Chapitre 18: Le village abandonné
Tandis qu'il avançait entre les arbres, Amset se sentait perdu. Il n’avait pas retenu le chemin qu’il avait emprunté avec Orbia. De toute façon, il n’était pas sûr de vouloir retourner sur la plaine où ils avaient laissé Célian le velucéros. Il craignait que l’animal, en l'absence de la jeune femme, lui fonce de nouveau dessus. À y réfléchir, Nochélys, son objectif, n’existait vraisemblablement plus, comme l’avait prédit Mgr Ascalaphe. Et l’un des seuls humains dans les parages ne voulait pas de lui. Alors peu importe où il allait, désormais…
Au fur et à mesure qu’il avançait, il avait l'impression que le ciel s’obscurcissait. Ce n’est qu’en quittant l’ombre des arbres qu’il comprit que c’était effectivement le cas. De gros nuages gris avaient envahi les cieux et menaçaient de faire tomber des trombes d’eau sur la Cyanide. Ses pièces de tissu ne seraient certainement pas efficaces contre la pluie, il allait donc devoir rapidement trouver un abri s’il ne voulait pas attraper la crève.
Observant les alentours, il soupira. Il ignorait vers où se diriger. C’est alors qu’un oiseau se posa sur son épaule, un bel animal aux plumes rouge groseille et exposant une houppette jaune sur la caboche. Amset sursauta d’abord puis regarda la bête avec incompréhension. L’oiseau le regardait dans les yeux, comme pour lui faire comprendre quelque chose. Sans crier gare, il quitta son épaule, s’envola un peu plus loin et se posa sur une branche avant de se retourner vers le jeune prêtre. D’abord circonspect, celui-ci décida de le suivre. Il n’avait de toute manière pas beaucoup d’autres options.
L’oiseau, chaque fois qu’il s’en rapprochait, s’envolait, mais en restant toujours à vue. Il attendait le cultiste avant de se déplacer de nouveau. Un tel comportement était bien trop réfléchi pour n’être que du hasard, ce qui mit la puce à l’oreille du jeune homme. Un Dompteur devait lui avoir demandé de le guider et il n’en voyait qu’un pour ça, ou plutôt une. Le cœur réchauffé, il pressa le pas.
Le soleil continuait de perdre son éclat en présence des nuages quand l’Assyrien vit ce qui, de loin, paraissait être un village plein de maisonnettes. Il accéléra sans réfléchir, pensant d’abord qu’Orbia lui avait peut-être menti, mais il déchanta très vite. Le lierre recouvrait tous les bâtiments. Ceux-ci étaient couverts de fissures. Les restes d'une statue se tenaient sur un socle. Seules les jambes subsistaient encore. L’oiseau s’était posé sur les gravats et observait Amset avec intérêt, sans plus bouger. Ce dernier restait bouche bée en examinant le décor qui s'offrait à lui.
Nochélys, puisque c’était sûrement ce village, avait dû sombrer depuis plusieurs années maintenant. La nature avait repris ses droits. Presque toutes les fenêtres avaient été brisées. Dans l’obscurité grandissante, Amset avait de plus en plus l’impression d’être en plein milieu d’une ville fantôme. Il regardait tout autour de lui, sans comprendre ce qui avait bien pu arriver à cette place. Autrefois, c’était certainement une bonne centaine d’hommes et de femmes qui foulaient cette même terre tous les jours. Aujourd’hui, il n’y avait plus personne. En marchant, il remarqua, par terre, la présence d’une sorte de sac que les herbes et la terre avaient partiellement recouvert. Il se baissa et l’arracha du sol auquel il s’était pour ainsi dire fixé et déglutit. C’était une tunique, vieille et crasseuse, qui avait dû appartenir à une femme. Si le temps et la saleté avaient effacé les couleurs, la forme restait reconnaissable.
Amset ne savait quoi penser de tout cela. Il resta immobile jusqu’à ce qu’il sente tomber les premières gouttes de pluie. Il pesta intérieurement et se débarrassa de la tunique. Du regard, le prêtre chercha un bâtiment dans lequel il pourrait entrer. L’oiseau rouge venait de se poser sur le toit d’une maisonnette qui semblait en meilleur état que les autres. Il déchira le lierre qui bloquait la porte avant d’enfoncer cette dernière et pénétra à l’intérieur.
Là-bas, il trouva une petite table en bois qui s’était effondrée, manifestement rongée par des insectes. Un coin à feu était encore accessible au fond, mais Amset ignorait si la cheminée serait en état d’évacuer la fumée. Des armoires semblaient avoir été forcées et ne contenaient plus rien. L’endroit n’était pas très accueillant. Néanmoins, la pluie qui commençait à tomber en trombe convainquit le jeune prêtre de rester là, au moins pour cette nuit.
Il essaya d’installer dans un coin de la petite maisonnette son bivouac habituel, se recouvrant de tous les draps qu’il avait à disposition pour ne pas finir frigorifié. Comme il inspectait la cheminée avant d'y faire son feu, un battement d’ailes attira son attention. L’oiseau était entré à son tour et s’était posé au-dessus d’une armoire cassée. Amset se sentait rassuré de l’avoir avec lui. C’était un peu comme si Orbia veillait sur lui, malgré les remontrances de Barabbas.
Finalement, il parvint à dégager la cheminée des plantes qui s’y étaient engouffrées, du moins en partie. Avec les pierres que David lui avait confiées, il y alluma un petit feu. Il brava ensuite la pluie à la recherche de fruits. Hélas, il revint presque bredouille. Cette fois encore, il n'allait pas pouvoir faire la fine bouche. Frissonnant et fatigué, il s’endormit cette nuit-là en appréhendant la journée à venir. Comme il le fixait, il en vint à se demander quel goût pouvait bien avoir cet oiseau, aussi sympathique soit-il.
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