Chapitre 5: L'ambassade
Après un bon quart d’heure de marche rapide, le jeune prêtre arriva devant la petite église. Elle n’était pas plus grande que celle qu’ils avaient à Poncho, mais bien plus moderne dans son architecture. Pourtant, aucun vitrail ni sculpture n’avait encore été installé. Il observa l’édifice, ne trouvant que de rares symboles cultiques avant de finalement tourner la tête vers la petite place. Les cinq bâtiments devant lui étaient identiques à tous ceux qu’il avait déjà croisés, à la différence que chacun exposait une bannière qui lui était propre. On pouvait voir successivement, de gauche à droite, la couronne dénienne, le serpent safranien, la lune assyrienne, le trophée majore et la plume cobalte. Les deux premiers bâtiments paraissaient moins bien entretenus. Amset supposa donc que ces deux premiers pays ne devaient pas être très représentés en ville pour le moment. Cela n’avait rien d’étonnant. Le Géant et l’Ogresse n’avaient pas la réputation de s’intéresser aux affaires des autres pays.
Il soupira et frissonna, plus par froid que par appréhension, puis marcha droit devant lui. Les portes des ambassades étaient grandes ouvertes. Par curiosité, il pencha la tête et constata, non sans un sourire, que la femme en charge de l’ambassade voisine, la safranienne, était endormie sur ses documents. Dans celles de son pays, par contre, quelqu’un grattait sur un parchemin, assis derrière son bureau.
— Bonjour ! lança Amset en entrant.
Sa brusque intervention fit sursauter le responsable qui, sous la surprise, effectua un large mouvement de plume. Cela renversa son encrier, répandant son contenu sur toute la surface de son document. L’homme pesta en voyant son travail gâché, chiffonna le désastre, puis, sourcils froncés, il tourna la tête vers Amset.
— Z'avez intérêt à ne pas vous être trompé de local, le mit-il en garde. Assyrien ?
— Tout à fait, confirma le jeune prêtre avec un peu moins d’entrain, sentant qu’il n’avait pas mis son interlocuteur dans les meilleures conditions. Je viens de Percim, le Père Menkera a dû vous prévenir de mon arrivée… ?
— Aucune idée, répondit l’homme avant d’attraper une pile de parchemins reliés. Vot' nom ?
— Zalacotl Amset.
— Zalacotl ? répéta l’homme d’un air fâché. Vous êtes sûr de n'pas venir de Cobaltique ?
— Plus depuis deux générations, précisa-t-il avec un rire nerveux.
— Mouais… effectivement, j’ai votre inscription ici. Vous logerez dans la baraque numéro vingt-quatre, approchez-vous, je vous montre sur la carte.
Amset obéit tandis que l’homme attrapait un large parchemin qu’il déroula sur son bureau. Une représentation de la ville de Réunion y avait été tracée avec soin. Aussi, tous les bâtiments avaient été numérotés. L'employé chercha du doigt la maison qui accueillerait le nouvel arrivant puis la pointa.
— Voilà, c'est ici, vous vous rapprochez d'la rivière et vous suivez jusqu’à la trouver.
— C’est juste en face du pont, fit remarquer le jeune prêtre. Ce ne devrait pas être compliqué à dénicher.
— Ah, elle est bonne, celle-là ! Il n’y a pas encore de pont, ça, c’est juste un plan. Si on vous a mis en face, justement, c’est pour nous aider à le fabriquer.
Amset acquiesça d’abord, avant de soudain froncer les sourcils. Il croisa le regard de son interlocuteur d’un air intrigué et ouvrit la bouche, sans qu’aucun son n’en sorte.
— Je vous demande pardon ? finit-il par réussir à prononcer.
— Hey, de rien ?
— Il doit… il doit y avoir une erreur, enchaîna le jeune Assyrien avec un rire nerveux. Je… je suis prêtre, je suis venu à Réunion en tant que missionnaire ! Je ne suis pas un ouvrier !
— Missionnaire ? répéta l’homme sur le ton de la plaisanterie. Ça fait longtemps que ce projet a été mis en pause, mon petit gars. La priorité, c’est la construction de la ville, point barre.
— Mais… Mais je n’y connais rien en fabrication de pont !
— On ne vous demande pas de vous y connaître, juste d’écouter vot’ cheffe. De toute manière, vous êtes inscrit, z’avez pas le choix.
— Voyons, je ne suis pas venu ici pour faire des travaux manuels ! protesta-t-il, la mine déconfite. Il n’y a pas moyen de me désinscrire… ?
— Oh, si, bien sûr, bâilla l’homme sans cacher son amusement. Seulement, si vous n’êtes pas inscrit, pas de logement possible.
— Je suis un membre du Culte ! Cette ville n’est-elle pas avant tout une initiative de ses Saintetés et Excellences ?
— Peut-être, mais j’ai ici un document signé de Mgr Ascalaphe, qui stipule bien que, qui que vous soyez, cultique compris, si vous ne bossez pas, on n’vous donne rien, répondit le fonctionnaire en fouillant dans sa pile de parchemin. Voulez le voir ?
— Non merci, soupira le jeune Assyrien le regard dans le vide, réfléchissant en vain à une solution.
— Alors quoi, finalement, vous restez ?
Amset ne répondit pas tout de suite. Il avait à peine sur lui de quoi payer un trajet retour par le Tunnel Ste-Barbe. Il n’était même pas sûr d’y trouver un véhicule apprêté avant plusieurs jours. De plus, il ne pouvait décemment pas retourner en Assyr, tout penaud, après seulement une semaine d’absence. Que diraient ses ouailles ? Et les autres prêtres ? Il ne pouvait pas se permettre de décevoir Mgr Dakarai, pas après toute la sympathie qu’il lui avait manifestée! Aussi finit-il par s’avouer vaincu, soupirant une dernière fois avant de se rendre à la baraque vingt-quatre, sous le regard goguenard du représentant de l’ambassade.
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