Chapitre 30: Le cafard
Alors qu’il se dépêchait de rejoindre leur lieu de rendez-vous, Paco se posa de nouveau sur ses épaules. Amset ralentit le rythme pour caresser le crâne de l’oiseau sous la houppette de plumes jaunes. S'il ne lui avait demandé que de transmettre le message à ses anciens camarades, l’araquet les avait attendus puis guidés jusque Nochélys. Il ignorait que les oiseaux pouvaient être aussi intelligents. Il lui promit de lui offrir de bons fruits une fois revenu chez lui. Comme lui parler ne le gênait plus du tout, il lui proposa de faire la surprise de son retour à Orbia. D’un clignement des yeux, Paco lui fit comprendre qu’il était d’accord. Quand ils furent presque arrivés, il cacha ses mains dans son dos, apportant un appui à l’animal.
Orbia était déjà là, bien sûr. Seulement, au lieu de guetter son arrivée, elle était recroquevillée contre leur souche d’arbre, la tête baissée en caressant nonchalamment les plumes de Quetzu. De toute évidence, elle avait un coup de cafard.
— Ça ne va pas, Orbia ? demanda-t-il en s’approchant d’elle, veillant à garder Paco caché.
— Si si, je vais bien ! s’exclama-t-elle en se parant rapidement d’un grand sourire. Je t’attendais, c’est tout.
— Tu es sûre ? insista Amset, un peu inquiet en l’observant sous toutes ses coutures.
Soudain, il remarqua que quelque chose clochait. À son cou, Orbia avait des marques rouges, presque brunes, à l'image de violentes brûlures. Il écarquilla les yeux et déglutit, bouche bée. Face à sa réaction, la Cyanidienne grimaça. D’un geste de bras, elle haussa le col de sa tunique, cachant ses plaies.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Par réflexe, il avança une main pour la rapprocher et mieux observer ses plaies, mais elle eut un mouvement de recul. Elle lui adressa un regard gêné et se mordit la lèvre. Derrière lui, il sentait Paco protester du bout du bec contre ses mouvements imprévus, l’obligeant à se poser par terre. Il se promit de se faire pardonner plus tard. Cependant, il avait plus important à régler dans l’immédiat.
— Je t’assure, ce n’est rien…
— Laisse-moi regarder ! exigea-t-il, tel un parent qui grondait un enfant.
Elle hésita, le regard fuyant, puis Quetzu leva la tête vers elle, tira sa langue fourchue et lui toucha le bout du nez. La jeune fille soupira, comme convaincue par le serpent à plumes. Elle se tourna vers son ami et baissa son col afin qu’il puisse enfin y voir clair. Il observa les marques, qui étaient clairement celles d’une brûlure intense. Mais ce qui l’intrigua le plus, c’était la forme particulière de celles-ci, qu’il reconnut.
— Orbia… C’est le collier qui t’a fait ça, pas vrai ?
— Je ne veux pas que tu penses que c’est ta faute ! Je l’ai mis au cou, chez moi, à l’abri des regards, et soudain, il a commencé à chauffer…
— Et tu ne l’as pas enlevé ?
— Non, pas tout de suite, je… j’ai été stupide et inconsciente, comme d’habitude, bredouilla-t-elle.
Elle se recroquevilla de nouveau tandis que Quetzu la regardait d'un drôle d’air, tirant sans cesse la langue bifide. Amset soupira. Au moins, il n’avait pas rêvé lorsque le collier lui avait brûlé les mains. Comment ce bijou fonctionnait-il pour provoquer de tels accidents ?
— Barabbas sait que j’ai retrouvé le collier de ma mère, maintenant. Je lui ai dit qu’un animal l’avait trouvé dans les décombres de Nochélys. Je ne suis pas certaine qu’il m’ait crue.
— Tu penses qu’il sait que je suis encore là ? déglutit Amset.
Pour toute réponse, elle haussa les épaules avec un triste sourire. La perspective de revoir cet homme en colère tenter de le chasser d’ici ne plaisait guère au jeune prêtre. Ils restèrent un instant silencieux avant qu’un nouveau coup de bec le ramène à la réalité.
— Je n’ai rien qui puisse apaiser la douleur. Mais… j’ai une surprise pour toi.
— Un bouquet de fleurs ?
Il sourit et, passant le bras dans son dos, il attendit de sentir les serres de l’araquet se poser dessus pour le présenter à son amie. Elle écarquilla les yeux et réprima une exclamation avant de tendre les deux bras vers l’oiseau tout en criant son nom de surprise et de joie. Ses yeux aux couleurs du ciel étincelaient de bonheur. L’oiseau battit des ailes et se posa sur son poignet, en l'attente de caresses. La Cyanidienne se laissait submerger par des rires heureux et soulagés. C’était comme si Orbia était retournée en enfance et n’avait jamais eu le moindre souci dans sa vie.
— Il est arrivé ce matin à Nochélys, annonça Amset, content de voir le cafard quitter son amie.
— Tu m’as vraiment manqué, tu sais Paco ! pouffa-t-elle tout en dorlotant l’oiseau avec peut-être un peu trop d’énergie. Tu étais passé où ?
Amset eut du mal à garder le sourire, craignant que l’araquet gâche la surprise qu’il préparait. Après que Paco eut poussé quelques petits cris et agité les ailes à l'adresse d'Orbia tout du long, il tourna la tête rapidement vers Amset et lui adressa ce qu’il crut être un clin d’œil. Le jeune prêtre n'aurait su dire pourquoi, mais il avait la certitude que le volatile avait gardé le secret.
Le retour de l’animal avait suffi à rendre le sourire à Orbia. Ils ne parlèrent plus ce jour-là du collier de Khême. Pourtant, lorsqu’elle attrapa sa lyre pour jouer une mélodie, Amset eut l’impression que les notes de son amie sonnaient plus tristes que d’habitude. Quand il rentra chez lui le soir venu, les questions qui le tourmentaient lui avaient presque fait oublier qu’il n’était plus seul à Nochélys, désormais.
Annotations