Chapitre 11: La bougie éclairant un nouveau chemin
Fixant les flammes danser devant lui, Amset avait perdu la notion du temps. Il était fatigué, épuisé même, et complètement déprimé. Pourtant, il était trop préoccupé pour s’endormir. Le prêtre n’avait plus aucun endroit où aller. Réunion ne l’accueillerait pas plus qu’il ne pourrait louer les services d’un cocher et rentrer chez lui. Quant à s’essayer de traverser le Tunnel Ste-Barbe par lui-même, c’était du suicide. Il risquerait de s’y perdre, ou simplement de mourir de faim ou de soif.
Il avait beau réfléchir, il ne trouvait pas de solution à ses problèmes. À moins qu’il ne retrouve par miracle sa bourse dérobée par le lilifuris… Hélas, l’animal pouvait déjà être très loin et la végétation était telle que, même s’il ne s'était pas trop écarté, ses chances restaient infimes. Pensif, il ne vit pas tout de suite que quelqu’un s’était rapproché, silencieusement, de son petit campement.
Lorsqu’il le remarqua, Amset eut un sursaut. L’inconnu était assis en face de lui, sur une souche d’arbre. Il portait une vieille toge rapiécée, couverte de trous, ainsi qu’une étrange coiffe, trop grande pour sa tête, qui cachait jusqu’à ses yeux. Par contre, de longs cheveux blancs en dépassaient jusqu’aux épaules. Derrière son dos, il transportait un large sac rempli à ras bord. Outre son apparition soudaine, c’était la manière qu’il avait de le regarder, supposait-il du moins, en exposant un grand sourire de dents blanches, qui mit le cultiste mal à l’aise.
— Vous me semblez bien soucieux, mon jeune ami, lança-t-il soudain, rompant le silence de la nuit. Je me trompe ?
— C’est bien le cas, répondit Amset avec un frisson. Je peux savoir qui vous êtes ?
— Rien de plus qu’un modeste vendeur de bougies, se présenta l’homme en s’inclinant légèrement. Je suis venu à Réunion vendre un peu de ma marchandise. Et vous ? Vous êtes prêtre, si je ne m’abuse ? Que faites-vous donc dehors à cette heure-ci ?
Amset déglutit, inquiet. Comment cet énergumène pouvait-il savoir qu’il appartenait au Culte ? Baissant la tête, il relativisa vite. Il portait sa toge de prêtre sous sa couverture. Un bout devait être visible, pensa-t-il.
— J’étais venu à Réunion pour devenir missionnaire. Seulement, il n’y avait pas de travail qui me convenait et j’ai eu des embrouilles avec l’Évêque…
— Vous allez donc rentrer en Assyr ?
— Hum… malheureusement, j’ai… j’ai perdu ma bourse… je n’ai plus d’argent, je ne peux payer mon retour…
Le malaise grandissait de plus en plus. Ce type savait manifestement des choses à son sujet. Amset n’avait pas le teint aussi basané que les autres Assyriens, du fait de ses aïeuls. Aussi lui demandait-on souvent d’où il venait avant de deviner en observant son crâne rasé. Cette fois-ci pourtant, il portait le turban cyan offert par Hypatie. Comment avait-il si aisément deviné ses origines ? Ou bien était-ce sa frilosité qui était si visible ?
— Quel manque de veine ! ricana l’homme. Si vous me permettez le jeu de mots, vous êtes dans de beaux draps !
Amset, encore une fois, resta dubitatif, avant de comprendre qu’il s’était effectivement emmitouflé dans des draps. Mais il n’avait pas le cœur à rire à cette plaisanterie.
— Enfin, je suppose que, pour vous qui priez Lithé et Meroclet, ce type d’incident ne concerne en aucun cas la chance, poursuivit l’inconnu en élargissant son sourire.
— Je vous demande pardon ?
— N’est-ce pas vous qui pensez que les Dieux sont à l’origine de tout acte et de tout évènement, même du plus insignifiant ? Ce qui vous est arrivé aujourd’hui n’est peut-être pas tant une catastrophe, mais le départ d’un nouveau chemin de vie… ?
Amset resta bouche bée. Ce vendeur de bougies avait peut-être raison… ? Il avait pensé tout à l’heure que les Dieux le guidaient jusqu’à Mgr Ascalaphe. Suite à sa déconvenue avec l’Évêque, il avait quelque peu abandonné cette idée. Le sort semblait s’être acharné sur lui depuis, or ce ne pouvait être qu’une manifestation de ces deux déités… C’était du moins ce que la logique du Culte proclamait d’ordinaire.
Oui, mais dans ce cas, à quel « chemin de vie » le Chuchoteur et le Bâtisseur le destinaient-ils ?
— Si vous voulez mon avis, notre rencontre y est peut-être tout aussi liée, annonça le marchand en ôtant les lanières de son sac pour le déposer et fouiller à l’intérieur. Ah, le voilà !
Amset se pencha en fronçant les sourcils pour mieux voir ce que son interlocuteur avait déniché. L’homme aux cheveux blancs venait de sortir un étrange pendentif serti de pierres noires qui reflétaient les flammes du campement. C’était un beau bijou, avec des mailles courbées telles que le prêtre n’en avait jamais vues. Il n’aurait su dire pourquoi, mais à la vue de l’objet, Amset ressentit une étrange impression, comme une pierre sur l’estomac. Il releva la tête, dubitatif.
— Si vous voulez me le vendre, je n’ai pas d’argent, vous le savez…
— Je ne me permettrais pas de vendre ce qui ne m’appartient pas ! répliqua-t-il avec malice.
Amset ouvrit la bouche sans qu'aucun son n'en sorte. Son regard passait du pendentif à l’homme qui le lui présentait, sans comprendre où ce dernier voulait en venir.
— J’ai autrefois rencontré la propriétaire de cet objet. Lors de mon précédent voyage en Cyanide, j’ai fait escale dans un charmant village du nom de Nochélys.
— Nochélys, répéta Amset dans un souffle.
Il avait déjà entendu ce nom. Ce n’était pas plus tard que cette après-midi, dans le bureau de Mgr Ascalaphe, qui disait ignorer si le bourg existait réellement.
— Il s’agit du pendentif de la Guide du village. C’est un bijou qui se transmet de génération en génération, m’avait-elle expliqué. Je l’ai retrouvé, par hasard, dans un nid de lilifuris. Ces espiègles créatures sont de drôles de petits voleurs !
— Je ne vous le fais pas dire, grommela Amset en se renfrognant.
— Hélas, on m’attend autre part et je ne sais quand je pourrai revenir en Cyanide. Il y a de plus en plus d’agitation dans le coin, je préfère observer ça de loin. Si vous vouliez vraiment partir à travers le pays afin de propager le Culte, vous pourriez en profiter pour remettre son amulette à la Guide ?
— Vous souhaitez que je fasse la livraison pour vous ?
— On peut dire ça comme ça. Vous pourriez vous installer là-bas, le temps de trouver une solution ? Les Cyanidiens, contrairement à ce que les étrangers pensent, sont très accueillants.
Amset souffla un coup puis reporta son attention sur le bijou. D’un geste machinal, il tendit le bras et attrapa l’objet. Le métal entre ses mains était froid, glacial même. Il le rapprocha de son visage et l’inspecta plus minutieusement. Les mailles ressemblaient à un serpent à deux têtes. Chacune mordait les ailes d’un rapace serti de belles pierres noires dans lesquelles se reflétaient les flammes.
— Par la Pestilence ! s’écria-t-il en écarquillant les yeux. Ces pierreries, serait-ce du Khême ?
Le Khême était une des matières minérales parmi les plus chères au monde. Il avait la réputation d’être très compliqué à manipuler et à sertir. Peut-être le peuple de Cyanide connaissait-il un secret que les autres pays ignoraient à son sujet ? Jusqu’à présent, il n’en avait jamais vu que sur les rares Reliques saintes qu’il avait eu l’occasion d’approcher avec son ancien maitre, à Nopila.
— Oh, sans nul doute que vous pourriez en tirer un très bon prix, confirma le vendeur de bougies. Vous pourriez payer votre retour à Poncho et vaquer à votre petite vie tranquille. Ou alors…
Il laissa sa phrase en suspens quelques secondes puis se releva en attrapant son sac. D’un geste, il s’inclina légèrement, son mystérieux sourire s’étalant toujours un peu plus avant d’entamer son départ.
— Attendez, vous n’allez pas vous aventurer quelque part à cette heure ?! s’exclama Amset en se relevant lui aussi.
— Ne vous souciez pas de moi, jeune homme ! Songez plutôt à ce choix que je vous offre ! À moins que ce ne soit un coup des Dieux ?
Amset essaya de marcher pour le rattraper, mais il se vautra lamentablement du fait de ses couches de draps dans lesquelles il s’était emmitouflé. Lorsqu’il se releva, le vendeur de bougies avait déjà disparu dans la pénombre de la nuit. Et un nouveau doute vint saisir le jeune prêtre. Comment cet homme avait-il su que le village dont il avait la charge se nommait Poncho ?
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