Chapitre 23: Othniel

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 Après presque deux semaines, Amset avait déjà bien restauré sa demeure. Il n’avait presque plus de courant d’air grâce aux fenêtres de bois qu’il s’était fabriquées pour remplacer le verre brisé par les années. Orbia lui avait confié un couteau plus efficace que celui qu’il avait emporté et il taillait maintenant des flèches qui se plantaient dans les arbres, à défaut de toucher leur cible. Le jeune prêtre, optimiste, restait persuadé que ce n’était qu’une question de temps avant d'attraper sa pitance. En attendant, il avait encore tous les fruits nécessaires, même s’il commençait à être en carence de protéines et en excès de fibres…

 Comme tous les jours depuis son arrivée, lorsque vint midi, Amset abandonna son travail dans le but de rejoindre la Cyanidienne. Bien sûr, elle était déjà là lorsqu’il arriva sur place. Mais, contrairement à d’habitude, elle n’était pas assise contre leur souche d’arbre. Elle était debout, à faire les cents pas d’un air impatient. Lorsqu’elle le vit, elle se précipita vers lui, avec un grand sourire et des étoiles dans les yeux, pleine d’excitation.

 — Te voilà ! s’exclama-t-elle en attrapant sa main dans les siennes. Viens, il faut absolument que je te montre quelque chose !

 — Et quoi donc ? s’étonna Amset tandis qu'il se laissait entrainer par Orbia qui le tirait derrière elle.

 — Tu vas vite le voir, crois-moi ! Il ne passe pas souvent dans le coin mais c’est difficile de le manquer !

 Amset hâta le pas pour suivre le mouvement, son amie manifestement très pressée de lui montrer ce dont elle parlait. Même Quetzu, le serpent à plumes, semblait peiner à les suivre. Ils pénétrèrent dans la jungle, esquivèrent quelques plants de fouettissants et dérangèrent un groupe de lilifuris qui s’enfuirent en poussant de petits cris. Puis, un grand bruit sourd accompagné d’une nuée d’oiseaux colorés qui s’envolaient en pinaillant les firent s'arrêter net. Orbia pointa alors le doigt vers le ciel et Amset leva la tête, apercevant immédiatement ce qu’elle souhaitait tant lui montrer.

 Malgré les branches et les feuillages, il était difficile de rater l’immense animal au long cou, un spécimen de la même espèce que celui qu’il avait vu après quelques jours de voyage. Le géant se nourrissait placidement des plus hautes feuilles des arbres, sans accorder la moindre attention aux oiseaux qui protestaient pourtant à haute voix. L’immense lézard venait de provoquer la chute de leur arbre, accidentellement sans doute, en bougeant l'une de ses pattes colossales.

 Orbia se tourna vers Amset avec un grand sourire, les deux mains dans le dos comme une petite fille qui attendait une réponse admirative. Si le prêtre en avait déjà croisé, il ne pouvait s’empêcher d’ouvrir grand la bouche sans qu’aucun son n’en sorte. Ce n’était pas tous les jours qu’on rencontrait une créature aussi épatante que celle-ci !

 — C’est impressionnant, pas vrai ? lança-t-elle.

 — C’est le moins qu’on puisse dire ! Qu’est-ce que c’est exactement ?

 — On les appelle colligus. J’ai nommé celui-ci Othniel, il a environ deux-cents-ans !

 — Tu l’as nommé ? Tu veux dire que…

 — Oui, comme Célian, Paco ou Quetzu ! l’interrompit-elle en relevant de nouveau la tête. Ça n’a pas été facile pour qu’il me remarque la première fois, je peux te le dire ! De son point de vue, on est si petit qu’il nous confondrait avec des insectes !

 Derrière eux, Quetzu finissait enfin de les rattraper et agitait sa langue fourchue avec reproche sans qu’aucun d’eux ne lui prête attention, trop subjugués par Othniel. Puis Orbia attrapa de nouveau la main d’Amset et, sans lui demander son avis, le força à se rapprocher de l’immense colligus.

 — Attends, Orbia, ce n’est pas dangereux ? s’exclama l’Assyrien. S’il ne fait pas attention à nous, il ne risque pas de nous écraser par erreur ?

 — Ses mouvements ne sont pas très rapides, tu auras le temps de te carapater s’il fait mine de te marcher sur les pieds ! plaisanta Orbia. Non, ne t’inquiète pas, Othniel est inoffensif !

 Loin d’être tranquilisé, Amset resta silencieux à grimacer sans qu’elle le remarque. Ils s’arrêtèrent finalement au pied d’une des énormes pattes de l’animal qui ne les avait toujours pas remarqués. Orbia lâcha la main du prêtre et l’avança lentement jusqu'à rentrer en contact avec la peau couverte de grosses écailles grisâtres d’Othniel. Aussitôt le toucha-t-elle que le cou de celui-ci eut un mouvement de recul. Le colligus baissa la tête, qui paraissait bien petite en comparaison avec le reste de son corps. La Cyanidienne recula dans le but de rejoindre Amset, sans se rendre compte qu’il était presque devenu livide. La patte qu’elle venait de toucher se leva de quelques mètres pour permettre à son propriétaire de reculer et de mieux les observer par terre. Dès qu’il eut aperçu la jeune femme qui lui adressait de grands signes, la bête secoua sa longue et puissante queue, dégageant au passage d’innombrables feuilles des buissons et provoquant la fuite de nombreuses bestioles.

 — Salut, Othniel ! cria-t-elle en portant ses mains autour de la bouche pour faire porte-voix. Tu vas bien ?

 Pour toute réponse, le gigantesque poussa une sorte de plainte grave en secouant légèrement la tête avec un nouveau pas en arrière, ce qui renversa un petit arbre. Amset était partagé entre l’émerveillement et l’envie de fuir afin d'observer le spectacle de beaucoup plus loin, mais son amie semblait satisfaite de la réponse de la créature.

 — Tu veux bien qu’on monte, moi et un ami ? demanda-t-elle toujours le plus fort possible.

 Cette fois-ci, le colligus releva la tête et, au lieu de reculer, entama de pivoter, au grand dam des arbres qui furent dégagés par ses mouvements. En même temps, Othniel avançait, et donc s’éloignait quelque peu d’eux, ce qui fit d’abord penser à Amset que l’animal refusait. Puis il comprit qu’il s’était surtout déplacé pour leur présenter sa queue, telle une rampe qui leur permettrait de grimper sur son dos.

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