Chapitre 41: Renaissance

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 La première chose qui frappa Amset, ce fut l’aisance apparente avec laquelle l’homme, qu’il avait vu littéralement cloué au mur, se tenait debout. S'il avait changé de manteau, il restait des traces de sang sombre sur ses braies. Il se tenait bien la poitrine d’une main, mais d’une façon presque négligente. Rien ne laissait deviner de l’état dans lequel le prêtre l’avait laissé quelques heures plus tôt. Avait-il rêvé la scène ?

 Afin d'aider ses camarades blessés à descendre de Célian, Hypatie se précipita vers eux lorsque l'animal s’arrêta. Le cultiste en profita pour la présenter rapidement à Orbia, ce à quoi la savante ajouta quelques grands sourires. Plus discrètement, elle fit un signe de tête désignant l’homme qu’elle était allée soigner. Non sans déglutir, Amset se tourna vers ce dernier. Barrabas n’avait presque pas bougé depuis leur arrivée. Il avait un regard grave, fixant sa protégée ainsi que l'ami de celle-ci, et particulièrement leurs mains qui ne s’étaient toujours pas lâchées.

 — Tu es saine et sauve…, soupira-t-il finalement. Je dois reconnaitre que, cette fois-ci, j’ai eu peur.

 — Amset et ses amis sont venus me secourir, lui répondit-elle avec assurance. Ils sont même venus avec Célian et les araquets, tu as vu ?

 — Oui, je le lui avais demandé…, grommela Barabbas en fixant désormais l’Assyrien. Amset, c'est ça ? On dirait que je t’ai mal jugé.

 Le cœur du prêtre faillit rater un battement à ces paroles. Il retenait son souffle, impatient d’en entendre plus.

 — Ce ne serait pas la première fois que je me goure sur quelqu’un. Malgré la manière dont je t’ai chassé, tu n’as pas hésité à m’envoyer de l’aide et à partir secourir Orbia… Je te suis… infiniment reconnaissant.

 — Je… J’ai reçu beaucoup d’aide, je n’aurais rien pu faire seul…, bredouilla Amset, rougissant. Je vois que… qu’Hypatie vous a remis sur pied.

 Alors qu’il évoquait enfin la guérison, miraculeuse à son sens, le regard de Barabbas le quitta quelques secondes, le temps de croiser celui d’Hypatie. On aurait dit qu’ils attendaient la réaction de l’autre. Après de longues secondes, le principal intéressé appuya plus fort contre son torse, comme pour simuler une douleur avec peu de talent.

 — Heureusement, votre amie sait lire les runes du Culte. J’avais ramené de mon ancienne vie quelques parchemins. L’un d’eux a arrêté l’hémorragie et réparé mes tissus.

 — Un parchemin ? s’étonna Amset en écarquillant les yeux, imité par quelques autres Assyriens qui assistaient à la scène en tant que spectateurs.

 — Heu, c’est juste pour écrire, un parchemin, non ? intervint Orbia, sceptique. Vous avez épongé le sang avec ? T’étais fort blessé ?

 Amset, soutenu par quelques détails d’Hypatie ou même de Jessé, lui expliquèrent brièvement ce qu’étaient les parchemins dont ils étaient en train de parler. S’il était effectivement inscrit quelque chose dessus, il s’agissait de runes du Culte. Les lire déclenchait l’activation de celles-ci et leurs effets pouvaient être très variés. Il pouvait s’agir de créer une boule de feu, de refroidir l’espace, de faire s’envoler des objets ou même, dans ce cas précis, de soigner quelqu’un. Cependant, aussi pratiques soient les parchemins, ils étaient tous à usage unique, la feuille tombant en cendres après activation. La lecture des runes était un apprentissage à part entière et la création de nouveaux parchemins était autant un art qu’une science, qui nécessitait précision, rigueur et patience, au risque de se retrouver avec un effet non désiré. Les rares personnes à être capables de créer des parchemins étaient nommées « Faussaires ». Ils se basaient presque toujours sur des originaux. C’était par ailleurs l’utilisation des premiers parchemins qui avait apporté la victoire aux humains de Psyendé, lors de la première Croisade.

 Ceci expliqué, Orbia s’étonna que son protecteur ait eu de vieux exemplaires dans leur maisonnette. Elle le taquina sur ses secrets, sans lui en tenir aucune rigueur, souhaitant absolument narrer la manière dont elle avait été secourue. Très vite, Barabbas l’interrompit.

 — Tu me raconteras ça chez nous, Orbia. L’air de rien, il se fait tard, le soleil ne tardera plus à se coucher. Nous allons nous retirer.

 — Quoi, comme ça ? s’étonna David de manière spontanée.

 — Après ce qu’il s’est passé, tout le monde mérite bien un petit remontant ! confirma Nathan en se massant une bosse sur le crâne.

 — Oh, on pourrait faire un repas tous ensemble ! proposa Orbia, surexcitée par cette brillante idée. Barabbas, on peut, dis ? On va faire une petite fête !

 — C’est-à-dire… Je ne pense pas qu’il y ait assez de place chez nous et…

 — Alors venez avec nous, à Nochélys.

 Orbia, qui tirait sur la manche de son protecteur pour l’encourager à accepter, se figea. Barabbas se mordit la lèvre, l’air peu rassuré. Ils fixaient Amset qui, au contraire, paraissait confiant et plein d’enthousiasme. Ses compagnons, derrière lui, ne disaient plus rien, en l'attente d'une réaction de l’autre parti.

 — Nous avons tout l’espace nécessaire là-bas, reprit le prêtre. Et puis, j’aimerais… vous montrer quelque chose, à tous les deux. Si vous ne vous sentez pas à l’aise, on abandonnera l’idée, mais je vous demande de me faire confiance.

 Orbia déglutit et souffla un coup avant d’acquiescer avec un sourire qu'elle voulait convaincant. Elle abandonna Barabbas pour retourner auprès d’Amset et lui attrapa la main. Ils échangèrent un regard sans aucun mot puis, d’un même pas, menèrent la marche en direction de Nochélys, suivis de tout le monde, Célian et Paco compris.

 Si son amie lui faisait pleinement confiance, l’Assyrien sentit bien qu’elle n’était pas dans son assiette à se rapprocher ainsi de son village natal. L’appréhension et ses mauvais souvenirs la minaient. Elle ralentissait parfois le rythme avant de croiser son regard et de reprendre comme si de rien n’était.

 Finalement, lorsqu’ils arrivèrent en bordure du village, elle se figea. Cette fois-ci le malaise et la peur n’étaient plus en cause. Là où elle n’avait connu ces dernières années que maisons en ruine et abandonnées se tenaient désormais de ravissants petits logis dans lequels plus aucune fissure n'était visible. Des plaques de bois remplaçaient les vitres brisées par le temps et la végétation envahissante avait fait place à de beaux parterres de fleurs colorées. Même des rues sous forme de sentiers pointaient leur bout de leur nez çà et là.

 Sans rien dire, Orbia lâcha la main d’Amset et fit un pas en avant. Au bout d’un second, elle porta les siennes à sa bouche, afin de l'empêcher de hurler, retenant avec mal un cri du cœur. De là où ils étaient, elle pouvait voir le grand potager, irrigué par le système d’Hypatie. Plusieurs constructions de bois et de pierre s’élevaient, un peu partout, tels des abris pour la pluie ou de simples bancs où se reposer. Personne n’aurait pu imaginer que cette place abandonnée depuis une décennie puisse renaitre de ses cendres.

 Orbia fit alors volte-face, presque haletante. Ses yeux aux reflets de ciel bleu se posèrent sur le jeune prêtre qui lui souriait tendrement. Il hocha la tête, comprenant qu’elle désirait savoir si elle ne rêvait pas. Elle ne put retenir une exclamation de joie et lui sauta au cou pour l’étreindre, larmoyante. Derrière eux, Barabbas non plus n’en revenait pas des changements effectués au village. Les Assyriens, par contre, observaient la scène avec une certaine fierté, les yeux rivés sur les deux tourtereaux.

 Orbia relâcha Amset et le tira par la main, l’entrainant avec elle dans le village, exigeant qu’il lui fasse une visite de tout ce qu’il avait fait depuis son arrivée. Plus agitée que jamais, la Cyanidienne s'extasia devant tous les bâtiments. Tandis qu'ils parcouraient Nochélys, elle évoquait tous ses souvenirs, certes vagues, sûrement enjolivés, mais avec tant d'allégresse qu'Amset la laissa à sa nostalgie. Elle avait le regard pétillant lorsqu'elle découvrit la place centrale qui était restée si longtemps délabrée. Très vite, elle s'élança vers l'une des maisonnettes, celle qu'elle avait autrefois habitée avec sa mère. C'était la toute première à laquelle Amset s'était attaqué, après celle qu'il s'était attribuée, bien sûr. Les réparations avaient beau être plus maladroites que les suivantes, la jeune femme lui fit tant d'éloges qu'il se sentit presque défaillir.

 Comme prévu, ce soir-là, on fit une grande fête à Nochélys. Barabbas alla chercher l'un de leurs jeunes porcs balayettes qu’ils firent cuire à la broche sous la surveillance de Samuel. Orbia leur expliqua comment tirer du jus de paraguina, l’étrange gousse orange à l’odeur nauséabonde qui, réduite en liquide, était étonnement délicieuse. Nathan organisa aussi une grande partie de Paysan et Empereur, qui fut forte en rebondissements. Ils chantèrent, ils dansèrent, ils rirent et s’amusèrent toute la nuit. Le souvenir de cette soirée resterait gravé à jamais dans la mémoire de chacun. Quand enfin il fut l’heure d’aller dormir, Orbia et Barabbas leur dirent aurevoir et rentrèrent chez eux. Cependant, aux aurores, ils étaient déjà de retour, avec toutes leurs affaires, afin de déménager et de s’établir, pour de bon, à Nochélys.

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