lève les yeux. Il fallait bien se douter que Julia prêtait attention à chaque détails. Ma mère avait du lui dire le nom de son thé préféré, sinon comment l'aurait-elle su ? La bouilloire clignote signe que l'eau est chaude et Julia la récupère avec le plateau dans lequel elle rajoute quelques petits gâteaux. Elle vient le poser sur la table basse du salon avant de s'asseoir dans le canapé.
– Alors, comment tu te sens depuis la dernière fois ? lui demande poliment Julia.
– Ca peut aller. J'essaie de penser constamment à autre chose mais il suffit que je lui adresse une seule petite pensée pour que je sombre. Et encore j'ai pu arrêter les anti dépresseurs. Mon médecin m'en avait prescrit depuis ma dernière visite mais je n'y ai pas touché.
– Pourquoi ?
Elle pose les mains sur ses cuisses signe qu'elle est gênée de la discussion mais elle continue :
– Par le passé, j'ai plongé dans une dépression sévère qui a été compliquée à soigner et j'ai pris énormément de temps à remonter la pente. Ma mère fait une pause. Je me rapproche des deux femmes et me pose à une certaine distance de Julia. Je ne veux pas trop m'approcher d'elle et me contente de m'asseoir à côté de ma mère. De là où je suis, je peux même sentir l'effluve de son parfum habituel. J'ai peur qu'à cause des anti-dépresseurs, j'en devienne dépendante et je ne veux pas replonger, ce serait une trop grosse charge pour mes filles. Je ne veux pas qu'elle le subisse. Des larmes perlent au coin de ses yeux mais elle les essuie avant que celles-ci ne coulent le long de ses joues. Julia se rapproche comme pour lui apporter son aide.
– Je peux comprendre que ça soir compliqué Mathilde, mais tu dois penser à toi avant de penser à tes filles. Matt est déjà adulte et Jessica devient de plus en plus mature. Elles comprennent ta douleur.
– Oui mais ça fait trois ans maintenant et je n'arrive toujours pas à tourner la page . . .
– C'est normal ! Il est toujours compliqué de faire le deuil des personnes que l'on aime. Je l'ai aussi vécu et je sais ce que ça fait ! Mais tu dois garder à l'esprit que tu n'es pas toute seule et que si nous l'avons surmonté, tu le peux aussi. Julia lui tend sa main pour la réconforter. Tu vas t'en sortir Mathilde, tu peux le faire.
Elle lui adresse un sourire réconfortant avant de lui proposer un thé que ma mère accepte volontiers. Elle glisse les sachets dans les tasses avant de les remplir d'eau chaude. Les tasses fument et ma mère récupère la sienne dans ses mains avant de souffler pour en boire une gorgée.
– Comment tu as fait toi pour remonter la pente aussi vite ? demande ma mère à Julia.
– Apres le décès de mes parents et de mon mari, je me suis tuée à la tache dans mon travail. Je ne vivais que pour ça mais ça me faisait du bien. Je ne pensais plus à rien mise à part avancer dans mes projets. Ma tête était remplie de travail si bien que je dormais peu pour avancer plus vite. Ce n'est pas du tout un conseil que je te donnerai. J'ai vite compris que mon rythme de vie n'était pas bénéfique dans le temps. Je devais trouver une nouvelle façon de voir ma vie sans quoi j'allais finir par sombrer. J'ai consulté un psychologue et j'ai fait des réunions comme celles que nous assistons pour mieux nous reconstruire. Mais j'ai mis du temps à accepter à suivre toutes ces thérapies. J'étais persuadée que je pouvais me réparer toute seule . . . Julia baisse la tête honteuse.
– Tu sais, on a tous besoin d'une aide extérieure pour avancer. Moi la première ! Sans toi, je ne serais pas celle que je suis maintenant.
– Vraiment ?
– Bien sûr, acquiesce ma mère, nos activités en dehors de ces réunions me permettent de me changer les idées. Quand je suis chez moi, je passe mon temps auprès de mes filles mais je ne fais rien d'autres pour moi. Quand je suis chez toi, je prends le temps de penser à moi et à la manière dont je peux continuer d'avancer, termine-t-elle dans un sourire.
– Je suis ravie de l'entendre alors !
Celles-ci se mettent a boire leur thé tout en continuant de discuter de sujets simples et divers. Ma mère a l'air vraiment heureuse aux cotés de Julia et je commence vraiment à douter d'elle. Est-elle simplement ce qu'elle montre ou sa gentillesse est ciblée ? Je ne peux faire confiance à personne ici. Julia se tient droite et fière d'elle. Comment peut-on penser qu'elle ait été détruite par le passé ? Je n'en savais rien de sa vie. Alors elle aussi, elle a tout perdu ? Et pourtant Amber ne s'acharne pas sur elle ! Ce n'est à plus rien comprendre. Je commence à abandonner quand ma mère lève les yeux sur Julia :
– C'est marrant, le thé n'a pas le même gout que d'habitude !
– Ah bon ? Celle-ci se lève et rejoins la cuisine pour récupérer le paquet de sachets de thé. Pourtant la date n'est pas dépassée. C'est peut-être le changement de la marque. J'ai cherché la marque que je prends d'habitude mais je ne l'ai pas trouvé alors j'ai du prendre une nouvelle marque. Ma mère hausse les épaules. Je suis désolée Mathilde, je ne pensais pas que le gout changerait autant.
– T'en fais pas, ça arrive ! Ne t'excuse pas. Le principal c'est que le thé soit quand même bon ! lui dit-elle dans un clin d'œil.
Je remarque que Julia ne cesse de lui envoyer des regards en coin, comme si elle se préoccupait de quelque chose. Ses jambes tremblent sous la table basse, et elle secoue légèrement ses pieds. Mon regard remonte sur son visage. Julia mordille sa lèvre inférieure et inspire profondément avant de se redresser. Quelque chose cloche. Elle ne se comportait pas de la même manière il y'a cinq minutes. Son comportement est étrange. Je ne peux pas croire que ce soit le thé qui la mette dans cet état. Pourtant ma mère ne s'aperçoit de rien et continue de lui parler comme si de rien n'était. Suspicieuse, je me lève, rejoins la cuisine et jette un œil au paquet encore rempli de sachets de thé. Celui-ci me parait normal et il n'y'a aucune trace de substance bizarre qui n'aurait pas lieu d'etre. Je rebrousse chemin et adresse un regard à ma mère qui devient un peu plus livide. Je fronce les sourcils : il y a un truc pas normal. Julia est la seule explication possible. Je ne sais pas ce qu'elle lui a donné mais ce n'était pas du thé. Je jette un œil à sa tasse mais celle-ci a déjà tout bu. Aucune trace suspicieuse.
– Mathilde, tu es sure que tout va bien ? Tu m'as l'air bien pale, s'inquiète Julia. Pourtant je me rends bien compte que son inquiétude est fausse, elle joue un rôle.
– Je pense que je vais rentrer chez moi. Je me sens . . . Ma mère peine à trouver ses mots. Elle se lève, récupère ses affaires et quitte la maison de Julia en trombe sans même lui dire au revoir. Je me retourne sur Julia qui regarde la porte d'entrée restée ouverte, le sourire aux lèvres.
Justine.H
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