Chapitre 2: La partie de pêche
Amset Zalacotl arriva à l’assemblée cultique de Percim à peine quelques minutes avant le début de celle-ci. Il se trouvait dans une grande pièce du Palais de l’Évêque, bondée de personnages en toges blanches, les autres prêtres des environs. Parmi eux, on distinguait aussi quelques Pères et Mères, en brun, mais surtout l’élégante toge noire comme l’encre caractéristique des Évêques. Ainsi accoutré, Mgr Dakarai était telle une ombre. Ce dernier se tourna vers le nouvel arrivant et lui adressa un sourire chaleureux. Sans se soucier plus longtemps de ce que le Père Menkera lui causait, il s’approcha du jeune homme. Il s’appuyait sur une vieille canne défraîchie, si bien qu’Amset se hâta de le rejoindre pour lui éviter de faire trop de déplacement.
— Mon cher Zalacotl ! lança le vieillard avec entrain. C’est une grande joie de voir votre rafraîchissante jeunesse parmi nous !
— Tout l’honneur est pour moi, Monseigneur, répondit le jeune prêtre, non sans fierté.
L’Évêque tendit une main tremblante pour lui attraper l’épaule. Tout son corps semblait avoir du mal à contenir l’énergie qu’il manifestait malgré les nombreuses lunes qu’il avait vues. Quelques gouttes de sueur perlaient même sur son crâne dégarni. Bien sûr, en ce jour comme toute l’année, il faisait terriblement chaud en Assyr. Mais les toges qu’ils portaient s’étaient adaptées aux conditions climatiques du pays des déserts et étaient très légères.
Amset se sentait fort intimidé en présence de cet homme d’expérience et de ses associés. Il n’était entré en fonction que depuis quelques mois et n’avait pas encore eu l’occasion de rencontrer chacun de ses collègues. Comme presque tous les hommes du pays, il avait les cheveux rasés. Il portait la toge blanche des prêtres, qui se distinguait de celle des disciples par deux bandes dorées bien visibles sur les épaules. Son teint contrastait au milieu des Assyriens, car sa peau bronzée n’en était pas pour autant basanée.
Autour d’eux, les autres participants à l’assemblée continuaient à discuter, prenant des nouvelles des différents villages sous la juridiction de l’Évêché tout en observant discrètement le dernier arrivant. L’Évêque semblait lui parler d’égal à égal et les plus anciens avaient du mal à cacher leur agacement. Le Père Menkera en était un parfait exemple. Il leur jetait un regard sombre tout en serrant le poing.
— Alors, j’ai cru comprendre que l’église de Poncho peinait à accueillir tous les fidèles ces derniers jours ? questionna l’Évêque tandis qu’Amset le raccompagnait vers son siège.
— Les villageois sont très motivés, confirma le jeune prêtre avec un sourire. Leur foi est sans faille, je ne fais que mon possible pour la contenter.
— Et vous faites du merveilleux, merveilleux travail, commenta l’Évêque avec quelques tapes amicales dans le dos. Vous avez cette patience et cette considération envers chacun de ces gens, c’est exactement ce qu’on vous demande ! Certains feraient même bien d’en prendre de la graine !
Les quelques prêtres assez proches feignirent de n’avoir rien entendu, mais l’illusion ne trompait personne. Amset s’en sentit un peu embarrassé. Il n’avait aucune prétention et ne voulait pas s’attirer les mauvaises grâces de ses collègues directs, ignorant encore qu’il avait déjà éveillé les pires possibles. Le Père Menkera repoussa le siège de l’Évêque pour lui permettre de s’y asseoir. Il fusilla ensuite le jeune homme du regard, lui intimant l’ordre de rejoindre sa place, à l’autre bout de la salle. Amset s’exécuta en toute hâte tandis que les autres l’imitaient. L’assemblée allait pouvoir démarrer.
— Bien, bien, ne tardons pas plus, ouvrons la séance, clama Mgr Dakarai en frappant des mains. Père Menkera, l’ordre du jour, je vous prie.
On parla ce jour-là, comme bien souvent, de plusieurs sujets ennuyeux et rébarbatifs, allant du budget alloué à une cérémonie ou l’autre, à la restauration de tel ou tel lieu de culte, ou de diverses nouvelles des différents villages. Amset intervint à plusieurs reprises et on dut même l’interrompre lorsqu’il entreprit de raconter diverses anecdotes concernant ses ouailles. Il fut très à l’écoute de ses semblables, proposant parfois des solutions à leurs problèmes, qui ne furent d’ailleurs pas toujours bien accueillies. Ce ne fut qu’en toute fin de séance que le Père Menkera se lança dans un sujet qui attira particulièrement son attention.
— Mes amis, avez-vous entendu parler de Réunion ? demanda-t-il alors que Mgr Dakarai lui-même allait se lever pour clore l’assemblée, le prenant de court. Je pense que nous avions reçu quelques appels il y a déjà deux ans d’ici, et je crois qu’un petit rappel ne ferait pas de mal pour ce beau projet.
Le Père Supérieur balaya du regard les cultistes rassemblés, s’attardant sur Amset avec satisfaction. Sa curiosité semblait déjà titillée. Le poisson avait mordu à l’hameçon, il ne restait plus qu’à le ramener à bord.
— Réunion est le nom de cette grande ville en pleine construction, par-delà le Massif de Laya, que nos Inquisiteurs ont proposé de bâtir. Une ville utopique, où se mélangent les cultures de nos pays autour du Culte. Une porte sur la conversion tant attendue de la Cyanide à la vérité des deux Dieux.
— Vous avez des nouvelles de ce projet ? s’étonna un prêtre.
— Et comment ! répondit le Père Menkera en levant un bras d’un air presque théâtral. La cité est en bonne voie, elle reçoit de plus en plus d’émissaires des différentes nations pour prêter main forte à ces rêves un peu fous. Des Assyriens, des Cobaltes et des Majores y sont déjà en grand nombre et travaillent en harmonie. Mieux, de plus en plus de Cyanidiens se rapprochent, tissant des pactes d’alliance et de commerce. Bref, l’objectif de rallier le pays hérétique à la cause du Culte est sur la bonne voie !
Il s’interrompit, laissant l’occasion à ses collègues de discuter quelques secondes entre eux. Ceux qui avaient déjà entendu parler de Réunion se réjouissaient de son essor, tandis que les autres s‘étonnaient d’abord de son existence. Seul le prêtre de Poncho restait silencieux, fixant le Père Menkera, prêt à boire ses paroles, impatient d’en apprendre plus. Ce dernier, en constatant cette insistance, eut du mal à réprimer un sourire narquois. Le regard soupçonneux que lui adressait Mgr Dakarai l’encouragea à vite reprendre sa partie de pêche.
— Oh, mais je m’emballe, je m’emballe, reprit-il en soupirant. Hélas, je suis peut-être parti trop vite en besogne… Il reste bien du travail, surtout concernant la conversion de ces pauvres âmes qui n’attendent que ça… Bien que le projet soit à l’origine des Inquisiteurs, ils manquent encore de cultistes sur place pour partager nos messages religieux aux Cyanidiens. Ils ont encore besoin de nombreux missionnaires, des hommes courageux et audacieux, pour affronter l’environnement hostile du pays et voyager dans les différents villages… Les candidats ne courent pas les rues, bien sûr. C’est pour cela que je vous en parle aujourd’hui. Peut-être y aurait-il quelqu’un, parmi nous, qui…
Il s’interrompit. Le bras d’Amset s’était levé, presque machinalement. Tout le monde avait désormais les yeux rivés sur lui. Le Père Menkera réprima une envie de sauter de joie. Le poisson était ferré, il allait devenir un missionnaire, œuvrant bien loin de ce qui serait bientôt son territoire.
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