Chapitre 54: La tentation

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 La Guide venait de sortir de chez elle. Escortée de Quetzu, elle marchait distraitement à la rencontre de son mari, le collier de Khême à l'abri dans un petit sac. Elle y plongea sa main pour caresser les pierres sombres serties dans le bijou mais elle la retira vite avec une exclamation de surprise. L’amulette était chaude telle la braise. Elle se figea et observa autour d’elle, aux aguets.

 — Barabbas ? Tu es là… ?

 Comme elle entendait du mouvement derrière les murs, elle avança, méfiante, afin d'en faire le tour. Quelle ne fut pas sa surprise d’y découvrir l’Inquisitrice majore qui regardait autour d’elle, embêtée. On aurait dit qu'elle s'était perdue, sa tasse de thé toujours en main. Orbia nota qu'elle la tenait d'une drôle de manière, sans se servir de son petit doigt.

 — Je peux vous aider ? demanda la Guide, gênée.

 — Ah, vous tombez bien, chère enfant ! Figurez-vous que je me suis déjà perdue, je comptais trouver le domicile qui m’est alloué. J’ai bien fait, parce que si j’avais commencé à chercher plus tard, je ne serais peut-être pas tombée sur vous !

 — Je vais vous accompagner. Suivez-moi !

 Les deux femmes s’engagèrent dans les rues de Nochélys à pas pressé, tant et si bien que l’Inquisitrice Mahakal somma Orbia de ralentir le rythme.

 — Voyons, tu devrais te ménager, dans ton état ! la gronda-t-elle. D’ailleurs, quand est prévu l’heureux évènement ?

 — Dans un mois, un mois et demi ! Mais je me sens encore parfaitement capable de…

 — Eh bien, pense à moi alors, je commence tout doucement à me faire vieille ! Heureusement, une tasse de thé me requinque toujours !

 La Cyanidienne obtempéra. Sa Sainteté avait beau l'avoir tutoyée sans prévenir, elle intimidait beaucoup la jeune femme. Ses interventions assurées et sans pincette lui avaient fait forte impression. De toute évidence, l’Inquisitrice était de ceux qu’il valait mieux ne pas contrarier. Orbia avait peur de faire un faux pas, ignorant qu’elle en avait déjà fait quelques-uns dont la Sirène n’avait pas tenu compte. C'est d'ailleurs celle-ci qui la sortit de ses réflexions.

 — Je me demandais, très chère. Votre charmant village a émergé en quelques années. Or un rapport de notre Évêque de Réunion sous-entendait que celui-ci n’existait pas. Comment expliques-tu cela ?

 — Nochélys était abandonnée jusqu’à l’arrivée d’Amset, confirma Orbia. Il l’a restaurée, ses amis l’ont aidé, moi aussi, un peu…

 — Abandonné depuis combien de temps ? Tu y vivais, auparavant, d’après ce que j’ai compris.

 — Quand j’étais petite, oui, mais…

 — Ils sont tous morts, c’est bien ça ?

 Orbia se figea. Elles avaient beau être presque arrivées à destination, elle se sentait incapable de faire un pas de plus. Elle déglutit, n’osant pas se retourner vers cette femme si perspicace.

 — C’est bien ce que je pensais, soupira Mahakal. Ma pauvre, ça a dû être terrible, pour une enfant ! Pourtant, tu n’imagines pas la chance que tu as.

 — La chance ? s’indigna Orbia dans un volte-face. Comment pouvez-vous dire ça !?

 — Tu es encore ignorante de bien des mystères. Lorsque cette Croisade sera terminée, je pourrai t‘apprendre des choses très intéressantes sur toi-même et sur tes capacités hors du commun.

 L’indignation laissait peu à peu place à un mélange de curiosité et de peur. Qui donc était cette femme pour lui parler ainsi ? Qu’entendait-elle par des « capacités hors du commun » ? Était-ce du Don d’héritière qu’elle avait continué d’entretenir depuis la bataille dans la masure ? Ou bien encore de sa faculté de communiquer avec les âmes des défunts ? À moins que ce ne soit un mélange de tout cela.

 — Et Amset ? demanda-t-elle timidement. Lui aussi, il…

 — Ton mari n’a rien de tout ce qui fait de toi un être exceptionnel, Orbia, l’interrompit-elle. Il serait préférable qu’il reste ici, à veiller sur ton petit village.

 — Si c’est sans Amset, c’est hors de question !

 — Tu n’imagines pas tout ton potentiel, susurra-t-elle en lui tournant lentement autour. Je pourrais t’apprendre à dompter ces forces qui sont en toi, à les exploiter et à en tirer toute la gloire et la grandeur qui te reviennent de droit. Je pourrais t’ouvrir à ces secrets qui règnent sur notre monde et t’aider à défier l’impossible !

 — Non merci. Je suis très heureuse ici, ça me suffit ! Je vais bientôt être mère, je vous rappelle !

 — Oui, c’est vrai, soupira l’Inquisitrice. Cependant, qu’est-ce que quelques années de bonheur quand on peut avoir le monde entre ses mains pour une durée bien plus longue ?

 — Ecoutez, je ne suis pas sûre de tout comprendre…, hésita Orbia. Par contre, s’il y a une chose dont je suis certaine, c’est qu’il est hors de question que je laisse Amset derrière moi.

 L’Inquisitrice perdit son mystérieux sourire et fronça les sourcils. Puis elle éclata d’un rire qui révolta la jeune fille. Il était cruel et condescendant. Cette femme se moquait-elle d’elle ?

 — Si naïve… Tu ne te rends pas encore compte. Ta place n’est pas ici, parmi ces êtres fragiles et vulgaires. Plus tard, tu comprendras. Ce jour-là, nous t’accueillerons à bras ouverts.

 Orbia déglutit. L’Inquisitrice n’était pas plus grande qu’elle. Pourtant, elle la toisait avec un air assuré. Une étrange aura semblait émaner de son être. Orbia avait l’impression d’entendre des cris de désespoir et des lamentations plus vives que jamais, directement dans sa tête. Si elle souhaitait lancer une réplique cinglante afin de clore le sujet, elle s’en sentait parfaitement incapable. C'était comme si cette femme, sans la toucher, l’empêchait de faire le moindre geste. Même respirer lui paraissait compliqué.

 — Laisse-la tranquille, tu veux ? intervint alors une voix familière.

 Aussitôt, Orbia se sentit libérée de cette étrange emprise. L’Inquisitrice Mahakal tourna distraitement la tête et eut un léger rire en apercevant Barabbas s’approcher, les poings serrés et le regard grave.

 — Cela faisait longtemps ! s’exclama-t-elle. Comment te portes-tu, mon vieil ami ?

 — Nous ne sommes plus des amis ! Si tant est que nous l’ayons jamais été par le passé.

 Barabbas et l’Inquisitrice se faisaient désormais face, sans bouger ni ciller, comme en proie à une bataille mentale. Mal à l’aise, Orbia voulut s’approcher quand son protecteur la désigna de la main.

 — Amset te cherche. Vous aviez des choses à faire, je crois. Ne reste pas plus longtemps ici.

 La jeune fille déglutit tout en acquiesçant. Elle se précipita pour revenir sur ses pas, laissant ces deux personnages derrière elle, troublée. Où diable Barabbas et l’Inquisitrice s’étaient-ils déjà rencontrés ? Et surtout, que lui voulait vraiment cette horrible femme ?

 Avant que commence leur séance d’hommages, les deux Guides eurent une longue discussion à propos de leurs entretiens respectifs avec les responsables du Culte. Ils étaient partagés entre troubles, interrogations, frustrations et, surtout, angoisse. La journée n’avait décidément pas été sans surprise, mais pas des meilleures non plus… Ils avaient hâte que les Inquisiteurs partent de Nochélys.

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