Chapitre 10: Les chapardeurs
Amset rentra encore tout déconfit à la baraque vingt-quatre. En voyant son air abattu, ses compagnons, Hypatie la première, le questionnèrent. Il les informa ainsi de la décision de l’Évêque de le renvoyer.
— Qu’est-ce que tu lui as dit pour qu’il te fasse ça ? s’étonna Saul.
— Je me suis laissé emporter par mes émotions, je suppose, grommela le jeune prêtre.
— Bah, personne ne saura que tu restes, si tu ne sors que pour nous aider au travail…, proposa le jeune David, optimiste.
— Impossible, hélas, soupira Hypatie. Ascalaphe est un sournois, il va vouloir vérifier que tu es bien parti, quitte à demander aux hommes de son pays de te faire sortir par la force s’il le faut.
— Et il vient de Majorique, c’est ça ? devina Amset en se souvenant de l’attitude des Majores un peu plus tôt.
— Gagné, ce ne sont pas des tendres. Mais je peux peut-être essayer de faire jouer mes relations et arranger la situation.
— Non, merci Hypatie, mais je pense que je dois assumer mes actes, pour ce coup, lança le jeune prêtre en se frottant le front de la main. Je vais… je vais retourner chez moi, à Poncho, et reprendre mes offices. C’est là qu’est ma place, finalement. J’étais venu, bercé d’illusions, et même si je ne regrette pas ce temps passé avec vous, je pense qu’on a plus besoin de moi autre part…
— Bah, il faut dire que t’étais pas le plus costaud non plus, plaisanta Saul.
— C’était sympa le temps que ça a duré, soupira Samuel.
— On peut rester en contact, proposa Jessé. Tu nous envoies une colombe de temps en temps, on rejouera aux cartes quand on aura fini notre travail ici !
Ils accompagnèrent le cultiste dans sa modeste chambrée et firent de leur mieux pour lui remonter le moral tandis qu’il préparait son sac. Il avait assez d’or dans sa bourse pour payer son trajet de retour par le Tunnel Ste Barbe. Par contre, il ne trouverait sûrement pas de cocher disponible immédiatement. Aussi David alla lui chercher deux pierres à feu et les autres lui trouvèrent quelques draps en trop, histoire de se fabriquer une tente de fortune cette nuit. Samuel lui apporta le repas qui lui était destiné, et on le mit en garde contre les différents animaux qui peuplaient les alentours. Amset les rassura en prétendant qu’il ne s’écarterait pas du chemin et les remercia tous le plus chaleureusement qu’il put. Alors qu’il allait franchir le pas de la porte de la baraque, Hypatie le héla une dernière fois. Elle lui confia un turban bleu cyan, prétextant qu’il risquait de prendre froid s’il ne se couvrait pas de partout. L’Assyrien voulut la remercier, mais elle l’étreignit si soudainement qu’il resta immobile, surpris. Enfin, elle le relâcha et tous lui souhaitèrent bonne chance pour son retour.
Amset traversa Réunion avec des pieds de plomb. Il avait honte, terriblement honte, de partir ainsi aussi vite. Heureusement, il n’y avait quasiment plus personne dehors à cette heure-ci. Si les Majores l’avaient vu, il aurait dû supporter leurs railleries. Cétait peut-être tout ce qu’il méritait, au fond…
Comme la nuit tombait peu à peu, il s’installa sur le chemin qui reliait le Tunnel et la ville. Il trouva quelques branches solides pour se fabriquer un petit bivouac de fortune avec les draps qu’on lui avait offerts, puis il mit le feu à quelques brindilles grâce aux pierres. Le froid commençait déjà à être de plus en plus oppressant, aussi s’emmitoufla-t-il dans ses couvertures. Il mit ensuite le turban cyan, se demandant tout de même quelle tête il devait avoir en ce moment. La couleur était très voyante, ce n’était pas vraiment son style, mais il ne s’était pas imaginé en faire le reproche à Hypatie.
Il devinait déjà la tête de ses ouailles, à son retour. Ils l’avaient quitté en lui demandant de ne pas traîner et devaient croire qu’il parcourait la Cyanide en tant qu'émissaire le Culte. Son échec était cuisant. Le Père Menkera allait sûrement être déçu, et que dire de Mgr Dakarai ? D’ailleurs, il ne serait pas étonné que Mgr Ascalaphe soit entré en contact avec lui pour se plaindre de l’attitude de son jeune prêtre.
Il était en train de s’imaginer les pires scénarios quand il entendit du bruit dans les fourrés. Il tourna la tête avec méfiance mais fut rassuré de voir deux petites têtes sortir des fougères. C’était des lilifuris, les étranges lézards bipèdes aux gros yeux curieux qu’il avait déjà croisés lors de son premier passage. Il avait appris leur nom auprès de son équipe de travail. Les reptiles poussèrent de petits cris, presque interrogatifs. Constatant qu’Amset ne paraissait pas hostile, ils s’approchèrent. Saul lui avait raconté qu’ils en avaient fait cuire un à la broche, une fois. Ce soir, le jeune prêtre n’avait pas assez faim pour essayer d’attraper un de ces spécimens sans le moindre outil. De plus, il les trouvait plutôt sympathiques.
Un premier lilifuris s’approcha au plus près et tendit sa petite tête vers Amset en faisant claquer son bec. Il avait de grands yeux pour sa caboche, et l’Assyrien essaya de le caresser. L’animal recula vivement au dernier moment, en l’observant avec une expression de reproche.
Tandis qu’il se concentrait sur cet individu, d’autres lilifuris s’étaient mis à envahir le campement. Deux d’entre eux tournaient autour du feu avec méfiance, tandis qu’un autre sautait sur son sac et regardait sous ses pattes avec curiosité. Puis le premier reptile s’approcha des restes du repas du prêtre et déroba quelques olives. L’humain ne réagissant pas, il continua de se nourrir, vite rejoint par les autres.
Amset eut un léger rire en les observant. Il n’avait aucun appétit. Si ces animaux voulaient finir son repas, cela ne le dérangeait pas. Ils eurent tôt fait de vider son bol en céramique et se rapprochèrent de nouveau, comme pour demander s’il y avait encore autre chose. Attendri, il se tourna vers son sac afin de vérifier s’il ne lui restait rien d’autre. Mais il déchanta très vite.
Le dernier lilifuris venait de sortir la tête de son sac, et il tenait dans son bec la bourse du cultiste. Celui-ci se releva d’un bond, abandonnant ses couches de tissus, et se jeta sur le reptile. Effrayés par sa réaction soudaine, les animaux poussèrent des cris de terreur et déguerpirent avec vivacité dans tous les sens. Hélas, l’animal n’avait pas abandonné son butin et, avant qu’Amset ne puisse l’atteindre, le chapardeur avait disparu dans les fourrés, avec tout son argent.
Le jeune prêtre essaya vainement de se lancer à leur poursuite, palpant le sol à la recherche de sa bourse. L’obscurité se fit bientôt trop importante pour espérer retrouver quoi que ce soit, si tant est que l’animal l’avait lâchée dans sa fuite. Aussi, après une demi-heure de vaines recherches dans le froid et le noir, il revint bredouille à son campement. Sa journée pouvait-elle encore empirer ?
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