Chapitre 31: Une main d'œuvre enthousiaste
Le soir, il retrouva toute la bande qu’il avait rencontrée à Réunion autour d’un brasier. Samuel avait mis à cuire le lilifuris à la broche et la viande dégageait un délicieux fumet. Comme promis, Amset leur expliqua pourquoi il les avait soudainement abandonnés. Ils éclatèrent de rire, comprenant rapidement quels étaient les sentiments du jeune homme. Un comble alors qu’il peinait à les avouer à l’élue de son cœur ! Loin de lui en vouloir, ses amis le taquinèrent et lui assurèrent leur soutien indéfectible.
Alors qu'ils dégustaient le reptile, le jeune prêtre leur parla d’Orbia, oubliant presque de causer de lui. Il n’avait que ce sujet à la bouche. Après tout, elle partageait son quotidien depuis un bon moment. Quand il leur raconta leur balade sur la tête d’Othniel, ses camarades hochèrent, sans rien dire, se jetant simplement des regards amusés entre eux. C’était donc afin de restaurer le village et faire plaisir à son amie qu’il leur avait envoyé Paco. Personne ne protesta. Après tout, ils avaient déjà fait le voyage et leur travail à Réunion n’était pas bien différent.
— Tu peux compter sur nous, assura David en riant. Elle est jolie, au moins ?
— David, un peu de tenue ! protesta Jessé.
— Tu la vois tous les jours, alors ? demanda Samuel.
— Oui, nous avons convenu de nous retrouver lorsque le soleil est à son zénith.
— Bon, on aura qu’à se mettre en pause en t’attendant, proposa Saul. On ne va quand même pas faire tout le travail à ta place !
De nouveau, tout le monde éclata de rire. Amset ne savait pas comment les remercier pour leur promesse et leur présence à ses côtés. Il n’avait travaillé que durant quelques courtes semaines avec eux. Pourtant, ils étaient venus, quitte à mentir à l’Évêque. Il leur en serait à jamais reconnaissant.
Comme la soirée se poursuivait, Nathan leur proposa de jouer une partie de cartes. Tout le monde s’y mit et Amset fut ratatiné par ces camarades, finissant tristement paysan après une première partie. C’est que ses comparses avaient eu le temps de s’entrainer depuis leur dernière confrontation et le jeune prêtre était un peu rouillé. Au fil de la soirée, il parvint à remonter l’échelle sociale au stade de « marchand », avec un tirage de cartes particulièrement bénéfique. Après plusieurs parties, Jessé finit par aller se coucher, rapidement suivi par ses camarades. Ils avaient chacun choisi un logement personnel parmi les maisonnettes restaurées. David, Hypatie et Amset furent les derniers encore debout à partager des fruits avec Paco. Puis le jeune les abandonna en leur souhaitant bonne nuit.
Le cultiste était lui aussi épuisé. Il n’avait plus veillé si tard depuis longtemps. La savante au contraire ne trahissait aucun signe de fatigue. Elle observait le ciel, emmitouflée dans des draps au coin du feu, les yeux perdus dans les étoiles.
— Je suis vraiment contente, souffla-t-elle sans le regarder. Pour ne pas te mentir, on ignorait dans quel état on allait te retrouver. Finalement, tu es bien plus épanoui que lorsque tu étais à Réunion.
— C’est peut-être vrai. Je ne me sentais pas à ma place là-bas. Ici, c'est… différent.
— Tu as trouvé une raison d’exister, énonça Hypatie. Tu es fait pour vivre ici. Regarde, toi qui es un Assyrien comme nous, tu n’as même plus peur du froid.
Amset fronça les sourcils, incrédule, avant de regarder ses vêtements. Il portait simplement sa tenue de travail ainsi que le turban cyan qu’elle lui avait offert. Cela faisait déjà un moment que, lorsqu’il sortait de chez lui, il n’avait plus besoin de se couvrir de ses draps. Même s’il s’en servait encore lorsqu’était venu le moment de dormir, il s’était finalement adapté au climat de la Cyanide. Cela avait évolué si naturellement qu’il ne l’avait même pas remarqué.
— L'air est toujours un peu frais, mais ce n’est pas désagréable, répondit-il, amusé. Et toi, Hypatie ? C’est quoi, ta raison d’exister ?
La savante reporta ses yeux dans le ciel étoilé, comme si la réponse à la question d’Amset s’y trouvait. Elle poussa ensuite un long soupir avant de répondre.
— J’aimerais bien le savoir. Malgré toutes mes connaissances sur le monde, cette question me laisse toujours sans la moindre piste.
— Tu m’avais parlé d’une amie. Tu l’as revue, depuis notre séparation ?
— Elle est passée incognito à Réunion, confirma Hypatie avec un plus large sourire.
— C’est peut-être avec elle que tu dois chercher cette fameuse raison, proposa-t-il, l’air faussement innocent. Tu dois juste écouter ton cœur.
— C’est plus compliqué que tu ne le crois, pouffa la savante. Il y a une légère différence d’âge et… beaucoup d’autres choses.
Un silence s'ensuivit, durant lequel les deux Assyriens échangèrent des regards mêlant embarras et amusement.
— Je dois te paraitre ridicule, souffla-t-elle finalement.
— Franchement, Hypatie, c’est à moi que tu dis ça ? Ils auraient été nombreux à me huer pour mon amour envers une Cyanidienne, une hérétique tout juste bonne à finir sur un bûcher à en écouter les plus extrêmes des croyants. Qui suis-je, dès lors, pour te blâmer du peu de ce que tu m’as avoué ?
Sans attendre sa réponse, il se leva en baillant et lui fit signe qu’il allait se coucher. Mais, avant qu’il n’ait atteint le pas de sa porte, il l’entendit lui adresser une dernière question.
— Dans quel monde penses-tu que nous vivons ?
Amset tourna la tête vers elle, surpris, et fronça les sourcils. Elle avait de nouveau le regard perdu dans la voûte céleste. Le prêtre resta immobile encore quelques instants, sans savoir quoi répondre. Puis la fatigue l’emporta et le mena à sa paillasse et à ses draps, où il se laissa tomber et s’endormit aussitôt, laissant la savante à ses questions.
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