Chapitre 55: Une cohabitation difficile

5 minutes de lecture

 Deux semaines s'étaient écoulées, bien calmes après l'Assemblée. Les cultistes étaient repartis dans leurs pays respectifs, sans s’attarder. Aucun Inquisiteur n’essaya plus d’entretenir avec les Guides une discussion privée. Si Orbia et Amset avaient tenté de questionner Barabbas, ce dernier s’était contenté de les ignorer, comme s’il ne s’était rien passé entre lui et la Sirène majore. Le prêtre avait fini par abandonner mais son épouse restait bornée. Elle considérait qu’elle était celle qui avait le plus de chance de lui tirer les vers du nez, même si ses tentatives étaient toujours infructueuses.

 Le travail d’Amset ne fut cependant pas des plus simples. Il reçut très vite de nombreux courriers au sujet des différents missionnaires qu’il allait devoir répartir dans les villages alliés. La tâche s'annonçait ardue. Il ne connaissait presqu’aucun nom et fit de son mieux pour se renseigner à son tour sur ceux-ci avant de choisir leur destination. Il voulait à tout prix éviter de nouvelles querelles.

 Nochélys s’était tout doucement préparée à l’arrivée des soldats. Les villageois avaient monté de nouveaux bâtiments et une vaste caserne était même en construction. Il avait été convenu que trois troupes s’installeraient au village dans un premier temps : une équipe assyrienne, une autre safranienne et une dernière majore. C’est cette dernière qui arriva en premier. L’équipe était composée d’une cinquantaine de soldats qu’ils logèrent dans des bâtisses abandonnées par ceux qui avaient quitté le village à l’annonce de la Croisade. Malheureusement, la cohabitation n’était pas des plus simples.

 Les Majores étaient des hommes de forte stature. S’ils vivaient chez eux avec d’épais manteaux de fourrures, ils les avaient laissés au placard et se baladaient ici presque torse nu. Ils passaient leur temps à faire des exercices physiques et à s’entrainer en raillant les habitants. Ils avaient aussi un appétit peu commun que Samuel peinait à satisfaire. Qui plus est, ils réclamaient sans cesse de l’alcool, au grand dam de Saa, ce qui n’arrangeait pas leurs relations avec autrui. Ils se montraient très hautains, parfois même violents.

 Orbia les avait déjà plusieurs fois avertis mais ces soldats des grands froids ne voyaient en elle ni une menace ni une figure d’autorité. Elle était proche d’accoucher, avec un ventre plus rebondi que jamais, et la voir s’exciter sur eux à cause de leurs bêtises les faisait bien rire. Amset devait alors l’empêcher d’en venir aux mains, ce qui n’était pas nécessairement tâche aisée.

 La caserne qui devait accueillir les safraniens et les assyriens devait encore être finalisée quand ils reçurent une lettre les informant de leur arrivée imminente. Ils avaient déjà traversé le Tunnel Ste-Barbe et tout le monde se pressait pour leur permettre d’occuper le bâtiment. Ils travaillaient d’arrache-pied sous les regards moqueurs des Majores.

 Nola et Caius transportaient une perche quand le commandant Hordsson s’avança vers eux. Il désirait perquisitionner l’arbre qu’ils venaient d’apporter afin d'entrainer ses hommes au maniement de la hache. Les deux anciens esclaves protestèrent, évidemment, mais le soldat ne se gêna pas pour pousser violemment Caius. En lâchant la perche, il fit porter tout le poids de celle-ci à son amie qui poussa un cri de douleur. Elle lâcha prise à son tour et le bois faillit écraser la jambe du safranien. La pauvre femme était en train de se masser les épaules quand le commandant l’attrapa par le col de sa tunique d’un air moqueur.

 — Est-ce que tu serais pas de chez nous, toi, ma petite ? lança-t-il en examinant sa chevelure blonde. Qu’est-ce qu’une compatriote fait dans ce trou paumé ?

 — Lâchez-moi !

 Tandis qu'elle se débattait, Caius essaya de se jeter sur le soldat. Seulement, les subordonnés du commandant se saisirent de lui avant qu'il n'ait eu le temps de s'approcher. Hordsson ricanait tout en examinant la tenue typiquement cyanidienne de sa proie.

 — On en a, de la chance, de trouver une femme du pays ici ! Par contre, tu as vraiment des goûts de purin, ma pauvre…

 — Elle vous a demandé de la lâcher ! s’écria Caius.

 — Et alors ? J'vais pas me laisser intimider par une bonne femme, et encore moins par une crapule de ton genre !

 — Alors je vais devoir m’en charger moi-même ! tonna une voix forte.

 Tous se tournèrent vers son origine. Orbia venait d’arriver, alertée par des oiseaux, suivie de son serpent à plumes. Si elle paraissait plus furieuse que jamais, avec ses deux poings crispés et ses yeux qui lançaient des éclairs, elle n’en restait pas moins une femme enceinte. Les soldats majores, loin de voir en elle une menace, éclatèrent de rire.

 — Mam’zelle la Guide ! s’exclama Hordsson, moqueur. Vous devriez apprendre la politesse à vos…

 Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Orbia, avec une vitesse inattendue, s’était jetée sur lui et lui asséna une claque phénoménale. Elle s’était servie de son pouvoir d’Héritière pour s'accélérer, mais aussi pour s’élever assez haut et frapper cette brute qui faisait une bonne tête de plus qu’elle. Enfin, elle avait ajouté un peu de puissance à son coup. Le commandant, sous la violence de cet assaut, en lâcha Nola et recula. Il se prit les pieds dans la perche, trébucha et s’étala sur le dos sous le regard ébahi de ses hommes. Quetzu, enfin, s’était dressé face à ceux qui retenaient Caius. Effrayés, ils le relâchèrent et reculèrent, murmurant entre eux des paroles inaudibles.

 — S’il y a quelqu’un qui décide des choses, ici, c’est Amset ou moi ! cria-t-elle à l’encontre du commandant. Vous n’avez aucune autorité dans ce village !

 Elle se détourna dans le but de s’assurer que Nola et Caius allaient bien. Elle comprit son erreur quand elle vit ceux-ci écarquiller leurs yeux avec angoisse. Quand elle se retourna, il était trop tard. L’homme venait de la saisir par le bras et il la tirait avec force. Surprise, elle ne put répliquer. Elle parvint tout de même à atténuer sa chute, toujours grâce à son don. Elle n’aurait pas cru que cet homme s’en prendrait à elle dans son état. En cet instant, le visage du commandant Hordsson était déformé par la colère.

 — Votre village n’est rien qu’une poussière ! fulmina-t-il en dégainant sa hache qu’il leva, prêt à frapper. Vous tous, vous allez vous soumettre à notre civilisation !

 Nola et Caius crièrent, rejoints par Amset, Spartacus et Olaf qui venaient d’arriver, suivis de plusieurs hommes en uniforme. Les Majores acclamaient leur chef en se moquant et en proférant des insultes. Orbia, par terre, était tétanisée. Un souvenir lui revenait, cette fois où elle avait cru perdre Amset. Elle était parvenue de justesse à exploiter ce pouvoir qui sommeillait encore. Aujourd’hui, elle le maitrisait parfaitement. Pourtant, elle peinait à se ressaisir. La lame amorçait le mouvement, Orbia serra les poings. Dans un ultime effort, elle tenta de se concentrer. Elle ne pouvait pas mourir, pas maintenant qu'elle allait donner la vie !

 Elle n’eut pas besoin d’user du pouvoir des Héritiers. Une ombre fila au-dessus d’elle, dressant une sorte de plaque en bois qui rentra en collision avec la hache du Majore. L’objet éclata en morceaux. La surprise déstabilisa le commandant. Vif comme l’éclair, celui qui avait dressé le bouclier pour protéger Orbia passa derrière l'agresseur et plaça la lame d’une épée contre son cou.

Annotations

Vous aimez lire C.Lewis Rave ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0