Chapitre 22: Les huit Colosses du Culte

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 Ce jour-là, comme tous les précédents, Amset retrouva Orbia assise sur leur souche d’arbre. C’était toujours elle qui arrivait en premier alors que l’Assyrien s’arrangeait parfois pour partir en avance. Elle jouait souvent de la lyre en l’attendant et c’était le cas cette fois-ci encore. Il s’assit à côté d’elle et cette dernière lui adressa un de ses beaux sourires, si simples et pourtant si agréables. Pas loin d’eux, Quetzu se reposait dans l’herbe. Il était difficile de dire s’il dormait ou non, car il n’avait pas de paupière. Aussi, si ses yeux restaient grand ouverts, il n’en restait pas moins immobile.

 — Tu as vu ce nuage ? lança Orbia au terme de sa mélodie. On dirait un crocame !

 Elle désignait un grand panache blanc qui avançait lentement dans le ciel. Le prêtre se redressa et fronça les sourcils. Ils avaient déjà plusieurs fois joué à ce jeu d’associations. Cependant, étant issus de deux cultures très différentes, il arrivait que ce que l’un désignât soit connu sous un autre nom par l’autre. Et encore, à condition d’avoir un équivalent de chaque côté de la montagne. Dans ce cas-ci, Amset entendait ce mot pour la première fois. Néanmoins, la silhouette qui se dégageait dans le cumulus ne lui était pas étrangère. On y devinait quatre pattes, une queue touffue et même un museau caractéristique de cette bête qui hantait les bergers.

 — On a sûrement le même genre d’animal chez moi. Nous, on appelle ça des loups. Enfin, ça dépend, ils font quelle taille, ici ?

 — Ils sont assez petits, répondit-elle en plaçant sa main un peu plus bas que ses genoux. Ils vivent en grandes meutes et sont très hargneux ! Il n’y en a pas vraiment dans le coin, mais je sais qu’on en trouve par centaines au plus profond de la jungle.

 — Alors ce sont plutôt comme des lupus, supposa Amset. Je sais qu’il y en a aussi au Denimope et en Cobaltique. Ceux d’Assyr, les loups communs, font plutôt cette taille. Leurs meutes ne dépassent pas dix individus, je crois.

 Il avait élevé la main au niveau de son ventre, ignorant s’il visait juste ou pas. Il n’avait jamais réellement vu de près un loup. Orbia regarda son estimation, perplexe, avant de s’étirer les bras.

 — C’est drôle que cet animal vive aussi chez vous, sous un autre gabarit !

 — Il parait qu’il en existe des spécimens gigantesques en Majorique, ajouta distraitement l'Assyrien. Les loups solitaires. Si grands qu’ils ne feraient qu’une bouchée de nous. Evidemment, ce n’est rien comparé au Colosse Friner.

 — Qui ça ? Vrimère ?

 — Friner, corrigea le prêtre. C’est un des huit Colosses du Culte. On le désigne comme le Roi et père des loups.

 — Et c’est quoi, un Rolosse ?

 Amset resta interdit. Il avait décidément du mal à se faire à l’idée qu’Orbia ne connaissait rien au Culte. Il avait essayé de lui expliquer les principes et les bases de sa religion. Seulement, la perspective de voir les deux Dieux décider de chaque action et de chaque évènement ne lui avait pas beaucoup plu. Orbia n’aimait pas cette idée. Elle affirmait avoir le droit de choisir sa propre destinée. Si Amset avait essayé de la raisonner, en avançant qu’il était certainement arrivé ici grâce à eux, Orbia, elle, n’en démordait pas. Elle ne croyait pas au destin tout tracé, même si celui-ci pouvait l’avoir été par bienveillance. Le cultiste avait alors décidé de ne pas l’embêter plus que cela, pour le moment du moins. Mais maintenant qu’elle lui posait une question sur le sujet, il se devait, en tant que missionnaire, de sauter sur l’occasion.

 — Ce sont les êtres les plus proches des deux Dieux, expliqua-t-il. Chacun d’eux a eu une incidence particulière sur l’histoire du Culte. Ils n’interviennent que lorsque les hommes ne sont pas capables d’accomplir les volontés des Dieux ou leur demandent de l’aide.

 — Chez nous, on a les esprits de la Cyanide, intervint Orbia. Ils voyagent à travers le pays et apportent la prospérité sur leur passage, à leur façon. C’est peut-être les mêmes que vous ? Dis-moi, qui sont ces Molosses ?

 — Par où commencer…, hésita Amset, enthousiaste. Psyendé est la première Colosse de l’histoire. Elle est née parmi les hommes et c’est elle qui a apporté le Culte à ceux-ci. Surtout, elle a offert le don de l’écriture et de la lecture à l’humanité, ainsi que la science des parchemins. C’est aussi celle qui a démarré la première Croisade, au départ d’Emor. On dit qu’elle est capable de manipuler la matière sans la toucher.

 — Vraiment ? C’est un peu la créatrice de votre Culte, alors ?

 — On peut dire ça comme ça. Tout à l’heure, je te parlais de Friner. Lui, il a été élevé par un homme orgueilleux*¹ . On dit qu’il se nourrit des péchés et qu'il traque les hérétiques. Il est le père des trois races de loups et ceux-ci lui obéissent.

 — Il n’a pas l’air très sympa, celui-là…

 — Ce n’est pas le pire, reconnut Amset. La Pestilence*² et Vausturn peuvent prétendre au même titre. La première est l’incarnation même de toutes les maladies. Si quelqu’un tombe malade, c’est peut-être que la Pestilence lui a envoyé une punition, qu’il a quelque chose à se reprocher. Au contraire, si cette personne guérit, c’est que la Colosse n’a pas jugé nécessaire d’aller plus loin. Vausturn, par contre, est implacable*³. C’est un immense oiseau, plus grand qu’un roch, qui répand la mort à chaque battement d’aile. Il veille à garantir l’équilibre entre la vie et la mort. Ça ne l'empêche pas d'être toujours considéré comme un très mauvais présage.

  — Tu me fais froid dans le dos, marmonna Orbia dans un frisson. Ils n’ont pas l’air très rigolos, tes Tolosses.

 — C’est vrai que ceux-ci ne sont pas très sympathiques. Il y a aussi Lessmass, sûrement le plus énorme de tous. Les écritures disent de lui qu’il a la taille d’une île et qu’il apparaissait pour permettre de déplacer des troupes dans le but de démarrer de nouvelles Croisades, au temps où les bateaux n’existaient pas. Seboth est le suivant, c’est une sorte d’immense lézard aux écailles plus solides que le métal. Il fut le seul Colosse à prendre directement part aux combats pendant les différentes Croisades. Il est aussi le seul à avoir été tué, par Saint-Egild. Cette histoire est très longue, c’est un des piliers de notre Culte. Puis, il y a Jura, qui calme les tempêtes, veillant sur les vents et le ciel. Il serait le frère jumeau de Vausturn. Dans nos représentations, ses mains sont si grandes qu’elles lui servent d’ailes. Et enfin, il y a Scoléra.

 — Ah, celui-là, je le connais ! affirma Orbia à la grande surprise d’Amset. On a un esprit qui porte le même nom. Il guide les insectes pollinisateurs et assure un beau soleil afin de favoriser la pousse de plantes quand il passe ! Ma maman l’aimait beaucoup ! C’est le même ?

 — Ça m’étonnerait... Selon le Culte, Scoléra est un Colosse qui aide les hommes qui lui prouvent sa valeur. C’est aussi, depuis deux siècles, celui qui veille sur le Massif de Laya et empêche toute Croisade de démarrer en Cyanide, jugeant que les représentants du Culte n’ont pas encore mérité de passer dans ce dernier pays. Il aurait l’apparence d’un gigantesque mille-pattes. On prétend même qu’il serait capable de dévorer le soleil.

 — Beuh… Ce doit être du hasard, alors. Ils n’ont quand même pas l’air d’être très tendres. Tu en as déjà rencontré ?

 — Jamais, reconnut-il. Ils n’interviennent qu’en cas de nécessité et si les hommes les appellent. Sauf les Punisseurs et, dans ce cas, mieux vaut ne pas les rencontrer du tout !

 — Je préfère quand même les esprits de mon pays. Eux au moins, ils sont tous positifs. Dis, tu as parlé de « Croisades ». C’est quoi au juste ?

 — Ce sont des conquêtes du Culte, répondit-il, conscient qu’il devait choisir ses mots avec soin. Lorsqu’une terre n’est pas soumise à son autorité, ils envoient du monde sur place pour… pour propager nos croyances.

 — Par la violence et les armes, c’est ça ?

 Amset voulut nuancer ses propos, mais il ignorait quels arguments donner pour sauver les apparences. Orbia restait très méfiante envers tout ce qui concernait le Culte, à l’exception d’Amset lui-même. C’était sûrement l’effet des années passées avec ce Barabbas qui voyait la religion d’un si mauvais œil. Il n’avait pas envie d’insister, malgré sa propre foi en ses paroles. Après tout, qu’elle soit une hérétique ou pas, il appréciait énormément cette jeune fille. Il n’avait pas envie de tout gâcher. Que Lithé et Meroclet lui pardonnent, il laisserait désormais de côté son statut de prêtre, en sa présence en tout cas.

*1: L'histoire de la naissance de Friner est racontée dans le conte "Le garçon et le Roi Loup".

*2: La Pestilence est un personnage important du conte "La Pestilence et le joueur de flûte" .
C'est deux histoires sont disponibles sur Scribay dans le recueil "Les contes du vendeur de bougies".

*3: Les Colosses jumeaux apparaissent dans l'histoire de Skuld, le petit chaperon noir de jais.

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