Chapitre 6: Hypatie

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 Le jeune prêtre avançait d’un pas lent, sans plus faire attention à l’architecture des bâtiments de Réunion. Il était très déçu de ce qu’il venait d’apprendre et appréhendait déjà la suite. Ce n’était pas le travail manuel qui lui faisait peur, ayant déjà aidé à construire ou restaurer des maisons à Poncho. Par contre, la perspective de devoir rester ici sans autre occupation que de travailler figurait loin de ses rêves de voyages et de rencontres culturelles.

 Il arriva bien plus vite qu’il ne l'aurait pensé devant la fameuse baraque vingt-quatre. À première vue, il n’y avait rien pour la distinguer des autres bâtiments. Pourtant, quand il s’approcha de la porte, il remarqua le symbole de l’Assyr, une Pleine Lune cernée de deux étoiles de part et d’autre, gravé à même le bois. Si retrouver une marque familière le rassura un peu, cela lui rappela que la mixité culturelle qu’il avait imaginée n’était encore qu’une utopie à Réunion. Chaque peuple restait cloîtré dans un bâtiment réservé, et il n’y avait pas ou très peu d’échange. Il soupira et tendit la main pour saisir la clenche, avant que la porte s’ouvre brusquement, le frappant au visage. Le choc fut si violent qu’il tomba à la renverse.

 — AH ! s’écria une voix de femme mêlant surprise et panique. Pardon, pardon !

 Amset prit appui sur ses coudes afin d'apercevoir la responsable de sa douleur au crâne. C’était une Assyrienne, en témoignait sa peau basanée et sa chevelure d’un noir de jais. Les femmes, contrairement aux hommes, laissaient repousser leurs cheveux dès l’âge adulte. Celle-ci les avait jusqu’aux épaules, lissés et parés de quelques perles. Le contour de ses yeux était maquillé avec du khôl, une poudre assyrienne sombre. La femme portait une robe étroite, maintenue par des bretelles courtes , qui ne laissait entrevoir que ses pieds. Mais elle avait aussi un large châle en laine qui lui couvrait les épaules tout en protégeant son cou. D’un bras, elle maintenait contre sa poitrine des rouleaux de parchemins. Elle lui tendait l’autre main pour l’aider à se relever, aussi le jeune homme s’en saisit.

 — Je suis désolée ! s’exclama-t-elle, confuse. Je n’ai pas pensé qu’il puisse y avoir quelqu’un derrière la porte, j’étais pressée…

 — Ce n’est pas grave ! assura Amset une fois debout en se frottant le front comme si la douleur pouvait disparaître de cette manière. Je suis bien à la baraque vingt-quatre ?

 — Oui, c’est bien ici, confirma la jeune femme avec un air intrigué. Et vous êtes … ?

 — Je m’appelle Amset Zalacotl. Je suis prêtre de Poncho, près de Percim.

 — Oh, vous êtes du pays ! Désolée, c’est juste que…

 — Oui, je sais, j’ai une peau trop claire, plaisanta Amset. Mon grand-père était Cobalte, mais je ne suis pas aussi livide qu’eux.

 — D’accord, gloussa la femme avec une moue gênée. Je m’appelle Hypatie, Hypatie de Rakhotis.

 — Eh bien, enchanté ! lança le jeune homme en plissant les sourcils, persuadé d’avoir déjà entendu ce nom auparavant.

 — Et… qu’est-ce qu’un prêtre du Culte vient faire à la baraque vingt-quatre ?

 — Travailler, je suppose ? À vrai dire…

 — Oh, vous allez vivre avec nous ?! l’interrompit Hypatie avec un grand sourire. Venez, je vais vous montrer les chambres libres, vous pourrez en choisir une, déposer vos affaires et ensuite je vous montrerai ce qu’on fabrique en ce moment !

 Avant que le jeune prêtre n’ait pu répondre quoi que ce soit, la jeune Assyrienne l’attrapa par la main et l’entraîna à l’intérieur de la baraque. La porte donnait sur un couloir et Hypatie lui expliqua avec empressement qu’il trouverait à droite la salle de repos et, de l’autre côté, la cuisine. Ils recevaient des provisions tous les jours, mais c’était aux habitants des différentes résidences de s’arranger pour cuisiner ce qu’on leur fournissait. Sans traîner ni lui laisser le temps d’observer, elle lui fit gravir les escaliers. À l’étage, plusieurs chambres les attendaient, austères, avec tout juste un lit, un meuble et une bassine de toilette.

 — Les nuits sont très fraîches, ici, le mit-elle en garde tandis qu’il déposait ses affaires la première chambre libre. Vous avez bien fait de prendre une couette supplémentaire !

 — Je crois que je vais la garder sur moi pour le moment, souffla-t-il en l’ajustant contre lui comme si c’était un manteau.

 — Vous feriez mieux de la retirer au travail, vous verrez, les efforts vous réchaufferont. Je vais vous montrer où on en est !

 Sans plus tarder, elle tourna les talons. Amset dut se dépêcher afin de ne pas la perdre de vue. Elle marchait d’un pas pressé, plein d’entrain, en direction du cours d’eau. Ils descendirent une petite pente au bout de laquelle le jeune prêtre aperçut le début d’un chantier, avec de nombreuses perches et matériaux qui attendaient d’être utilisés. Cinq hommes au teint sombre semblaient attendre, assis ou couchés sur les galets de la rive. Les voyant arriver, ils se levèrent pour se diriger vers une sorte de table sur laquelle Hypatie déplia les parchemins qu’elle se trimballait depuis leur rencontre.

 — Désolée pour l’attente, les gars ! Je vous présente Amset, il vivra avec nous, c'est notre nouveau coéquipier !

 — L’a pas l’air très costaud, fit remarquer un homme, le plus grand de l’équipe.

 — Parce que toi tu l’es, peut-être ? ricana Hypatie. Allez, venez, je vais vous expliquer comment nous allons procéder !

  Il fallut quelques secondes avant qu’Amset finisse par se rapprocher pour écouter ses instructions. Il était surpris de voir une femme répondre ainsi à un homme. En Assyr, c’était généralement aux hommes qu’on donnait les responsabilités, tandis que la place de la femme se trouvait plutôt dans le domicile conjugal. Il était rare d’en voir à un poste important. Pourtant, les hommes l’écoutaient sans faire de zèle. Elle plaisantait même avec eux en les taquinant sans que ceux-ci osent lui répondre. Son assurance face à cinq ouvriers costauds et plus âgés impressionna le jeune prêtre.

 Puis, tandis qu’il l’écoutait, Amset se souvint d’où il avait déjà entendu le nom d’Hypatie. C’était son ancien maitre, l’Évêque de Nopila, qui lui avait parlé d’elle, la fille unique du Directeur de l’Université et du Conseil des Savants. Elle était déjà reconnue à son jeune âge comme la femme la plus intelligente de la Terre des Murmures. Pour une raison qui lui échappait encore, c’était manifestement cette même personne qui dirigeait l’équipe de la baraque vingt-quatre.

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