Chapitre 24: Mes rêves
— Tu viens ? Dépêche-toi !
Orbia s’empressa de grimper à un endroit de la queue qui restait accessible depuis le sol, là où elle était assez épaisse pour marcher dessus. L’Assyrien la regarda faire, hésita, puis déglutit. Il prit son courage à deux mains et imita son amie. Après quelques secondes de maladresse, il parvint enfin à se hisser. Il avança prudemment tandis qu'elle se trouvait déjà sur le bas du dos de la créature.
— Allez, le dernier arrivé est une bouse de velucéros ! lui cria-t-elle avant de s’élancer.
La Cyanidienne progressait sans le moindre mal sur cette peau couverte de pics osseux le long de la colonne vertébrale de l’animal. Le jeune homme eut à peine le temps de souffler. Il se dépêcha de la rejoindre, manquant de trébucher sur les pointes ou de perdre l’équilibre à cause d’un mouvement brusque du géant. Arrivé à la base du cou, il poussa un grand soupir. Orbia se servait maintenant des petits pics le long de la nuque comme d’appuis pour ses pieds et ses mains. Avec énormément d’appréhension, il l’imita, ne manquant pas de maugréer lors de sa longue ascension.
Après de lourds efforts, il vit une main se dresser depuis le haut de la tête d’Othniel. Il l’attrapa et Orbia l’aida à se hisser tout en haut, enfin arrivé à destination. Il reprit d’abord sa respiration, son cœur battant la chamade, puis rouvrit les yeux et poussa une exclamation admirative.
De là où ils se trouvaient, ils avaient une vue sur tous les alentours à plusieurs kilomètres à la ronde. Aussi pouvait-il contempler mieux que jamais la jungle et ses merveilles. Çà et là, un cours d’eau faisait sa route, et de nombreuses nuées d’oiseaux venaient colorer le ciel bleu, paré de quelques nuages cotonneux. Il y avait de vastes plaines dans lesquelles des animaux broutaient ou gambadaient. Depuis leur point de vue, même une créature de la taille de Célian paraissait toute petite. Plus loin, par endroit, de la fumée s’élevait, preuve d’une présence humaine. Cependant, à l'exception de la maisonnette d’Orbia, elles paraissaient toutes être à plusieurs jours de marche.
Le paysage était époustouflant. Amset n’avait pas souvenir d’avoir jamais vu quelque chose d’aussi impressionnant auparavant. Il restait là, bouche bée, sans parler, provoquant le gloussement d’Orbia. Celle-ci, assise à côté de lui, finit par se saisir de sa lyre qu’elle gardait attachée à la ceinture et se mit à jouer le même air mélancolique que le jour où ils s’étaient rencontrés.
Ils restèrent là, sur la tête d’Othniel, un très long moment, sans rien dire, s’abandonnant à la beauté du paysage et à celle de la mélodie de la Cyanidienne. Ils bougèrent à peine, uniquement lorsque l’animal se mit à reprendre son repas, se nourrissant des feuillages les plus hauts pour leur permettre de continuer d’observer le paysage. Ils restèrent si longtemps qu’ils purent même assister au début du coucher de soleil. Un spectacle encore plus magnifique qu’il ne l’était déjà, interrompu par l’arrivée de Quetzu. Ce dernier surprit Amset car le reptile révélait avoir des ailes cachées sous ses plumes colorées, arrivant par la voie des airs plutôt que par le cou du colligus.
— Tu ne regrettes pas d’être venu, j’espère ? demanda Orbia avec un large sourire.
— Pas le moins du monde.
— Dis-moi, Amset, reprit-elle ensuite d’une voix hésitante. Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ?
— Ce que je compte faire ?
— Oui, tu m’as dit que tu voulais rendre le collier à ma mère, mais maintenant que je l’ai récupéré, qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas partir, tu crois ?
— Je n’y ai pas encore bien réfléchi. C’est vrai que j’essaye d’améliorer mon quotidien là où je vis. Je ne sais pas si je compte rester longtemps ou pas.
— Tu as peut-être un rêve à réaliser, insista Orbia. Une raison qui t’a poussé à traverser la montagne et à quitter ton chez toi !
— Oh, ça... J’avais bien des choses en tête, mais disons que, maintenant, ce ne sont plus mes priorités.
Orbia ne lui répondit pas, silencieuse, observant le coucher de soleil qui teintait le ciel de couleurs plus chaudes, prémices de l’obscurité à venir. Devant ce mutisme qui ne lui ressemblait pas, Amset fronça les sourcils.
— Et toi, Orbia ? Tu veux faire quoi, dans le futur ? Tu as un rêve ?
— Un rêve, répéta-t-elle dans un souffle. Je crois bien que… J’en ai même deux.
Elle ne développa pas de suite, ce qui fit grandir la curiosité du jeune prêtre. Il se rapprocha un peu d’elle avant de lui demander de quoi il s’agissait.
— En fait, c’est bête. Je voudrais… Je voudrais rebâtir Nochélys. Revoir le village peuplé comme autrefois et même devenir à l'image de ma mère, la Guide sur qui tous les habitants peuvent compter. Je voudrais me rendre utile à mon peuple. D’un autre côté…
Elle se leva et se tint debout, risquant même un pas sur le crâne d’Othniel, ce qui alarma un peu Amset qui l’imita prudemment, de peur que l’un d’eux tombe et s’écrase au sol comme une bouse de velucéros.
— D’un autre côté, je veux aussi voyager ! s’écria-t-elle en écartant les bras. Je veux voir le monde, rencontrer des gens, des cultures, la faune et la flore des autres pays ! Je ne veux rien perdre des beautés de cette terre !
Puis elle se tourna vers Amset, avec un sourire triste, presque gênée.
— Mais je crois que je suis encore trop jeune et trop frêle pour aboutir à quoi que ce soit. Quand bien même, ces deux rêves sont incompatibles. Il me faudra faire un choix si, un jour, j’en ai la possibilité.
Elle souffla un coup, haussa les épaules et adressa un nouveau sourire franc à Amset qui, de nouveau, resta sans voix.
— Bon, Quetzu a raison, il faut qu’on rentre avant que la nuit tombe ! s’écria-t-elle en frappant dans ses mains, ce qui fit dangereusement sursauter l’Assyrien. Othniel va nous déposer par terre !
— Attends, tu veux dire qu’il aurait pu nous prendre sur sa tête depuis le sol ?!
Ils se chamaillèrent gentiment sur tout le chemin du retour, avant de se quitter lorsqu’ils arrivèrent à leur lieu de rendez-vous habituel. Alors qu’Orbia s’éloignait et lui adressait un dernier signe de main dans l’obscurité grandissante, Amset réfléchissait. C’était peut-être pour cette raison, après tout, que les Dieux l’avaient mené jusqu’ici.
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