Chapitre 39: Mon seul trésor

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 La jeune fille était toujours mains et pieds liés, incapable de s’enfuir. Mais à cela s’ajoutait désormais un coutelas sale que Saa, l'Assyrien, maintenait sous sa gorge. Pour l'obliger à lever la tête, il lui tirait les cheveux. L’homme adressait au prêtre une expression décidée qui avait de quoi angoisser ce dernier. Malgré la menace de se faire ouvrir la jugulaire, Orbia se débattait, en vain.

 — Lâche-moi !

 — Ne lui faites pas de mal ! s’écria le cultiste, désemparé.

 — Je ne ferai rien, répliqua l’esclave. Mais dans ce cas, tu vas dire à ta sale bête de reculer dans le fond de la pièce. Et toi, reste là !

 Saul se figea alors qu'il venait de faire un unique pas. Amset, lui, jeta un coup d' œil vers Quetzu. Ce dernier hésitait à fixer son amie ou Spartacus qui avait profité de la situation pour baisser les bras. Le serpent gênait cet homme et lui demander de s’écarter serait prendre le risque qu’il s’arme de nouveau pendant les négociations. Son inquiétude l'emporta. Il ne pouvait ignorer cette première demande.

 — Quetzu, appela-t-il d’un ton qui trahissait sa peur. Recule, s’il te plait…

Le serpent à plumes se dressa et jaugea l’Assyrien. Comme ce dernier lui jetait des regards suppliants, l’animal siffla un coup et se tortilla au sol en s’éloignant, sans cesser de surveiller Spartacus. Quand ce fut fait, Amset soupira de soulagement et décida de prendre les rênes des négociations.

 — Libère-la, lança-t-il. Dès que ce sera fait, on repart d’où on vient.

 — Tu penses vraiment que je vais y croire ? Si je lâche mon arme, tu vas me perforer à nouveau comme du gibier !

 — Je jure devant les Dieux que je n’en ferai rien ! On repart, tous, les animaux compris, et on ne reviendra plus.

 — N’écoute pas ces sornettes, Saa, fulmina Spartacus en croisant les bras. C’est un homme libre, nous ne sommes que des rebus, de la vermine ! Nos vies n’ont aucune importance pour les types dans son genre.

 — C’est faux ! protesta Orbia malgré la poigne de Saa.

  Le cultiste visait toujours Spartacus, sans rien trouver à lui rétorquer. En aucun moment de sa vie en Assyr il n’avait remis l’esclavage en question. Il s’était pourtant senti si mal en blessant Saa, l’autre fois, qu’il ne pouvait pas juste les considérer comme de simples objets. Jusqu’ici, il s’était fait violence pour ne pas s’excuser, conscient qu’ils pourraient y voir une marque de faiblesse à exploiter. Devait-il se montrer rude ou compatissant afin de libérer son amie ?

 — Je n’ai jamais goûté à la liberté, lança soudain l’Assyrien en pagne en fixant Amset. Déjà enfant, j’étais un moins que rien, une décoration au mieux. On veut juste vivre tranquillement, merde !

 — Ce n’est pas en tuant cette jeune fille que ça arrivera, intervint Saul derrière son ami.

 — Alors comment ? En attendant sagement que l’on nous capture de nouveau ? Ou bien en poursuivant nos maigres larcins au risque de se prendre des saloperies de flèches !?

 Cette fois, l’homme s’énervait, tirant plus fort sur les cheveux de la Cyanidienne qui protestait toujours. Ses brusques mouvements firent s’échapper quelques grognements au cultiste, inquiet. Etait-il possible qu’un faux mouvement la blesse ? Il avait aussi de plus en plus de mal à garder le Cobalte dans sa ligne de mire. Spartacus l’avait remarqué, en témoignait son sourire narquois. Il attendait juste le bon moment pour renverser la situation.

 Finalement, las de ses hésitations, Amset poussa un profond soupir et, à la grande surprise de tout le monde, baissa son arme. Pire, il lâcha son arc et la flèche. Saul retint à peine un cri de protestation, horrifié, tandis que Spartacus ricanait. Quant à Saa, il restait dubitatif. Alors que l’arc touchait à peine le sol, Amset fit un pas en avant, les deux bras en l’air.

 — Qu’est-ce que tu fous ? demanda l'esclave d’un ton agressif.

 — Faisons un échange. Libérez-la et je la remplace.

 — Quoi ? s’écria Orbia. Amset, fais pas ça !

 — C’est une blague ?

 — Hé bien, tu ne veux pas te venger de celui qui t’a blessé ? Je subirai tout ce que tu veux, de la même manière que tu as autrefois subi ce que d’autres désiraient. Mais je veux d’abord que tu libères Orbia.

 — T’es sûr de ce que tu fais, là ? demanda Saul, pas rassuré, après avoir échangé un regard avec Quetzu, ce qu’il aurait nié si quelqu’un le lui avait fait remarquer.

 Amset ne répondit pas, observant l’Assyrien face à lui, les yeux dans les yeux. L’esclave s’était calmé et semblait en pleine réflexion. C’était un peu comme si deux parties de lui-même s’affrontaient pour savoir si oui ou non il devait le croire. Il devait cacher quelque chose, une arme peut-être. Pourtant, le prêtre paraissait sincère.

 — Très bien…, finit-il par dire en relâchant les cheveux d’Orbia. Colle-toi au mur !

 Toujours les bras en l’air, Amset obéit sans un mot tandis que Saul grommelait des jurons. Saa abandonna la Cyanidienne et s’approcha du prêtre mais il fut soudain repoussé d’un geste de bras violent par Spartacus. Il retomba sur ses fesses, à côté d’Orbia toujours ligotée. La surprise lui fit lâcher son couteau. Révoltés, la jeune fille et le bâtisseur poussèrent un cri d'avertissement. C'était trop tard. Spartacus tenait d’une main l’arc d’Amset, si fort qu’il le brisa en deux. De l’autre, il trainait la lourde masse qu’il avait récupérée.

 — Bien, puisque monsieur veut jouer au héros, profitons-en ! s’écria Spartacus en maintenant une main contre le torse d’Amset, le poussant comme s’il voulait lui faire traverser le mur. Gamine, où sont tes trésors ?

 — Je n’ai pas de trésors ! répondit-elle, agacée. On n’a rien pour vous, chez moi !

 — Je m’en doutais. Dans ce cas, je vais me contenter d’un nouveau tableau pour notre maison !

 Il relâcha Amset tout en plaquant contre la poitrine de celui-ci un morceau de l'arc brisé. De l’autre main, il brandit la masse avec laquelle il avait déjà manqué plusieurs fois de fracasser les os de l’Assyrien. Ce dernier déglutit. L’image de Barabbas en train de mourir lui revenait en tête. Il n’osait plus rien dire et retenait son souffle, pétrifié par l’angoisse.

 — Non ! s’écria Orbia, paniquée comme Amset ne l’avait jamais vue. Ne lui fais pas de mal !

 — Tu as un collier plein de pierres précieuses, poursuivit le Cobalte. Où sont tes autres trésors ?

 — Je n’en ai pas ! répliqua la jeune fille, larmoyante.

 — Je compte jusque trois ! scanda Spartacus en fixant Amset d'un air décidé. Un !

 — Mais puisque je vous dis que j’en ai pas !

 — Deux !

 Il leva bien haut son arme, prêt à asséner un coup fatal. Quetzu sifflait et Saul ne cessait de jurer. Ils étaient trop loin de la scène. Même Saa paraissait effrayé alors que le visage d'Orbia se décomposait de seconde en seconde. Plus rien ne pouvait plus l'arrêter.

 — TROIS !

 — Mon seul trésor… Mon seul trésor, c’est lui !

 Si le regard d’Amset n’avait pas été hypnotisé par la masse qui s’apprêtait à lui enfoncer le morceau de bois dans le cœur, peut-être aurait-il eu une réaction face à cette déclaration. Seulement, la peur et l’approche d’une mort certaine avait de quoi accaparer son esprit plus que tout autre stimulus, si bien qu’il n’avait rien entendu de toute cette conversation. Le dernier chiffre sonnait le glas. Il ferma les yeux, priant pour atténuer la douleur. Peut-être même serait-il tué d’un seul coup, sans souffrir. Des cris retentirent. Son visage se crispa.

 Comme ni la douleur ni même l’humidité de son sang coulant sur son torse ne venaient, il se risqua à ouvrir un premier œil. L’arc brisé était toujours contre sa poitrine, maintenu par Spartacus. Cependant, ce dernier ne tenait plus sa masse. Il semblait d’ailleurs en être le premier surpris, puisqu’il regardait sa main vide sans plus comprendre que son otage. Relevant leurs têtes d'un même geste, ils virent l’arme flotter presque négligemment au-dessus d’eux. Ils eurent à peine le temps de s’étonner que l’objet s’anima et frappa lourdement Spartacus dans le bas-ventre, l’obligeant à reculer et à lâcher Amset. Déboussolé, il chancela en crachant sang et salive avant de se prendre un dernier coup. Ses jambes ne pouvant plus le retenir, il s’étala sur le dos, non sans gémir de douleur.

 — Spartacus !

 Saa se précipita vers son chef afin de s'assurer de son état. La masse retomba simplement au sol. C'était comme si un Eydolon* invisible s'était soudain manifesté pour disparaitre aussitôt sa tâche accomplie.

 Le cultiste sentait son cœur battre la chamade dans sa poitrine. Il avait du mal à croire ce qu’il avait vu. À en juger par la tête qu’il tirait, Saul était tout aussi perplexe. Se ressaisissant, Amset se précipita sur Orbia. Il ramassa le couteau et libéra son amie tandis qu’elle se confondait en exclamations soulagées. Il l’aida à se relever et, après une rapide étreinte mutuelle, Orbia ramassa son collier de Khême qu'elle rangea dans ses poches. Enfin, ils s’entrainèrent l’un et l’autre dehors, suivis de Saul et Quetzu, sans accorder plus d’attention aux esclaves.

* Eydolon: Nom donné aux fantômes de la Terre des Murmures, incapables de parler et de toucher les êtres vivants, il peuvent cependant interagir avec la matière. (Voir la Petite vendeuse d'allumettes et le Vendeur de Bougies)

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