Chapitre 56: Compagnons d'armes
— Ravi de vous rencontrer, commandant, susurra l’homme à son otage. Et si vous lâchiez cette arme ?
Le commandant Hordsson était comme paralysé. C’était à peine s’il avait vu arriver ce type qui le menaçait. Il n’osait pas tourner son regard vers lui. Par contre, il pouvait voir le reste de sa bande : des soldats arborant l’uniforme militaire de la Safranie, une série de protection en métal, des épaulettes en tissu et une veste marquée du symbole de leur Impératrice. C’était Amset qui les avait menés jusqu’ici, dans le cadre d'une visite du village. La plupart étaient bouche bée, impressionnés par la vitesse de réaction de leur compagnon. Tous à l’exception d’un qui avait dégainé sa lame. Celui-ci surveillait plutôt les autres Majores, tout autant pétrifiés que leur commandant.
— Qu-Qui t’es, espèce d’enfoiré… ? parvint finalement à prononcer Hordsson, des perles de sueur dégoulinant de son front.
— Horus Sergius, Capitaine de la Garde Impériale de Safranie. Enchanté.
À ce nom, son otage obtempéra aussitôt, son arme retombant piteusement par terre. Sur le même temps, Amset se précipita pour aider son épouse. Il semblait paniqué et s'enquit de son état. Elle avait beau lui assurer qu’elle se sentait toujours bien, il ne se calmait pas. Les soldats majores, par contre, ne paraissaient pas prêts à laisser leur supérieur aux prises avec cet inconnu. Ils s’étaient saisis de leurs haches quand le deuxième Safranien s’interposa entre eux et les deux Guides, épée dressée.
— Manius Autier, se présenta-t-il. Second du Capitaine Sergius. Vous feriez mieux de ranger tout ça, ce serait dommage de nous entretuer, ce n’est pas le but.
— Rangez vos armes, bande d’idiots ! lança alors le commandant Hordsson, livide. Vous n’êtes pas de taille ! Ces types sont des Perçants ¹ !
L’air beaucoup moins confiant, ses soldats reculèrent puis sursautèrent en voyant, dans leur dos, l’équipe safranienne qui s’avançait, menaçante. Faisant profil bas, ils suivirent les ordres de leur supérieur. Satisfait, le Capitaine Sergius relâcha le commandant qui partit immédiatement sans demander son reste. Ses hommes l’imitèrent sous le regard grave de ces deux légendes dont la réputation en duel avait franchi toutes les mers. Quand le dernier Majore eut disparu au détour d’un bâtiment, ils s’avancèrent vers Orbia qui s’était tout juste relevée, un peu déboussolée. Tout comme le commandant Hordsson, elle n’avait rien vu venir.
— Veuillez nous pardonner, lui lança Horus. Vous devez être la Guide du village et l’épouse de Mr Zalacotl ?
— C’est exact. Je pense que je devrais plutôt vous remercier pour ne pas avoir été transformée en bouillie difforme ! Vous disiez donc que vous étiez…
— Il s’agit de l’unité safranienne, intervint Amset. Messieurs Sergius et Autier sont Capitaine et Vice-Capitaine de la Garde Impériale de l’Empire de Lucrèce. Ce sont eux qui dirigent l’unité qui va s’installer un moment chez nous.
Orbia acquiesça. Son mari lui avait déjà parlé de cette fameuse Garde Impériale, une unité de soldats d’élite. On disait que la majorité de ses membres était dotée du Don de Perçant. Ils avaient ainsi une vue particulièrement développée et ils étaient capables d’anticiper des mouvements. Horus Sergius en particulier, du haut de sa trentaine, à peine plus âgé qu’eux, avait déjà reçu bien des surnoms, parmi lesquels « L’épéiste le plus fort de la Safranie ». C’était une véritable pointure du combat. L’attitude des Majores à son nom en était la preuve.
— J’espère que cette grosse brute a compris qu’il n’avait plus intérêt à faire de zèle, intervint son second. S’en prendre à une femme enceinte est une véritable honte !
— Vu la tête qu’il tirait, je pense qu’il évitera tant que nous serons là, confirma Horus en jetant un coup d’œil par derrière. Nous resterons tout de même à l’affut de représailles. Je disais à votre mari à quel point nous étions sous le charme de votre petit village, madame. Je suis bien heureux d’être dans le même camp que vous.
— Oui, on aurait pu vous demander de tout raser, fit remarquer Orbia en croisant les bras, courroucée. D’ailleurs, on va sûrement vous demander de le faire dans d’autres « charmants villages ».
La remarque mit mal à l’aise autant les deux Safraniens que son mari. La Cyanidienne n’avait pas l’intention d’affirmer son soutien à la Croisade qui la rebutait. Si elle collaborait, c’était uniquement une question de survie et pour le bien de sa culture.
— Je comprends votre point de vue, soupira le Capitaine. Après tout, nous n’avons pas demandé à venir, nous non plus. Seulement, d’autres, plus hauts placés, nous y ont forcés. Nous avons choisi la voie du soldat dans le but de protéger, non pas pour attaquer. De plus, rien ne dit que nous retournerons vivants chez nous. Nous sommes, finalement, tous dans le même bateau, piloté par quelques personnes qui ne sont même pas présentes.
Il soupira et, cette fois-ci, Orbia détourna le regard. Même si elle ne comptait pas le lui dire, elle comprenait où il voulait en venir. Cette Croisade allait faire des victimes en Cyanide, certes, mais bien du monde, venu de partout, allait y être blessé, voire y mourir. Aussi bonne soit la volonté de chacun, ce n’était pas à eux de décider de quoi que ce soit maintenant que le mécanisme infernal était en route.
— Donc, c’est ici que nous logerons ? demanda Manius Autier en désignant la caserne en construction.
— Oui, hélas, nous n’avons pas encore terminé les travaux, se désola Amset.
— Ce n’est pas grave, nous avons toutes les tentes nécessaires ! Nous allons nous installer puis mes hommes et moi-même vous aiderons aux travaux.
Aussitôt, les Safraniens obéirent aux ordres de leur supérieur, s’éloignant afin d'installer leurs modestes tentes. Contrairement aux Majores, ceux-ci se mêlèrent à la population de Nochélys et participèrent aux différents aménagements que la Croisade exigeait. Les deux soldats d’Elite se montrèrent particulièrement sympathiques et, passé ce premier conflit d’intérêt, même Orbia finit par leur accorder toute sa confiance et sa bonne humeur coutumière. Mieux encore, la présence de cette nouvelle unité avait le mérite d’énormément calmer les ardeurs des Majores qui avaient enfin compris qu’ils n’avaient pas plus de droit que quiconque dans ce village.
Les semaines qui suivirent furent bien plus agréables pour tout le monde. La troupe assyrienne arriva et resta très discrète, se contentant de s’entrainer de leur côté, là où les Safraniens entretenaient leur corps en participant à la vie de Nochélys. On aurait presque pu oublier que le pays se préparait à affronter une guerre.
Hélas, tout ne se passait pas aussi bien partout.
¹ : Le Don du Perçant est un des quatre dons en Terre des Murmures. Il est associé à une vue particulièrement performante. Les Perçants bien entrainés sont capables d'anticiper les mouvements avant même qu'ils ne se produisent. On dit que le premier Perçant serait né à Percim (voir un conte à venir, le vaillant petit archer)
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