Chapitre 60: Pour Nochélys!

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 Trois énormes pachydermes venaient de s’extirper de la jungle. Les puphants géants faisaient presque cinq mètres de haut pour plusieurs tonnes. Si les colligus les battaient à plate couture, ils étaient bons seconds dans la compétition de l’animal terrestre le plus imposant. Avec leurs puissantes et longues défenses, ils pouvaient déraciner les arbres les plus solides. Cette créature ne vivait pas, d’ordinaire, dans cette région de la Cyanide, qui était le territoire des semblables d’Othniel. On les retrouvait plus au nord du pays, où le peuple de Luctérios était parvenu à en apprivoiser tout un troupeau.

 Les trois bêtes n’arrivaient pas seules, bien sûr. Elles étaient montées par six ou sept hommes chacune. L’un dirigeait la monture, tandis que les autres bandaient leurs arcs, prêts à tirer des flèches enflammées. Ils n’étaient même pas vingt et pourtant la panique était à son comble dans Nochélys.

 — Vous devez évacuer le village ! tonnait le Capitaine Sergius. Amset, vos oiseaux peuvent-ils nous dire si d’autres ennemis arrivent d’autre part ?

 — J’ai envoyé Paco et Quetzu vérifier vers la plaine. S’ils reviennent vers nous, c’est que c’est trop dangereux et on changera de destination.

 — Je refuse de partir ! s’exclama Orbia. Nochélys est ma maison !

 — Tu as pensé à Cassité ? s’indigna Marthe, les bras chargés d’objets divers. Tu ne peux pas la mettre en danger ! Si tu veux pouvoir l'élever, il faudra que tu restes en vie !

 — Elle a raison, Orbia, confirma Amset en attrapant le visage de sa femme entre ses mains. Écoute-moi, on reviendra quand ce sera terminé, d’accord ?

 — Mais… mais je ne peux pas ! Je ne supporterais pas que le village soit de nouveau anéanti…

 — Même si ça devait être le cas, tu peux compter sur moi pour tout reconstruire ! lui promit son mari. Même si je devais le faire mille fois, je recommencerai !

 — Et on vous aidera, confirma Spartacus.

 Orbia déglutit, des larmes de détresse coulant sur ses joues. Si elle n’avait pas envie de partir, elle savait, au fond d’elle, qu’elle ne pouvait pas prendre le risque de rester. Il en allait de la vie de ses amis comme de la survie de son village. Déjà des flèches filaient et se plantaient dans les toits de chaume des premières maisonnettes, provoquant des incendies. Et dire que leurs assaillants étaient des Cyanidiens…

 Sans lui laisser le temps de s’accabler davantage, Amset la tira avec lui, avec l’aide de Barabbas qui attrapa son autre bras. Tous leurs amis couraient en direction de cette plaine qu’ils avaient désertée, six ans auparavant. Là-bas se trouvait l'ancienne demeure d'Orbia et Barabbas, que les enfants de Jessé avaient reconvertie en abri secret pour leurs jeux. Là-bas, ils attendraient que la tempête passe en priant les Esprits et les Dieux.

 De son côté, Estienne Boethe rejoignait les Safraniens, l’air confiant, suivi de ses hommes qui l’étaient beaucoup moins. Ils n’avaient plus de temps à perdre en palabres inutiles.

 — Vous avez déjà affronté ce genre de bestiaux, Capitaine Sergius ? demanda-t-il en arrivant à sa hauteur.

 — Quelques némélés, des griloo, un roch même, mais jamais un si grand adversaire.

 — Ils ne sont pas bien nombreux, fit remarquer le Cobalte, presque déçu.

 — Nous ne le sommes pas beaucoup plus, grommela le Vice-Capitaine Autier. Horus, on y va ?

 — Avant qu’ils ne soient trop proches et ne rasent les bâtiments !

 Ils s'élancèrent tous les deux, beuglant leurs ordres aux soldats qui les suivirent dans cet affrontement avec ces titanesques créatures. Si les Cyanidiens avaient d’abord mis le feu à quelques bâtiments, voir des soldats se lancer à leur poursuite les fit changer de cible. Deux safraniens furent abattus dans la manœuvre. Leurs camarades se planquèrent derrière les maisonnettes à la frontière de Nochélys. Les deux membres de la Garde Impériale observèrent la situation et prirent rapidement des décisions qu’ils crièrent aux militaires. Si la simple vue des puphants avait suffi à faire flancher certains, la suite n’allait pas leur plaire. Hélas, ils n’avaient pas le choix.

 C’est Horus et Manius qui montrèrent l’exemple, en fondant sur un premier animal. Se servant de leur don de Perçant, ils étaient capables de voir venir les flèches avant qu’elles ne se plantent dans leur peau, ce qui leur permit d’arriver, à force de zigzag, tout près des mastodontes. Le plus proche bougea la tête de droite à gauche, balayant l’air avec ses huit défenses courbées. Manius évita de justesse d’avoir tous les os brisés par ces mouvements. Horus, de son autre main, s’était saisi d’un pistolet. Avec précision, il tira, arrachant un hurlement à un des archers qui les visaient encore. Il ne l’avait pas tué, juste blessé à la main, le rendant ainsi incapable de riposter. Le coup de feu sema la confusion sur le dos du puphant, donnant l’occasion à de nombreux safraniens de se rapprocher sans être pris pour cibles.

 Cependant, si le bataillon avait limité la casse, le plus gros danger résidait encore en ces trois bêtes immenses. Quelques hommes essayèrent de planter leurs lames dans les pattes d’un pachyderme. Hélas, leur peau était aussi épaisse et solide que du roc. Le résultat n’était pas meilleur en usant d’armes à feu. De plus, ces tentatives avaient le don d’énerver les géants et ils furent nombreux à ne pas s’écarter à temps.

 Les Cyanidiens, du haut de leurs montures, n’étaient pas en sécurité pour autant. Imitant leur chef, certains soldats les visaient directement. Les autochtones ignoraient tout de ces armes qui crachaient des étincelles et du métal. Les armes à feu avaient été inventées à peine un siècle plus tôt. Rares étaient les Cyanidiens au courant de leur existence. Ils étaient de plus en plus à être blessés, voire tués sous les balles de leurs envahisseurs. Ils peinaient de plus en plus à tirer avec leurs arcs.

 Finalement, Autier et Sergius, tels deux compagnons, se hissèrent sur les défenses du puphant qui leur faisait face. Celui-ci ne se rendit pas compte tout de suite de leur présence, mais ils filèrent droit sur leur objectif. Avant que leur cible n’ait compris ce qu’il se passait, chacun d’eux faisait face à l’un de ses yeux. Sans lui laisser le temps de réagir, ils y plongèrent leur épée. L’animal émit un terrible barrissement de douleur, se levant sur ses pattes arrières et secouant sa tête afin de se débarrasser de ces gêneurs. Ces derniers ne se firent pas prier et sautèrent à terre en récupérant leurs lames. Du sang épais coulait des orbites blessées de la créature qui tanguait, désespérée, sans faire attention aux ordres de son dompteur. Trois Cyanidiens furent écrasés dans la panique tandis que des safraniens imprudents étaient balayés par le pachyderme.

 Horus et Manius étaient à moitié satisfaits du résultat. Si la bête aveuglée avançait de manière confuse, comme ivre, elle restait autant un danger. Ils haletaient, loin d'ignorer qu’ils allaient encore devoir fournir bien des efforts s’ils voulaient en venir à bout. Même aveuglé, un puphant restait une source de problème conséquente.

 — Mais qu’est-ce qu’ils foutent ? s’étonna soudain Manius.

 Horus, toujours aux aguets, accorda un rapide coup d'œil dans la même direction. Il avait été si concentré sur son affrontement qu’il n’avait pas vu les soldats assyriens les encercler. Pour une raison qu’il ignorait, ils avançaient, torse-nu, sans la moindre protection. Certains en faisaient d’ailleurs les frais car leurs adversaires en profitaient. Ils les accablaient de flèches. À mieux y regarder, on aurait dit qu’ils portaient tous des marques étranges sur leur peau sombre.

 Sur ordre de Boethe qui criait au loin, les soldats assyriens se mirent à courir jusqu'à refermer le cercle. Avant qu’un puphant ne puisse les balayer d’un coup de défense, ils poussèrent des cris de douleur et se mirent à rayonner. Sans que personne ne comprenne ce qu’il se passait, il y eut un intense flash lumineux suivi d’une terrible secousse. Tous les soldats présents se sentirent soufflés sur place, de nouveaux cris éclatèrent et une douleur effroyable transperça le Capitaine de la Garde Impériale de Safranie de toutes parts.

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