Les jours qui suivirent, l’équipe assyrienne fit un travail remarquable. Ils colmatèrent les lézardes, rechaussèrent les murs et dressèrent de nouveaux meubles à l’intérieur. Si Amset s’était bien débrouillé jusqu'ici, Hypatie imposa une meilleure recette de mortier naturel. Leur nouvelle bauge rendait leurs réparations plus fiables. Ils nettoyèrent également les niches et les cheminées associées. Qui plus est, ils étaient venus avec leurs outils, ce qui facilitait grandement l’avancée des travaux.

 De même, la savante était pleine d’idées d'aménagements. Ils entreprirent de creuser un système d’irrigation, directement relié à la rivière qui se trouvait plus loin dans la jungle, afin d’arroser un grand potager. Elle avait même imaginé de fabriquer un moulin, mais comme ils ne pourraient pas rester indéfiniment sur place, son élaboration fut reportée. Même s’ils n’étaient encore que sept à vivre dans Nochélys, le petit village récupérait, petit à petit, de sa superbe.

 Il en allait de même pour le confort de vie. Le jeune prêtre ne devait plus se débrouiller seul puisqu'il pouvait compter sur ses amis. Ils partaient ensemble cueillir des fruits et chercher des ressources dans la jungle. Aucun de ses amis ne se débrouillait à l’arc, c’était donc au cultiste que revenait la charge de trouver de la viande. Il n’était pas particulièrement doué, aussi Saul et Nathan profitaient de ses longues absences pour fabriquer des pièges plus efficaces. Samuel s’occupait ensuite de préparer de bons petits plats au grand bonheur de ses compagnons.

 Malgré leur présence, Amset n’avait pas abandonné ses rendez-vous quotidiens avec Orbia. Ses compagnons ne lui en tenaient pas rigueur. Comme l’avait dit Saul le premier soir, ils s’arrêtaient généralement de travailler au départ du prêtre. Ils se contentaient d’aller explorer les environs ou de remplir leurs réserves avant de se la couler douce. Après tout, ils travaillaient d’arrache-pied tous les matins. C’était un peu des vacances à mi-temps, finalement.

 Les brûlures de la Cyanidienne ne s’estompèrent pas les jours suivants. La marque laissée par le collier de Khêmes persistait. Amset s’en voulait chaque fois qu’il posait les yeux dessus. Lorsque cela arrivait, la jeune fille faisait son possible pour qu’il reporte son attention autre part. Il était évident qu’elle voyait en ce bijou un sujet tabou. Elle préférait jouer de sa lyre, parler des animaux de la jungle ou débattre de la forme des nuages, comme si rien ne s’était passé. Le jeune prêtre lui en était très reconnaissant.

 Partout où il allait, Amset était suivi par Paco. L’oiseau se posait souvent sur son épaule, au point qu’il lui arrivait d’oublier sa présence. L’araquet se manifestait surtout lorsqu’ils mangeaient, réclamant des morceaux de fruits juteux à se mettre sous le bec. En retour, l’Assyrien lui demandait un petit service. Faire du repérage à la recherche d’un lilifuris caché dans les broussailles par exemple, ou encore aller chercher David qui s’était perdu à explorer le coin. Paco lui adressait quelques clins d’œil et revenait se poser à sa place, le ventre gonflé d’orgueil une fois sa tâche accomplie.

 Célian le velucéros passait toujours au village, broutant sans causer plus de trouble. Parfois, il choisissait de faire sa sieste au mauvais endroit et gênait les ouvriers. C’était Amset qui lui demandait de se déplacer. La bête s’éloignait et donnait au jeune homme l’impression qu’il ronchonnait. Le souvenir de leur première rencontre lui revenait alors en tête et il riait tout seul.

 — Tu nous avais pas dit qu’t’étais Dompteur, lui lança un jour David.

 — Qu’est-ce que tu racontes ? pouffa-t-il. Je ne l’ai jamais été.

 — C’est que ça y ressemble quand même beaucoup, confirma Saul en levant un sourcil. Ton piaf, là, il t’écoute aussi bien qu’une colombe postale.

 La remarque troubla Amset, si bien qu’il se figea dans son mouvement, au grand dam de l’araquet qui attendait un morceau de fruit entre ses doigts. Il poussa un léger cri, réveillant l’Assyrien qui lui donna ce qu’il voulait, sans pour autant le sortir de ses réflexions. C’est vrai qu’il avait parfois l’impression de comprendre l’oiseau. Paco l’avait toujours un peu côtoyé après l’avoir guidé jusqu’ici. À l’époque, il pensait que l’oiseau veillait sur lui sur demande d’Orbia. Depuis, ils s’étaient un peu apprivoisés, les fruits n’y étaient pas étrangers. Il en était de même avec Célian. À force de vivre près du velucéros, il s’adressait à lui comme à une connaissance. De temps en temps, il lui semblait aussi que Quetzu essayait d’attirer son attention. Se pouvait-il qu’il soit né Dompteur et qu’il ait vécu sans s’en rendre compte ?

 — Ce n’est pas rare, lui expliqua Hypatie après qu’il lui ait posé la question. On entend souvent le témoignage de quelqu’un qui réveille un don très tard. Je me souviens d’un vieux professeur qui avait fait pleurer tous ses élèves, à l’Université, parce qu’il venait d’apprendre la mort de son épouse. Pourtant, il n’avait rien dit. Il s’est avéré qu’il était Empathe¹ , il ne le savait même pas.

 — Ça ne concerne que Paco, peut-être un peu Célian, bredouilla le concerné. Quand je pars chasser, je ne ressens rien de particulier en présence des autres bêtes.

 Malgré la réponse d’Hypatie, le jeune cultiste n’était pas encore entièrement satisfait. Orbia lui avait expliqué que tous les habitants de Nochélys présentaient ce don, à l’époque où le village était encore peuplé. Pour elle, communiquer avec les animaux, c’était la norme. C’est pourquoi, lorsque le soleil lui indiqua que l’heure de leur rencontre était venue, il décida de lui poser la question directement.

[1] Empathe: Il s'agit de l'un des quatre pouvoirs considérés comme un don en Terre des Murmures. Il s'agit d'une capacité à transmettre ses émotions ou comprendre celles des autres de manière accentuée, plus fort que la normale.