Chapitre 44: Le nouveau Guide

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 Le jeune homme se hâtait d’avancer malgré l’obscurité environnante. La discussion qu’il avait eue avec Barabbas l’avait un peu secoué. Les révélations de ce dernier allaient à l’encontre de toutes ses croyances. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’y cogiter. Plus que tout, il était décidé à parler avec Orbia. Si tout ce qu’on lui avait dit était vrai, elle était en ce moment en train d’affronter seule la peine et la haine des habitants de Nochélys, prêts à lui faire regretter d'avoir survécu ce soir-là. Il ne pouvait se résoudre à la laisser seule vivre ça.

 Leur entretien à la lueur de la bougie avait rendu la noirceur de la nuit plus intense à ses yeux qui durent de nouveau s’habituer au manque de lumière. Cependant, Amset savait exactement où il allait. Il trébuchait, certes, manquant de se vautrer à la moindre racine, mais il connaissait le chemin par cœur.

 Très vite, il arriva à l'orée de la jungle et fut accueilli par Quetzu, signe qu’il ne s’était pas trompé. Le serpent à plumes se dressa pour lui barrer la route. S’il ne pouvait pas le voir avec précision, le reptile se montrait hésitant à le laisser passer ou non. Le prêtre ralentit. Une fois assez proche, il lui caressa les plumes et l’animal s’écarta, tête baissée, le laissant ainsi approcher leur amie commune.

 Orbia était assise en tailleur sur leur souche d’arbre, là où ils se retrouvaient toutes les après-midi auparavant. Elle marmonnait des paroles si faibles qu’Amset ne les entendait presque pas. Ce dernier se rapprocha prudemment, le visage triste. Comme il n’était plus qu’à quelques mètres, un éclat de lune lui fit voir la grimace de son amie, qui semblait souffrir autant physiquement que moralement. Soudain, elle ouvrit les yeux. Ses iris brillaient dans le noir à la manière de ceux d’un aurulve lorsqu'elle releva la tête vers lui.

 — Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle d’une voix grave qu’il ne lui connaissait pas.

 — Je suis juste venu pour t’aider, lui répondit-il, un peu impressionné par cette attitude inédite.

 — Je n’ai pas besoin de toi ! Va-t'en !

 — Non, Orbia, je reste, affirma Amset, les poings serrés.

 — Va-t'en ! hurla-t-elle.

 Aussitôt, le cultiste sentit une force invisible attraper ses épaules et le soulever de plusieurs centimètres avant de le repousser en arrière. Il réprima un cri de douleur en retombant sur le dos, deux ou trois mètres plus loin. Il prit appui sur ses coudes et se releva. Si Orbia n'avait pas bougé, son corps était enveloppé dans une étrange aura couleur de sang. Des formes vaguement humaines s'en extirpaient fugacement, comme des bribes de souvenirs luttant pour exister. Sans se laisser impressionner, Amset se rapprocha de nouveau.

 — Qu’est-ce que tu fais ? s’exclama Orbia. Je t’ai dit de t’en aller !

 — Non, répéta le prêtre. Tu as besoin d’aide.

 — Ça ne te concerne pas ! s’écria-t-elle d’une voix plus forte. Tu ne peux pas m’aider !

 — Eh bien, je vais quand même essayer !

  Encore une fois, il se sentit soulevé puis violemment rejeté. Il se redressa en se tenant une côte qu’il craignait cassée. Mais la douleur ne l’arrêtait pas, il était bien décidé à s’asseoir avec elle. Orbia paraissait hors d'elle. Son expression sombrait dans la fureur de seconde en seconde et les ombres qui l'entouraient s'agitaient toujours plus. Pourtant, tandis qu'elle l'expulsait pour la troisième fois, Amset aperçut des larmes couler de ses yeux luminescents. Cette fois-ci, il était retombé moins loin et moins brutalement. Ainsi, sans se décourager, il persévéra. Sans relâche, alors qu'Orbia le sommait de déguerpir, il avançait, pas à pas. Cette fois-ci, l’Assyrien se montra plus borné qu’elle.

 Il n’était plus qu’à deux mètres lorsque la Cyanidienne éclata en sanglots. Elle ne le regardait plus, secouée par ses sanglots. Son aura disparut aussi soudainement qu'elle était apparue. Amset put enfin s'asseoir à côté d’elle et passa son bras au-dessus de ses épaules, observant devant eux le ciel rempli d’étoiles.

 — Pourquoi… Pourquoi est-ce que tu n’es pas parti ? demanda-t-elle, sa voix redevenue telle qu’il l’avait toujours connue.

 — Barabbas m’a expliqué ce que tu faisais.

 Elle releva la tête, haletante, l’air effrayée. Ses yeux avaient repris cette couleur du ciel qu’Amset aimait tant voir scintiller, bien que dans l’obscurité, ce n'était pas possible de les admirer.

 — Je n’ai pas tout compris, reconnut-il. Mais il y a une chose qui ne m’a pas échappé. C’est que je ne peux pas te laisser vivre ce calvaire toute seule.

 — Ce n’est pas un calvaire…, marmonna-t-elle en baissant la tête.

 — Peu importe, je veux être là, t’aider à vivre ça. Je veux que tu saches que tu n’es pas seule. Je suis, et je serai toujours là pour toi.

 Il avait dit cela en prenant ses mains dans les siennes. Orbia renifla un grand coup. S’il ne pouvait se fier à sa vue, le cultiste était persuadé qu’elle lui adressait un faible sourire.

 — Merci, Amset, lui répondit-elle après avoir séché ses larmes d’un mouvement de coude. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi. J’ai été assez bête pour croire que je pourrais devenir la Guide du village, comme ma mère. Seulement, les âmes de Nochélys ont raison, j’en suis toujours incapable.

 — C’est un de tes rêves, non ? Qu’importe ce que disent ces gens. Tu vas y arriver, qu’ils le veuillent ou non. Le village sera bientôt prêt à accueillir du monde et tu seras leur Guide.

 — J’ai peur. Si je n’étais pas à la hauteur, si je faisais tout rater, tous ces efforts que tu as faits...

 — Je serai là, assura Amset. Pour toujours, avec toi. Je t’aiderai du mieux que je peux et, ensemble, nous allons rendre à Nochélys sa vie d’avant.

 Orbia resta immobile. Les yeux dans les yeux, personne ne bougeait, comme si chacun pouvait lire à l’intérieur de l’âme de l’autre. Après un long moment, elle retira d’une main le collier de Khême. Elle lui adressa un regard mitigé et le rangea dans la poche de sa tunique. Ensuite, elle se releva, joignant sa deuxième main à celle qu’Amset retenait.

 — Alors viens avec moi, lui dit-elle. Je veux te montrer quelque chose.

 Il se laissa entrainer par la Cyanidienne qui le ramena à Nochélys. Suivis par Quetzu, ils traversèrent le village en veillant à ne pas réveiller les travailleurs et elle le mena près d’un mur de pierre qu’il avait déjà eu l’occasion d’inspecter. C’était ce qu’il avait imaginé être des stèles funéraires. Il resta interdit, se demandant si elle allait procéder à une cérémonie afin d'apaiser les esprits des morts. Au lieu de cela, usant de son don d’Héritière, elle fit venir vers eux un maillet et une pierre pointue.

 — C’est ici que sont marqués les noms de tous les Guides de Nochélys depuis la création du village, lui expliqua-elle, non sans émotion. Il reste de la place pour un nouveau.

 — Tu vas inscrire le tien, devina Amset avec un sourire.

 — Je vais inscrire les nôtres, rectifia-t-elle. Nous serons, à deux, le nouveau Guide de Nochélys. Ensemble.

 Le prêtre ouvrit la bouche mais ne trouva rien à ajouter. Elle s’agenouilla et, à l’aide de ses outils, entama la roche afin d’y graver leurs noms.

 — Attention, si tu écris mon prénom aussi grand que ça, tu n’auras plus de place pour le tien, signala Amset.

 — Ne t’inquiète pas, j’ai tout prévu !

 Elle se décala légèrement, l’empêchant de voir ce qu’elle inscrivait. Lorsqu’elle se releva, les deux mains sur les hanches avec un petit air fier, il put ainsi admirer l’astuce d’Orbia. Au lieu d’écrire leurs deux noms au complet, elle s’était contentée des deux premières lettres de chacun, en commençant par celui de l’Assyrien.

 — Voilà ! annonça-t-elle. Ce sera notre nouveau nom en tant que Guide ! Nous ne sommes plus qu’une personne, si tu le veux toujours !

 Elle l'observait dans l’attente d’une réaction. Amset fixait son écriture et se sentit parcouru de tout un tas d’émotions. Puis, croisant son regard, il rapprocha son visage du sien et, d’un même mouvement, ils s’embrassèrent, enfin, pour la première fois.

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