Chapitre 16: Dompteur ?

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 — J’ai des milliers de questions à te poser, murmura Amset lorsqu’elle eut terminé sa petite sérénade.

 — C’est drôle, j’en ai aussi pour toi ! répondit-elle. Qu’est-ce que tu fais ici ? Ce n’est quand même pas pour m’écouter jouer de la musique que tu as fait tout le chemin depuis ton volcan.

 — Heu, je n’habite pas près d’un volcan. Je viens d’Assyr, comme je te disais et…

 — Et c’est où, ça, l’Assyr ? l’interrompit-elle, l’air très sérieuse.

 Le jeune prêtre resta un instant bouche bée. Il ne lui était pas venu à l’idée qu’elle ne connaisse pas son pays. Pourtant, lui-même découvrait seulement les facettes de la Cyanide. Peut-être que son ignorance n’était-elle pas si illogique que ça.

 — Mon pays est essentiellement composé d’un vaste désert, expliqua-t-il. Il y a du sable à perte de vue, il y fait très chaud en journée. La plupart des Assyriens s’habillent court et tous les hommes ont le crâne rasé pour mieux supporter la chaleur.

 — Quoi, tu n’as pas de cheveux ? s’écria-t-elle, presque scandalisée. Je comprends mieux pourquoi tu portes ce drôle de couvre-chef !

 — C’est un cadeau d’une amie ! Les Assyriens ont aussi un teint très bronzé, avec une peau sombre. Moi, mes grands-parents venaient de Cobaltique, du coup j’ai une peau moins foncée.

 — La Cobaltique ? répéta-t-elle, curieuse. C’est où ça, cette fois ? Près d’un volcan ?

 — Non, non, soupira Amset avec un sourire amusé devant cette obstination. C’est un pays par-delà les mers, mais je n’y suis jamais allé. L’Assyr, par contre, se trouve derrière le Massif de Laya.

 Il pointa du doigt vers l’horizon où on pouvait encore voir, au loin, la vaste chaîne de montagnes qui séparait l’Assyr de la Cyanide. La jeune fille laissa son regard s’y abandonner quelques instants avec une bouche grand ouverte avant de se tourner vers lui, des étoiles plein les yeux.

 — Mais alors, tu viens de l’autre côté ! T’es le premier que je rencontre, comme ça ! Dis, tu voudras bien me parler de comment les gens vivent, là-bas ? Qu’est-ce qu’ils mangent ? C’est grand ? Vous faites parfois la fête ? Vous avez quoi comme animaux ? Vous avez des oiseaux, vous aussi ?

 Elle l’assomma encore quelques minutes de questions, sans lui laisser le temps de répondre à une seule d’entre elles tant elle en avait, la plupart désarçonnantes de simplicité. Lui qui devait l’interroger, les rôles s'en trouvaient inversés.

 — Tu es loin de chez toi, du coup, conclut-elle. Tu es quoi, une sorte d’explorateur ?

 — On peut dire ça comme ça, bredouilla Amset, gêné, voyant enfin une occasion d’en placer une. En fait, je suis à la recherche d’un village du nom de Nochélys, j’espérais que tu pourrais me renseigner.

 Le sourire d’Orbia disparut soudainement et son visage s’assombrit. Elle se renfrogna puis replia ses genoux contre sa poitrine, l’air triste, désormais.

 — Nochélys n’existe plus, répondit-elle avec moins d’entrain que ce à quoi elle l’avait habitué. Il n’y a plus personne, maintenant.

 — Oh. Je… je suis désolé.

 S’il ignorait ce qui était arrivé à Nochélys, il était évident que le simple fait d’y penser donnait le cafard à cette jeune Cyanidienne, aussi Amset réfléchit à toute vitesse pour changer de sujet. C’est en regardant la grande bête contre laquelle ils reposaient qu’il trouva une échappatoire.

 — Tu le connais depuis longtemps, cet animal ?

 — Célian ? s’étonna Orbia, oubliant soudain ses pensées moroses. Il vit dans cette plaine depuis plusieurs années, maintenant. Il vient souvent m’écouter quand je joue.

 — Et heu… c’est quoi exactement ?

 — Un velucéros, bien sûr. Vous n’en avez pas, chez vous ?

 Amset poussa une exclamation mêlant surprise et évidence. S’il n’en avait jamais vu auparavant, le nom de velucéros ne lui était pas inconnu pour autant. Un célèbre conte qui se déroulait à Percim mettait en scène un de ces animaux que devait affronter le premier Perçant de l’histoire. Pour dire vrai, le jeune prêtre pensait jusqu’ici qu’il s’agissait d’une espèce imaginaire.

 — La faune d’Assyr est moins riche que la vôtre, se défendit-il. Or donc, tu es une Dompteuse, si j’ai bien compris ?

 — Une Dompteuse ? C’est quoi ?

 — C’est des gens qui naissent avec le Don de communiquer avec les animaux, bredouilla Amset, s’étonnant encore de devoir expliquer ce qu’il croyait être une évidence. La façon que tu as eu de l’arrêter et de le caresser, je suppose que…

 — Attends, tu veux dire que tu ne sais pas le faire, toi ? lança-t-elle avec surprise. Tout le monde en était capable, au village !

 — Tout le monde ? répéta Amset, les yeux écarquillés. Vraiment ?

 Il existait en Terre des Murmures quelques pouvoirs, les Dons, qui étaient associés à la naissance à de rares personnes. Si le Don dit du Dompteur était le plus répandu dans le monde, Amset n’avait jamais rencontré plus d’une dizaine d’hommes ou de femmes à présenter ce lien particulier avec les animaux. Aussi ne pouvait-il être qu’étonné d’apprendre que toute la population d’un village était capable, à la manière d'Orbia, de communiquer avec les bêtes sauvages.

 — Ça remonte à longtemps, mais je suis sûre que tout le monde en était capable, confirma Orbia. Je pensais que c’était la norme.

 — Eh bien, disons que, chez moi, c’est assez exceptionnel, bredouilla Amset.

 — Si tu veux, je t’apprendrai !

 Le jeune prêtre se retint de souligner que, s’il s’agissait d’un don de naissance, il était illusoire de tenter de lui apprendre quoi que ce soit. Peut-être songeait-il déjà que ce serait de trop belles occasions de passer du temps avec elle.

 — Excuse-moi de revenir là-dessus, demanda Amset, embarrassé. Mais si Nochélys n’existe plus, toi, où est-ce que tu vis ? Il y a un autre village dans le coin ou…

 — J’habite une petite cabane avec Barabbas et Quetzu, un peu plus loin. On est les seuls humains à plusieurs kilomètres à la ronde.

 — Les seuls ? Mais… comment est-ce que vous faites pour vous nourrir, vous habiller, vous distraire… ?

 — On chasse et on cultive, répliqua-t-elle en s’étirant pour se mettre plus à l’aise. Parfois, Barabbas s’absente quelques jours et revient avec de nouveaux vêtements, j’ignore où il les trouve. Par contre, c’est vrai que pour la distraction, on n’est pas très bien servis.

 Quelle simplicité, pensait le jeune homme. Les villageois de Poncho et d’ailleurs avaient tous ce souci de travailler pour s’offrir ce qu’ils ne pouvaient produire eux-mêmes. Cette jeune femme vivait à l’écart de tout, sans se soucier des tracas du monde, dans un quotidien qu’Amset n’aurait jamais imaginé auparavant.

 — Tu me présenteras à tes amis ? se risqua-t-il en rougissant.

 — Bien sûr ! Quetzu est ici depuis un moment, d’ailleurs. Sors de là !

 Amset fronça les sourcils avant de sursauter. Il y avait des mouvements dans les hautes herbes. Sortant d’abord sa tête parée d’une collerette rouge sang, un grand serpent s’approcha d’eux. Son corps était recouvert de plumes de toutes les couleurs. On avait presque l’impression de voir un arc-en-ciel vivant ramper vers eux. L’animal se posa en face du jeune homme, comme pour le toiser. Celui-ci déglutit, intimidé, tandis que le reptile sortait sa longue langue fourchue avant de pousser un léger sifflement, ponctué par le rire d’Orbia.

 — Voilà Quetzu ! C’est un serpent à plumes, je l’ai vu éclore quand j’étais toute petite. Quetzu, voilà Amset, il vient de l’autre côté de la montagne, près d’un volcan.

 Amset se sentait encore trop impressionné par le reptile pour nier pour la troisième fois déjà vivre à côté d’un volcan. Il ignorait si elle faisait exprès de le répéter à tout bout de champ ou si elle y croyait vraiment. Le long serpent approcha lentement sa tête du jeune prêtre, ce qui n’était pas pour le rassurer, et lui donna un petit coup de langue sur le nez. Il se retint de sursauter ou de réagir, par peur d’une réaction violente. Puis Quetzu recula, l’observant avec intérêt. Il retourna près d’Orbia et monta dans son dos pour se poster sur ses épaules.

 — Quetzu a raison, je vais devoir retourner chez moi, soupira-t-elle tandis qu’elle passait sa main dans ses plumes, sans la moindre crainte.

 — Je peux t’accompagner ? Je n’ai nulle part où aller et…

 — Bien sûr ! sourit Orbia avant de soudain paraitre inquiète. Par contre, je ne sais pas si Barabbas sera d’accord pour que tu restes… Il est un peu… territorial.

 — Je trouverai une manière de me rendre utile ! proposa le jeune homme. Je te suis !

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