Chapitre 43: L'hommage aux âmes

5 minutes de lecture

 — Bonsoir, Amset, lança l’homme. Je peux entrer ?

 — Bien sûr, répondit le jeune prêtre, que l’inquiétude n’avait pas quitté.

 Il s’écarta et laissa Barabbas pénétrer dans son habitation. Ce dernier dut se baisser pour ne pas se cogner au linteau. Il semblait un peu mal à l’aise. Sa mâchoire faisait d’étranges mouvements, comme s’il s’empêchait de justesse de marmonner des paroles qui ne concernaient que lui. Son hôte l’invita à s’asseoir à l'une des tables qu’ils avaient construites afin d’aménager les maisons du village. Il prit place, faisant grincer dangereusement la chaise pourtant toute récente sous son poids et Amset l’imita de manière à lui faire face. Avant de démarrer, il alluma une bougie qui était posée là.

 — En quoi puis-je vous aider ? demanda-t-il en croisant les doigts sur la table.

 — J’ai surpris ta petite conversation avec Orbia, tout à l’heure. Je voulais être sûr que tu saches que… qu’elle tient beaucoup à toi.

 Amset baissa les yeux sur ses mains. Il avait un peu honte d’avoir douté de cela, d’avoir douté d’elle. Entendre pareille affirmation de la bouche même de Barabbas faisait naitre un léger sourire sur son visage.

 — Vos rendez-vous étaient sûrement les meilleures choses qui pouvaient lui arriver, poursuivit-il. Quand je l’ai vue revenir, la première fois, aussi épanouie, j’ai abandonné l’idée de te faire débarrasser le plancher, du moins momentanément.

 — Attendez, vous saviez que j’étais resté ?

 — Tu as fait du feu, non ? Tu croyais que tu étais passé inaperçu ?

 Le prêtre ouvrit la bouche sans qu'aucun son n’en sorte. Puisqu'il ne trouvait rien à redire, il soupira et adressa une moue gênée à Barabbas.

 — Ce que tu as fait pour elle, personne ne l’aurait fait, reprit-il. Et elle n’aurait jamais réussi à le faire seule. Je vous ai bien observés depuis que nous avons déménagé ici. Dis-moi, Amset, tu as des sentiments envers elle, pas vrai ?

 Le prêtre resta immobile, regardant le protecteur de son amie dans les yeux. Puis son sourire s’élargit et il acquiesça.

 — Oui, confirma-t-il. Oui je crois bien que… que je l’aime. Comme je n’ai jamais aimé personne d’autre avant.

 — Et le lui as-tu dit ?

 Cette fois, l’Assyrien nia sans rien ajouter, se sentant rougir un peu plus. Lui qui avait si souvent pris la parole devant des assemblées pleines de monde s’était toujours trouvé incapable d’avouer ses sentiments à l’élue de son cœur.

 — C’est bien ce que je pensais, soupira l’homme. Si c’est parce que tu as peur de sa réaction, alors tu ne devrais pas rester si réservé. Néanmoins, il faut que je te parle de ses petites virées nocturnes.

 Amset perdit instantanément le sourire. Il se redressa un peu contre le dossier de sa chaise, retirant ses mains de la table et sentit comme un poids sur l’estomac. Barabbas avait désormais un air très sérieux et ses petits yeux étincelaient d’une lueur étrange, presque grave. On aurait pu croire qu’il s’apprêtait à annoncer le décès de quelqu’un.

 — Tout d’abord, tu dois savoir que ces petites escapades sont très récentes.

 — Depuis quand ? Depuis que vous êtes installés ici, ou bien…

 — Non, l’interrompit Barabbas en levant la paume de sa main. C’est depuis qu’elle a essayé de porter le collier de sa mère.

 L’Assyrien se mordit la lèvre inférieure et déglutit, sentant un frisson parcourir son corps tout entier. Voilà qui ne commençait pas très bien…

 — Ce bijou est serti de Khême. Or, lorsqu’il était en possession de la mère d’Orbia, ce n’était pas le cas.

 — Comment ça ? Vous voulez dire qu’on l’a rajouté après sa mort… ?

 — Pour simplifier les choses, oui, soupira Barabbas qui semblait hésiter à en dire plus. Quoi qu’il en soit, depuis lors, ce pendentif est devenu une Relique.

 — Quoi ? Mais enfin, les Reliques sont des objets ayant appartenus à des saints du Culte, je doute que la mère d’Orbia en ait été une…

 — C’est là que tu te trompes. Le Culte s’approprie les Reliques connues en les associant à des figures de son ordre, c’est tout. C’est la présence de Khême qui offre à ces objets des capacités fantastiques.

 Amset se frotta la bouche avec la main, le regard baissé sur la table, perplexe. Ce que lui disait cet homme allait à l’encontre de tout ce qu’on lui avait appris sur l’histoire du Culte. On comptait de nombreuses Reliques dans le monde, auxquelles on prêtait d’incroyables facultés. L’Encensoir de Ste Lucie, par exemple, était connu pour soigner la Maladie véhiculée par la Pestilence. Il l’avait vu, exposé et sous surveillance, lors de son apprentissage à Nopila. L’objet était effectivement parsemé de pierres de Khême. Il avait tout de même du mal à croire ce que Barabbas lui racontait. Pourtant, peut-être que cela pouvait expliquer un des mystères qui le perturbaient depuis un moment déjà.

 — Et ce serait pour ça que le collier a brûlé Orbia et ma main lorsque je le lui ai donné ? supposa-t-il en redressant la tête.

 — Sûrement, confirma Barabbas, l’air embêté, comme s’il avait redouté la question. Mais ce n’est pas tout. Lorsqu’Orbia, et seulement Orbia, le porte, elle entre en connexion avec les anciens habitants de Nochélys.

 — Quoi ? s’exclama Amset. Comment ça, en connexion ?

 — Elle voit leurs âmes, leur parle, les apaise. Ce qu’il s’est passé ce soir-là les empêche de trouver le repos. Elle est en mesure de les libérer, et c’est bien ce qu’elle compte faire. Cela réclame de la concentration, aussi s’isole-t-elle pour ne pas être dérangée. Et, l’air de rien, c’est très dur, émotionnellement, pour elle.

 — Ce sont quoi, des Eydolons ? demanda Amset, en référence aux esprits des morts ayant encore un but à réaliser sur la Terre des Murmures.

 — Non, on ne peut les voir, seule Orbia peut les entendre. Certains sont en colère contre elle, ils la jalousent d’être en vie alors qu’eux y sont passés. C’est ça, le plus dur. Tout cela l’accable.

 — Pourquoi est-ce qu’elle m’a caché tout ça, dans ce cas ? Elle se fait harceler par ceux-là même qu'elle veut aider !

 — Elle souhaite juste t’épargner. Elle prend sur elle, même si elle en souffre… Peut-être avait-elle peur que tu puisses la croire folle ? Après tout, à moi, elle n’avait rien dit avant que je ne la surprenne…

 Un silence s'instaura quelques secondes, le temps d'assimiler toutes ces nouvelles informations. Il y avait de quoi relativiser, mais cela soulevait tant d'autres questions.

 — D’où est-ce que vous savez tout ça ? Le jour de notre rencontre, j’ai bien compris que vous n’aimiez pas le Culte, pourtant, vous savez des choses que même un prêtre ignore…

 — Et je ne pense pas que tes Évêques en sachent beaucoup plus. Ce sont des secrets bien gardés et, pour ton propre bien et celui d’Orbia, je ne te dirai pas d’où j’ai appris cela.

 — Mais…

 — Je ne dirai rien de plus, répliqua Barabbas en se levant de sa chaise. Tu en as déjà appris plus que nécessaire. Passe une bonne nuit.

 Il ajusta sa peau de bête, tourna les talons et, ignorant les appels du cultiste, sortit de la maison afin de rejoindre la sienne d’un pas pressé. Là-bas, il poussa un grand soupir et s’installa à sa fenêtre, à l'instar d'Amset avant lui. Il observa un instant les étoiles d’un air ronchon, presque mauvais, puis un mouvement attira son regard. Il avait deviné juste, le jeune homme sortait de chez lui pour rejoindre sa protégée.

 — Pardonne-moi, Amset, grommela-t-il pour lui-même. D’ainsi mettre ton bonheur en danger…

Annotations

Vous aimez lire C.Lewis Rave ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0