Chapitre 29: Les retrouvailles
Amset était maintenant installé à Nochélys depuis environ deux mois. Sans aucune aide, il était parvenu à restaurer quelques maisons et à aménager celles-ci, même si elles n'étaient pas plus occupées que ces dix dernières années. Comme promis, Célian lui apportait de la compagnie en matinée. Il se contentatit de brouter docilement l’herbe près de la baraque du prêtre, pour y monter la garde. Malgré leur première rencontre tumultueuse, le velucéros ne semblait pas rancunier. L’Assyrien partageait d'ailleurs souvent les fruits de ses récoltes avec lui.
S’il avait d’abord délaissé son arc une bonne semaine après l’incident, Orbia était parvenue à le pousser à se remettre à ses tentatives de chasse. Aussi s’enfonçait-il de nouveau dans la jungle afin d'y tenter sa chance. Jusqu’à présent, les lilifuris s’étaient contentés de se moquer de lui à chaque tentative infructueuse. Mais cette fois-ci, il avait de nouveau fait mouche.
Il était enfin parvenu à toucher un de ces lézards chapardeurs. Transpercé, l’animal s’était rapidement écroulé dans sa fuite pour ne jamais se relever. Fort de ses rares expériences, Amset se précipita vers sa cible en faisant un maximum de bruit, désireux d’effrayer un potentiel aurulve tapi dans les herbes. Il se saisit de sa proie encore chaude et poussa un grand cri de victoire. Ce soir et pour la première fois depuis trop longtemps, il allait manger de la viande !
Il ne chercha aucun fruit ce jour-là. Il lui en restait encore quelques-uns à la maison et le lilifuris représentait tout de même quelques kilos. Il avait entendu dire, à Réunion, que la chair de ces animaux n’était pas mauvaise. Aussi avait-il hâte d’y gouter. Portant la dépouille par le cou, il rentra chez lui.
Tandis qu’il approchait de Nochélys, un oiseau se posa sur ses épaules et il sursauta avant de pousser une exclamation réjouie.
— Paco ! Meroclet soit loué, j’avais peur qu’il te soit arrivé quelque chose !
L’araquet rouge groseille leva la tête d’un air impétueux et Amset se remit en marche, sans le quitter du regard.
— Orbia aussi était inquiète… Il faudra que tu ailles la retrouver. Noublie juste pas de garder ta mission secrète. Tiens, d’ailleurs, tu …
— Ah, le voilà ! Les gars, il est ici!
Amset se figea soudain, juste à la sortie de la jungle. Les yeux écarquillés, il détourna lentement son regard de l’araquet qui le regardait désormais avec une certaine malice. Il connaissait cette voix.
— David… ?
— Eh bien, t’es encore vivant, ça fait plaisir !
Le jeune Assyrien qu’il avait rencontré à la Baraque vingt-quatre s’approcha de lui, son expression mêlant fatigue et soulagement. L’ouvrier qui l’avait fait traverser le fleuve et avec qui il avait passé quelques semaines à Réunion n’avait pas changé, ou presque. Une fine épaisseur de cheveux noirs et crépus recouvrait maintenant son crâne, mais il était toujours aussi souriant. Amset était si surpris de cette apparition soudaine qu’il en lâcha le lilifuris qui tomba telle une poupée de chiffon. Il s’avança vers son camarade et les deux jeunes hommes s’attrapèrent par les épaules en riant, tandis que Paco voletait au-dessus d’eux.
— Qu’est-ce que tu fiches ici ? lui demanda Amset, n’en revenant toujours pas.
— C’est bien toi qui nous as demandé de venir, non ? lui répondit-il en regardant derrière lui avant de crier. Les gars, il est là !
— Mais… Mais vous êtes tous…
— Ha, Amset, bon sang, enfin on te retrouve ! lança la voix de Saul.
Le cultiste en était bouche bée. Ils étaient tous là, David, Saul, Samuel, Nathan, Jessé et même Hypatie ! Recouverts de plusieurs couches de vêtements, ils étaient exactement comme dans les souvenirs d'Amset. Même s'ils présentaient quelques cernes sous les yeux, ils paraissaient satisfaits de le retrouver. Il se précipita pour les accueillir, riant sous l’effet de l’émotion.
— Je ne pensais pas vous revoir aussi vite, reconnut-il après plusieurs accolades.
— Ça fait un moment que tu nous as envoyé ta missive, pourtant, fit remarquer Nathan, feintant d’être vexé.
— Oui, mais, le pont, Réunion…
— Les travaux du pont sont en pause, expliqua Hypatie. Nous avons besoin de plus de bras et les crûes du cours d’eau rendent toute avancée impossible. C’est du moins ce que j’ai expliqué à Mgr Ascalaphe.
Elle lui adressa un clin d’œil plein de malice et tout le monde éclata de rire.
— Et il vous a laissés partir comme ça ? Vous n’avez pas été renvoyés, au moins ?
— Oh non, on n'est pas débiles, nous, ricana David, taquin. On avait préparé le terrain. Officiellement, on est rentrés chez nous quelques semaines. En vérité, on n'aurait pas les moyens de faire un aller-retour par le tunnel, alors bon...
— Et vous n’avez pas dû chercher trop longtemps pour me retrouver ?
— Ton oiseau est resté avec nous tout ce temps, lança Jessé. Il nous a guidés jusqu’ici, mais pfiou, quelle trotte…
— C’est donc ici, le village que tu disais vouloir restaurer ? demanda Saul en regardant autour d’eux. Tu t’prends pour Ascalaphe, maintenant ?
— Non non, bien sûr, ce n’est pas ça…, bredouilla Amset, gêné.
— Tu nous fais visiter ? proposa Hypatie.
Le cultiste acquiesça, ravi de présenter Nochélys à ses amis. Il leur expliqua ce qu’il avait accompli jusqu’ici et, surtout, tout ce qu’il restait à faire. Ils écoutèrent, émirent même quelques propositions et se laissèrent guider en racontant au passage quelques anecdotes de voyages. Ils avaient manifestement croisé Othniel, eux aussi, ou bien l’un de ses cousins. À leur arrivée, pendant qu’il chassait, ils avaient failli se faire charger par Célian avant que Paco ne se pose sur le velucéros, le calmant aussitôt. S'ils étaient venus avec leurs outils, ils en avaient mystérieusement perdus l’un ou l’autre les premières nuits. Le temps passa et, soudain, Amset se rendit compte que le soleil était bientôt à son zénith.
— Ah mince ! s’écria-t-il. Je vais vous laisser vous installer, on fera le point ce soir, reposez-vous, choisissez une des maisons que j’ai déjà arrangées…
— Quoi, tu pars ? s’étonna David.
— Tu nous abandonnes déjà alors qu’on vient à peine de se retrouver ? s’indigna Nathan.
— Je vous expliquerai ce soir. Je peux juste vous demander de mettre le lilifuris que j’ai attrapé ce matin à cuire ?
— Compte sur nous, assura Jessé, grimaçant.
— Tu n’es pas en danger, au moins ? demanda Hypatie avec inquiétude.
— En danger ? Bien sûr que non ! Au contraire, je me suis rarement senti aussi bien !
Et il les laissa s’installer tandis qu’il s’éloignait en leur faisant des signes de mains, précipitant le pas afin de retrouver sa douce amie, comme convenu.
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