Chapitre 27: Quelques bruits de pas
Les jours qui suivirent, Amset abandonna l’idée d’avouer ses sentiments à Orbia, du moins pour le moment. Il poursuivait son quotidien, travaillait d’arrache-pied le matin puis rejoignait son amie l’après-midi. Paco n’était pas encore revenu. Son absence commençait à être longue, si bien que même le jeune prêtre s’en inquiétait désormais. À vol d’oiseau, sa destination n’était pas si éloignée que ça. Les colombes pouvaient traverser toute l’Assyr en seulement quelques jours. À moins que les araquets ne soient beaucoup plus lents ?
Deux jours après l’épisode du bouquet, Orbia accueillit Amset avec une brochette de grosses sauterelles grillées. Elle prétexta que s’ils étaient amis, elle pouvait elle aussi lui offrir de la nourriture. Le jeune prêtre accepta le cadeau, gêné mais agréablement surpris. Il pensait que les Assyriens étaient les seuls à manger des insectes, les autres pays jugeant la pratique dégoutante. Ils ne savaient pas ce qu’ils manquaient ! Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas aussi bien mangé que ce soir-là !
Un matin qu’il travaillait dans une des maisonnettes pour en réparer les murs, le jeune homme entendit du mouvement dehors. Il n’y prêta d’abord pas grande attention, pensant qu’il devait s’agir d’un animal qui se baladait dans Nochélys. De temps à autre, un porc balayette, des lilifuris ou même un Domroch sauvage passaient par là. Célian le velucéros était bien resté plusieurs jours, réduisant drastiquement la hauteur des herbes du village. Puis les bruits de pas firent place à des murmures.
Amset se figea d’abord. Il tendit l’oreille, silencieux, afin de s’assurer qu’il ne s’était pas trompé. Ce n’était ni le vent ni un animal. Il y avait quelqu’un, dehors, qui chuchotait. Ces paroles firent vite place à des pas précipités. Calmement, le jeune homme déposa sa truelle de fortune et se saisit de son arc qu’il gardait avec lui, au cas où une proie s'approcherait du village. Lentement, sur ses gardes, il jeta un coup d’œil par la porte de la maisonnette. Comme la voie semblait libre, il sortit, prêt à tirer une flèche si nécessaire.
Deux intrus, peut-être trois, discutaient, cachés derrière des bâtiments. Ils n'avaient pas remarqué qu’ils avaient été repérés. Amset en profita pour se rapprocher à pas de loup. Furtivement, il s’arrêtait à chaque coin de mur afin de s’assurer qu’ils n’étaient pas là avant de poursuivre sa traque, une boule au ventre. Il ne savait pas du tout sur qui il allait tomber. Cependant, s’ils se montraient si discrets, c’était que leurs intentions n’étaient pas des plus réjouissantes.
Son anxiété ne faisait qu’empirer. Il se rapprochait dangereusement de la maisonnette où il avait élu domicile. De fait, lorsqu’il arriva assez proche de celle-ci, il vit quelqu’un devant la porte grand ouverte, regarder à droite et à gauche. Il montait la garde pendant que son ou ses comparses étaient à l’intérieur.
L’Assyrien déglutit. De ce qu’il pouvait voir, l’homme n’était pas armé. Il n’était pas bien vêtu, en vérité, un pagne ainsi qu’une vieille chemise défraichie et trouée. Il devait avoir seulement quelques années de plus que lui et paraissait tout aussi inquiet, sinon plus. L’homme du Culte hésita quelques secondes. Il savait qu’il ne pouvait pas laisser qui que ce soit lui dérober son matériel. Il prit son courage à deux mains et, après une grande expiration, sortit de sa cachette en visant le guet de sa flèche.
— Sortez de chez moi ! cria-t-il d’une voix plus forte et assurée qu’il ne l’aurait imaginée. Tout de suite !
L’homme devant sa porte sursauta. Mais, avant qu’il n’ait le temps de protester, l'intrus prit la fuite sous le regard impuissant d’Amset, qui ne pouvait se résoudre à tirer sur un autre être humain. Cependant, il ne devait surtout pas le montrer aux compagnons qui étaient, eux, encore dans la maison. Il fit donc semblant de l’ignorer tandis que le fuyard disparaissait dans la jungle. Il se rapprocha, l’arc toujours bandé, prêt à tirer. Depuis l’intérieur de sa baraque, il entendait quelqu’un proférer des jurons.
— Sortez ! répéta-t-il avec autant d’autorité que possible.
Soudain, il entendit un bruit de craquement suivi de nouveaux blasphèmes. Il accéléra le pas puis vit, horrifié, que l’intrus, un seul finalement, venait de passer par la fenêtre. Il avait arraché la réplique de bois qu’Amset y avait installée. Aussitôt, le prêtre jaillit en dehors de l'habitation pour en faire le tour, l'arc dressé devant lui. L’homme, un Assyrien comme lui à en juger par sa peau bronzée, détalait vers la jungle. Il avait les bras chargés des draps qui permettaient au cultiste de supporter les nuits froides. Il le somma de s’arrêter et, en désespoir de cause, tira sans prendre la peine de viser, espérant que voir la flèche filer suffise à l'intimider.
Mais voilà, peut-être les dieux avaient-ils guidé son projectile, car il se planta dans l’épaule du fugitif. Celui-ci s'étala au sol, non sans crier de douleur. Le visage d’Amset devint aussi pâle que possible. Il jura à son tour et courut vers le blessé. Il n’avait pas voulu lui faire de mal, juste l’effrayer pour récupérer ses affaires ! Avant qu’il puisse l’atteindre, l’homme s’était relevé. Le voyant se rapprocher de lui en vitesse, le malheureux abandonna son butin par terre et s’enfonça dans la jungle, comme son camarade.
— Attendez ! lui cria Amset, essoufflé et angoissé. Attendez…
C’était trop tard. Les deux inconnus avaient déjà disparu.
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