Chapitre 49: Appréhension
— Eh bien, on ne vous attendait plus ! plaisanta Marthe en passant sa tête par la fenêtre.
— Désolés, on n’a pas vu le temps passer ! lui répondit Orbia.
Saa leur ouvrit la porte de sa maisonnette et les invita à rentrer. Contrairement à l’habitation des deux Guides, la plupart des bâtiments de Nochélys étaient d’époque et rafistolés par les efforts de chacun. Celle-ci était aussi bien plus petite, mais suffisante pour le train de vie que menaient la Denienne et son époux. On avait érigé un mur qui séparait l’unique pièce en deux et laissait au couple une chambre privée sur le côté. Ils s’assirent à table et Marthe leur proposa plusieurs breuvages : jus de paraguina, thé cobalte, infusion de lotus ou simplement de l’eau. Si Saa produisait de la cervoise, elle ne leur en proposa pas, sachant que cette bière était déconseillée aux femmes enceintes. Une fois tous servis, ils commencèrent à papoter.
— Vous avez déjà une idée pour le prénom ? demanda Marthe, curieuse.
— On est arrivés à un accord, confirma Orbia.
— Si c’est un garçon, ce sera Amset junior, et Orbia junior pour une fille.
— C’est une blague ? demanda Saa après avoir recraché son infusion par les narines.
— Évidemment ! Vous auriez vu la réaction de Barabbas quand on lui a dit ça ! Non, ce sera Balthazar, comme le grand-père d’Amset.
— Ou Cassité, comme la mère d’Orbia.
— Ah, c’est vrai que j’ai déjà vu ce nom sur la stèle ! fit remarquer Marthe.
— Et pour vous, quand est-ce qu’on devra lancer les travaux d’agrandissement ? demanda le cultiste.
— On est sur le coup, assura Saa en passant son bras dans le dos de la Denienne qui devint toute rouge.
— Han, les copieurs ! les taquina Orbia.
Ils changèrent de sujet, conversant de ci et de ça en dégustant quelques galettes de miel dont Marthe gardait jalousement la recette. Alors que Saa racontait une soirée passée avec Carmelo et Nathan à tester sa cervoise, ainsi que toutes les péripéties rocambolesques dont étaient capables trois amis éméchés, ils furent interrompus par des coups sur la porte. Ils n’attendaient personne, aussi Marthe se leva en fronçant les sourcils avant d’aller ouvrir. C’était Jessé, accompagné d’un de ses jeunes fils, qui haletaient sous l'effort. Ils avaient couru. Leur mine sombre et leurs regards qui se dirigeaient à l’intérieur firent deviner qu’ils cherchaient quelqu'un d'autre.
— Amset, Orbia ! s’écria le paternel après avoir repris sa respiration.
— Des voyageurs viennent d’arriver, signala son enfant. Ils sont paniqués !
— Ils ont croisé une bête sauvage ? devina Amset avec un léger sourire.
— Peut-être, mais ce n’est pas pour ça qu’ils sont dans cet état. Il vaut mieux que vous l’entendiez par vous-même.
La réponse de leur ainé étonna les deux Guides qui échangèrent un regard circonspect. Ils s’excusèrent auprès de Saa et Marthe avant de rejoindre ces nouveaux arrivants. Leurs hôtes eux-mêmes, piqués dans leur curiosité, les suivirent. Derrière Jessé, ils traversèrent le village en direction du sentier qu’ils avaient façonné. Une petite foule était déjà rassemblée autour de quelques personnes qui parlaient à haute voix, entre les plaintes et les lamentations. L'inquiètude se lisait sur leurs visages et un mauvais pressentiment commençait à saisir les Guides. Comme ils arrivaient, on s’écarta afin de les laisser passer. Au premier rang, Barabbas leur adressa une grimace préoccupée, plus sombre qu’il ne l’avait jamais été de mémoire d’Amset. Il n’en fallait pas plus pour convaincre le couple que la situation était particulièrement grave.
— Des ruines ! clama un homme en habit de pèlerinage, un Cobalte d’après son teint si pâle. Des décombres et plus un seul mur tenant debout !
— Plus une seule âme qui vive ! ajouta une femme d’un ton dramatique. Même les corps étaient absents, c’est vous dire !
— De quoi parlez-vous ? intervint Amset d’une voix forte. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Réunion ! Réunion a été détruite ! Il ne reste rien de la ville de toutes les nations, si ce n’est des gravats !
Le prêtre déglutit puis se tourna vers Orbia. Elle se mordait les lèvres avec un air apeuré qu’on lui connaissait peu. Derrière, tout Nochélys s’inquiétait. Si ces gens disaient vrai, alors ils étaient peut-être en danger. Amset se décida à interroger les pèlerins tout en veillant à appaiser leurs ardeurs. Il voulait éviter que quiconque cède à la panique, eux comme les habitants du village. Manifestement, les nouveaux venus ignoraient tout des causes. Ils avaient trouvé la ville rasée à leur sortie du Tunnel Ste-Barbe sans que rien ne laisse présager un tel désastre. Ne sachant que faire, ils avaient cheminé jusqu’ici dans le but de propager la nouvelle.
Après de longues explications, les deux Guides se rendirent au pigeonnier du village. Ce n’était que le nom courant de cette structure destinée aux oiseaux, car la plupart de ses occupants étaient des araquets. Paco se posa directement sur les épaules d’Amset, sans considération pour Quetzu qui protesta en sifflant. Ils rédigèrent plusieurs lettres qu’ils confièrent à différents volatiles, une boule au ventre. Même si ça ne leur plaisait pas, ils devaient avertir les autorités des différents pays de ce qu’on venait de leur apprendre. Cependant, plus que la menace qui pesait peut-être aussi sur leur village, c’était les conséquences de tout cela qui les effrayaient.
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