Chapitre 57: Puisses-tu nous pardonner

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 Luctérios, ayant appris que des soldats s’installaient dans de nombreux villages du pays, avait décidé de passer à l’attaque. C’est une troupe de dix-huit puphants géants qui déboulèrent sur Rasgard, le bourg allié du Culte le plus proche de l’ancienne cité de Réunion. Une partie des croisés prit la fuite et parvint à s’échapper. Cela provoqua le début des hostilités. Bientôt, différentes unités reçurent l’ordre de rejoindre certains points stratégiques pour s’en prendre aux premiers villages qui avaient dédaigné l’Assemblée à Nochélys.

 Orbia et Amset furent mis au courant des résultats des premières batailles par le Capitaine Sergius. On avait déjà rasé trois localités, celles-ci s’étaient ardemment défendues. On comptabilisait déjà plus de deux-milles morts, tout camp confondu, après seulement quelques jours. Les Cyanidiens n’avaient pas de technologies inconnues des autres pays. Par contre, ils pouvaient compter sur le lien particulier qu’ils entretenaient avec la faune, et même parfois la flore, de leur jungle. C’était justement dans ce pays qu’on trouvait les créatures les plus dangereuses de la Terre des Murmures.

  Amset ne comprenait pas pourquoi personne n’avait encore tenté de s’en prendre à Luctérios. Ses puissants pachydermes effrayaient peut-être trop le Culte pour tenter quoi que ce soit à son encontre. Or, le chef cyanidien ne se faisait pas prier. Il attaquait, sans relâche, quitte à détruire d’anciens alliés au passage. Mais il était aussi en train de rallier de plus en plus d’hommes et de bêtes sous sa bannière. Luctérios était la figure de proue de la lutte contre l’envahisseur. Du point de vue du prêtre, il était l’homme à abattre. Et pourtant…

 Le Guide de Nochélys peinait à calmer les missionnaires sous ses ordres. Ils étaient plein d’ardeur et, malgré les accords signés par les Inquisiteurs, ils n’hésitaient pas à saccager des lieux de prière dédiés aux esprits. Pas un jour ne passait sans qu’il reçoive des plaintes. Il en convoqua plusieurs dans le but de les sermonner car les relations avec les villages commençaient à s’échauffer. Seule la parole d’Orbia était capable de calmer son peuple, non sans mal.

 Ce fut au tour des trois troupes de quitter Nochélys. Ils avaient refusé de donner leur destination aux deux Guides. Secret militaire, disaient-ils. Si le départ des Majores et des Assyriens laissa tout le monde de marbre, force était de reconnaitre que les Safraniens avaient su apporter de la bonne humeur au village en ces temps troublés.

 Amset était en train de rédiger une nouvelle lettre adressée à un missionnaire zélé lorsqu’un bruit l’alerta. Il se leva de son siège pour jeter un coup d’œil dans la cuisine et laissa échapper un juron. Orbia était en train de se retenir de tomber, appuyée contre une chaise en soufflant fort, le visage crispé de douleur, les pieds dans une flaque. Paniqué, il l’aida à se relever et appela ses voisins à la rescousse. On la fit coucher dans son lit en l’attente de Sertorius, qui avait longtemps été l’esclave d’un médecin. Quand celui-ci arriva, il quémanda le soutien de Marthe et Nola. Comme le Guide, dans sa grande inquiétude, était plus une gêne qu’autre chose, ils l’obligèrent à quitter la chambre le temps que le travail de la future maman soit terminé.

 Amset faisait les cent pas dans sa cuisine, le regard alternant entre le parquet de sa maison et la porte fermée à chaque nouveau cri de douleur de sa bien-aimée. Saa, Spartacus, Nathan et Jessé avaient abandonné l’idée de le rassurer et attendaient avec lui, assis sur une chaise. Soudain, la porte d’entrée s’ouvrit à la volée et Barabbas entra, l’air très grave. Il tenait en main un parchemin roulé qu’il serrait avec tant de poigne qu’il aurait pu le déchirer.

 — Comment va-t-elle ? demanda-t-il.

 — C’est encore en cours, lui répondit Spartacus. Qu’est-ce que tu tiens ?

 — De mauvaises nouvelles, annonça-t-il sombrement. Amset, je suis désolé, mais tu dois lire ça de toute urgence.

 Le Guide s’arrêta de tourner en rond, son anxiété maintenant partagée entre sa femme et la terre natale de cette dernière. Il déglutit et attrapa la lettre que Barabbas lui tendait. En la lisant, il ne put s’empêcher de proférer des jurons que personne ne lui avait jamais entendus jusqu’ici. Dépité, il se laissa tomber sur une chaise.

 — Qu’est-ce qu’il se passe ? s’enquit Saa.

 — C’est le Chef Dumnacus. Le missionnaire que j’avais attitré à son village… Il a tué trois enfants.

 — Quoi ? s’indigna Spartacus.

 — Je suppose que Dumnacus ne va pas laisser passer cet affront, n'est-ce pas ? soupira Jessé.

 — Il se range officiellement du côté de Luctérios. Il a fait capturer les troupes présentes chez lui et a envoyé sa missive aux autres villages. On va tout droit dans une descente aux enfers…

 Amset déposa le document, plongeant sa tête dans la paume de sa main. Après tous leurs efforts pour donner l’occasion aux villages de Cyanide de subsister malgré la Croisade, tout allait s’écrouler à cause d’une bavure d’un homme sous sa responsabilité. Leurs autres alliés s’indigneraient à leur tour et ils deviendraient de nouvelles cibles. Tout allait finir dans le feu et le sang.

 Il était prêt à se laisser engloutir par le désespoir et la dépression quand Sertorius ouvrit la porte de sa chambre. Il semblait épuisé, mais soulagé. Il dut appeler Amset deux fois avant que celui-ci ne retrouve ses esprits. Le Guide du village se leva, inquiet. Son ami s’écarta afin de le laisser passer, silencieux. Le prêtre s’avança, lentement, toujours accablé par cette angoisse croissante qu’il éprouvait. Pourtant, surprendre le visage apaisé d’Orbia qui regardait tendrement le nouveau-né dans ses bras suffit à effacer toute cette appréhension, ou du moins en partie.

 Incapable de prononcer le moindre mot, il s’avança puis s’agenouilla à côté du lit, les yeux fixés sur ce petit être. Le nourrisson avait tout juste quelques petits cheveux sur la tête et sa peau était à peine plus bronzée que celle de sa maman. S’il s’était vite arrêté de pleurer, il respirait calmement dans l’étreinte de sa tendre mère. Orbia adressa un sourire plus large que jamais à son mari avant de lui tendre leur bébé.

 — Voilà papa, Cassité, glissa-t-elle avec tendresse à sa petite fille dont Amset s’empara avec un soin infini.

 Toujours scotché face au miracle de la vie qu’il tenait entre ses mains, Amset sentit deux larmes couler. Il sourit à l’enfant qui gigotait ses petits bras, comme pour protester d’être manipulé à tout-va, même si elle ne pouvait sûrement pas encore le voir. Dans l’encadrement de la porte, les têtes de leurs amis dépassaient, curieux d'assister à la scène.

 C'est alors qu'Amset se souvint de la nouvelle qu’avait apportée Barabbas. Il déglutit et décida de ne rien dire à Orbia. Pas tout de suite. Elle était encore très fatiguée, en témoignaient ses traits et ses cernes après les efforts qu’elle venait de fournir plusieurs heures durant. Il aurait tout le temps de lui annoncer ça plus tard et préférait se concentrer sur leur petite Cassité.

 — Ma pauvre petite, pensa-t-il. Puisses-tu nous pardonner de t’avoir fait naître dans un monde tel que le nôtre…

 Et comme s'il elle l'avait entendu, le bébé se mit à pleurer.

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