Chapitre 35: Spartacus
Non loin de la rivière, dans un coin de la jungle où la lumière peinait à traverser les branchages, se tenait une masure qu’on eut dite abandonnée. Pourtant, ils étaient huit à y vivre là-bas, venant de cinq pays différents. Ils étaient de ces esclaves qui avaient été emmenés à Réunion pour y construire les premiers bâtiments. Les cultistes à qui ils devaient obéir avaient sous-estimé leur nombre et avaient négligé leur surveillance. Ils n’avaient pas tardé avant de s’enfuir en traversant la jungle.
Ils étaient alors plus d’une vingtaine. Dépourvus d'équipements, inexperimentés et tenaillés par la peur d'être rattrapés, même les dieux n'auraient pas donné cher de leur peau. Dès les premiers jours, ils s’étaient empoisonnés avec des baies qu’ils ne connaissaient pas. Plus tard, certains avaient trépassé en croisant la route d’animaux affamés ou gigantesques, voire les deux. Ces premiers temps avaient été particulièrement difficiles.
Ils avaient même eu à affronter des semblables, d’autres groupes d’esclaves tout aussi déterminés à survivre. Ils avaient été obligés de retourner près de Réunion. Une véritable lutte de territoire les avait opposés à une bande mieux équipée. S’avouant vaincus, ils étaient repartis dans une autre direction, priant pour que la jungle y soit moins hostile qu’à leur première exploration.
Ils avaient désigné Spartacus en tant que chef de leur petit groupe. L’esclave était de loin le plus imposant d’entre eux, mais ce n’était pas seulement sa carrure impressionnante qui avait fait de lui leur leader. Spartacus était également un homme réfléchi. Il était né libre et s’était engagé dans l’armée cobalte. La chance n'avait pas joué en sa faveur lorsque son navire avait croisé la route des pirates du Foudre, un des plus terrifiants équipages des mers. Capturé, il avait été vendu sur un marché assyrien. A l'origine, il avait été acheté en tant que divertissement lors de combats à mort. Il devait sa survie à sa ruse et à sa force naturelle. Puis, comme le public s’était lassé de lui, on l’avait revendu afin de participer au projet de Réunion.
C’était lui qui avait choisi où établir leur planque, loin des regards. Ils avaient bâti cette baraque avec ce qu’ils avaient à disposition. De fil en aiguille, vivant de leurs cueillettes et de la chasse, profitant des talents de chacun, ils avaient instauré un petit quotidien presque paisible.
Ils étaient prêts à saisir toutes les opportunités pour améliorer leur vie. A force de pousser plus loin leurs explorations, ils avaient découvert les ruines de Nochélys. Ils y avaient récupéré tout ce qu’ils pouvaient. Cherchant encore, ils avaient même pensé cambrioler une maisonnette solitaire. Grave erreur… L’homme qui y habitait les avait surpris et leur avait collé la raclée de leur vie. Prenant ses menaces très au sérieux, ils avaient décidé de ne plus aller l'importuner, du moins jusqu’à aujourd’hui…
Quelques semaines plus tôt, la vue de fumée leur avait fait comprendre que quelqu’un s’était installé à Nochélys. Méfiants, ils avaient envoyé deux éclaireurs. L’un d’eux était revenu blessé, une flèche à l’épaule. La crainte s'était à nouveau instaurée.
De toute évidence, le village abandonné commençait à accueillir du monde. Pire, il s’agissait d’étrangers à la Cyanide. Des hommes qui pratiquaient sûrement l'esclavage. La bande savait, pour en avoir rencontré par-delà la rivière, que les autochtones, eux, se fichaient du système des esclaves. Ils avaient même pu troquer une partie de leur vieux butin avec eux. Mais comment réagiraient des colons quand ils apprendraient que des esclaves en fuite se trouvaient à deux pas de chez eux ? Ils les traqueraient et les soumettraient de nouveau. Cette idée leur était insupportable.
Ils avaient donc pris une décision difficile. Ils allaient devoir s’éloigner, abandonner leur masure, peut-être se rapprocher d’un village cyanidien et, si possible, s’intégrer. Cependant, ils devaient frapper un grand coup et en tirer un maximum d’objets de valeur. Ainsi, ils pourraient troquer leur butin et démarrer leur nouvelle vie sans tracas. C'était, du moins, le raisonnement de Spartacus.
C’est pourquoi ils avaient préparé leur assaut avec plus de réflexion. Sachant que Barabbas n’était pas armé, juste très costaud, ils l’avaient piégé et pris par surprise, l’acculant à un mur sans lui laisser de répit. L’homme qui leur avait fait si peur lors de leur première rencontre n’avait pas eu le temps de réagir que Spartacus lui enfonçait un pieu dans la poitrine à main nue. De sa puissante masse, il avait ensuite frappé jusqu’à le clouer au mur.
Avait alors démarré leur fouille. Hélas, si ce n’était de la vaisselle et des vêtements, ils ne trouvèrent rien d’intéressant. Ils avaient commencé à se disputer et à essayer de soutirer des informations au blessé. Il devait forcément avoir de l’or, des bijoux ou d’autres choses, sinon, comment se procurait-il tous ces objets du quotidien ? Puis la fille était entrée.
Elle n'aurait pas dû se trouver là, pas si tôt. D'habitude, elle trainait dans les prairies en compagnie de bêtes plus étonnantes les unes que les autres avant de disparaitre des radars l'après-midi. Pris de panique, ils l’avaient assommée et, dans la foulée, à défaut de butin, l’avait emportée avec eux. Elle vivait là, après tout, et serait certainement plus encline à répondre à leurs questions quant aux richesses qu'ils dissimulaient. Par chance, son serpent ne semblait pas être là pour les en empêcher. Le retour s’était fait sans encombre et ils se retrouvaient désormais avec Orbia assise dans le coin de la masure, les bras liés, qui les regardait d'un air presque ronchon.
Annotations