Chapitre 28: Remords
Ce jour-là, pour la première fois, Amset arriva avant son amie sur leur lieu de rendez-vous. Il attendit contre leur souche d’arbre un moment, silencieux, la tête baissée, les genoux pliés contre son torse, toujours un peu nerveux. Il sursauta presque quand Orbia s’assit à côté de lui. Elle s’était rapprochée en silence, sans qu’il ne la remarque. Quetzu était sur ses épaules, mais il en descendit et s’enfonça dans la jungle, comme il le faisait souvent, désireux de les laisser tranquilles.
— Salut ! lança-t-elle avec son entrain habituel. Tu en fais, une de ces têtes, tu as mal digéré quelque chose ?
— J’ai tiré une flèche dans l’épaule d’un type, ce matin, lui répondit-il sans y aller par quatre chemins.
Orbia perdit son sourire et passa de la surprise au malaise. Il lui raconta ce qu’il s’était passé et elle écouta sans broncher, acquiesçant juste par moment et retenant sa respiration lorsqu’il en arriva au moment fatidique.
— Il s’est ensuite relevé puis il s’est enfui. Je l’ai perdu de vue rapidement et… Et voilà…
— Tu as récupéré tes affaires, au moins ?
— Oui, il a tout lâché en recevant la flèche, frissonna le jeune prêtre. Je n’ai rien perdu, ni mes draps ni le couteau que tu m’avais prêté, qui était dedans…
La Cyanidienne souffla un soupir de soulagement et lui donna une petite tape amicale dans le dos.
— C’est déjà ça, au moins ta survie n’est pas en danger ! plaisanta-t-elle pour essayer de le faire sourire.
— Le problème n’est pas là. J’ai blessé cet homme… Je n’avais jamais blessé personne avant…
— Pas même un camarade quand tu étais enfant ?
— Heu… je ne m’en souviens pas…
— Ce type a essayé de te voler, lui dit-elle en posant une main sur son épaule. Tu as voulu défendre tes biens. Il a quand même essayé de s’enfuir avec. Tu as dit toi-même que tu ne pensais pas le toucher.
— Je l’ai quand même atteint !
— C’était un accident. Il n’y a pas mort d’homme, son compagnon va l’aider à se soigner, sûrement… il y a plein de plantes médicinales pour l’aider à cicatriser. Puis il a de suite su se relever, non ?
Le cultiste se contenta de hocher la tête, le regard fixé sur le sol. Orbia avait raison, le voleur s’en tirerait certainement. Il n’empêche qu’il se sentait très secoué par ce qu’il avait fait.
— Et du coup, ces voleurs, tu les connaissais ? demanda-t-elle après un instant de silence.
— Non, soupira-t-il. Mais celui que j’ai touché avait la peau basanée, comme en Assyr. C’était un gars de chez moi.
— Un autre homme qui vivait près d’un volcan…, marmonna-t-elle plus pour elle-même.
— Vu leurs vêtements, je pense tout de même qu’il s’agit d’anciens esclaves de Réunion… On m’a dit qu’ils étaient nombreux à s’être enfuis, autrefois…
— Des esclaves ?
Manifestement, elle n’était pas familière avec le concept. Amset savait que les peuples de la Cyanide ne pratiquaient pas l’esclavage, mais il ne pensait pas que son amie ignorait totalement de quoi il s’agissait. Il entreprit donc de le lui expliquer brièvement.
— C’est horrible…, souffla-t-elle, mal à l’aise. Tu m’étonnes qu’ils se soient échappés, à leur place, j’aurais fait pareil.
— Personne n’a envie de subir ça. C’est le déshonneur suprême, qui touche les criminels, les hérétiques parfois…
— Donc moi, je pourrais être vendue comme esclave ?
— Non… Enfin, sauf si tu... si tu te manifestes trop…
Un silence gênant s’instaura. Amset ne se rendait compte que maintenant à quel point l’esclavage pouvait être un sujet sensible. Comme tout habitant des pays obéissant au Culte, il vivait avec l’omniprésence des esclaves. C’était un concept du quotidien, qui ne choquait plus personne. Entendre son amie s’offusquer de l’existence d’un tel système le mettait très mal à l'aise.
— Je comprends mieux qu’ils agissent comme des voleurs, reprit-elle enfin. À vrai dire, ce n’est pas la première fois que ces types trainent dans le coin…
— Ah bon ?
— Ils ont essayé de voler chez nous, il y a presque un an d’ici, se remémora-t-elle. Ils sont tombés sur Barabbas…
— Ouh… N’en dis pas plus…
— Ils ne sont plus jamais revenus chez nous, soupira-t-elle. Néanmoins, rien ne dit qu’ils ne reviendront pas te chercher des noises… Sans vouloir te vexer, tu fais moins peur que Barabbas quand il est en colère.
Amset eut un petit rire à la fois nerveux et franc. Il avait pensé, effectivement, que ces gens pourraient de nouveau se pointer dans Nochélys. Comment réagirait-il alors ? Oserait-il seulement dresser son arc alors qu’avoir touché sa cible l’avait mis dans un tel état ?
— Je vais demander à Célian de rester dans le coin, proposa Orbia. Histoire de monter la garde quand tu t’absentes pour venir me voir, qu’en dis-tu… ?
— S’il accepte, ce sera un grand soulagement. J’irai lui chercher de quoi se nourrir en remerciement.
— On fait comme ça ! décréta-t-elle en s’allongeant de tout son long, souriante. Et si on changeait de sujet, qu'on évite de déprimer ? Tu as vu ces nuages ? Ça ressemble un peu à un arbre !
Son ami lui rendit son sourire avant de l’imiter. Elle avait le chic pour lui remonter le moral. Cette fois encore, elle avait fait mouche. Son quotidien serait bien triste sans elle et leurs rendez-vous. Ils étaient issus de cultures et de vies si différentes, pourtant, jamais il ne s’était senti aussi bien en compagnie de quelqu’un.
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