Chapitre 14: Au son de la lyre
Le voyage d’Amset à travers la jungle du pays durait maintenant depuis cinq jours. S'il avait eu l’occasion de voir deux autres géants au long cou durant son périple, jamais ils ne s'étaient montrés hostiles. Ils se contentaient de manger, complètement indifférents aux autres êtres vivants autour d'eux. Il fallait simplement veiller à ne pas se trouver sur leur chemin lorsqu’ils se déplaçaient, sous peine d’être écrabouillé sous plusieurs tonnes.
Les oiseaux multicolores avaient défilé sous ses yeux, sans qu'il ne parvienne à en capturer un pour le faire passer à la casserole. Son régime alimentaire était resté concentré sur les fruits, qu’il avait appris à mieux connaitre et, surtout, à mieux choisir. Il avait malgré tout réussi l’exploit de capturer un lapin dont il s’était fait un petit festin la veille.
Il avait d'ailleurs croisé leur plus terrible prédateur lors de son voyage. Les aurulves, des félins aux longues oreilles, peuplaient aussi bien la Cyanide que le reste du monde. Mais ils n’étaient pas les seuls chasseurs dans le coin. Plus d’une fois, de grands serpents s’étaient trahis dans les hautes herbes par leurs mouvements et leurs sifflements. Amset ne les avait pas réellement aperçus. Il préférait justement éviter de rentrer en contact avec de nouveaux reptiles. D’autant qu’ils semblaient beaucoup plus grands que ceux dont il avait l’habitude dans le désert de l’Assyr.
Deux nuits plus tôt, il avait été attaqué par une bande de petits primates qui s’étaient jetés sur son bivouac pour en arracher des morceaux de tissu. Il avait bien failli se faire mordre par ces créatures nocturnes, mais quelques coups de bâton bien placés avaient suffi à les mettre en fuite. Il s’était forcé à veiller plusieurs heures pour prévenir d’une nouvelle attaque avant de tomber de fatigue.
Ainsi était la nature de Cyanide, parfois belle, parfois bien agressive, et même souvent vicieuse. Les moustiques du territoire avaient dû boire au moins deux litres de son sang, songeait le jeune prêtre. Heureusement, ce n’était pas l’eau qui manquait. Il y avait de nombreuses petites rivières sur son chemin dans lesquelles il pouvait puiser de quoi remplir sa gourde. Il devait aussi se méfier de certaines plantes urticantes. L’une d’elles s’était même mise à le fouetter de ses lianes épineuses lorsqu’il était passé à côté.
Amset en apprenait tous les jours. Malgré les pièges de la faune et de la flore, la quiétude de la jungle plaisait à l’Assyrien plus qu’il ne l’aurait cru. Néanmoins, il avait hâte d’entendre le son d’une voix humaine.
Selon ses calculs, ou plutôt ses espoirs un brin surréalistes, il ne devrait plus tarder à atteindre le village de Nochélys. Certes, Ascalaphe s’était montré pessimiste quant à son existence. Par contre, le vendeur de bougies, lui, avait affirmé y être passé autrefois. Amset était persuadé d’être parti dans la bonne direction. Mais dans ce cas, pourquoi n’avait-il encore vu aucune trace de présence humaine ?
Le cultiste continuait sa route lorsqu’il sortit d’une épaisse zone boisée. Devant lui s’étalait une vaste plaine d’herbes hautes, parsemées de plusieurs bosses de terrain. Les végétaux lui arrivaient jusqu’au nombril. Le jeune prêtre espérait ne pas y croiser de serpents, ou pire… Armé d’un bâton de marche, il s’avança prudemment en écartant les herbes avant de poser les pieds n’importe où.
Il se déplaçait ainsi à pas lent lorsqu'un drôle de son parvint à ses oreilles. Il se figea. Ça n’avait plus rien à voir avec le chant des oiseaux colorés. C’était des notes de musique, faites avec un instrument à cordes. En se laissant guider par cette petite mélodie, Amset pressa le pas, abandonnant toute prudence. Il y avait quelqu’un dans les parages. Pour la première fois depuis Réunion, il allait rencontrer un autre être humain !
Les herbes devenaient de plus en plus hautes au fur et à mesure qu’il avançait en suivant les notes harmonieuses de l’instrument. Très vite, elles commencèrent même à lui cacher la vue. Dans son empressement, il faillit bien se cogner contre un étrange monticule recouvert d’un nouveau type d’herbes, plus sèches, qu’il n’avait pas encore rencontré. Qu’à cela ne tienne, il l’escalada aussi bien qu'il put et, arrivé au-dessus, il aperçut enfin le responsable de la musique qui l’avait amené jusque-là.
C’était une jeune femme, assise dans un coin où l’herbe n’était pas plus haute que les pieds, contre un arbre fruitier. Elle portait une tunique courte, aux couleurs vert foncé, recouverte par un long manteau bordeaux serti d’une capuche qu’elle avait retirée. Elle avait des cheveux noisette, coiffés en une étrange tresse qui formait comme une couronne autour de sa tête. La jeune fille semblait paisible, seule, jouant de sa lyre les yeux fermés, s’abandonnant à sa musique. Amset, à l’observer sans un bruit, se laissa happer par l’air étrangement mélancolique qui s’échappait de son instrument.
C’est alors qu’un grognement mécontent vint le sortir de sa rêverie. Un bruit qui provenait du monticule, celui-là même sur lequel il se trouvait.
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