Chapitre 64: La science des parchemins
Amset quitta Nochélys dans la direction opposée à sa femme, Cassité emmitouflée dans un drap. La petite puce s’était déjà rendormie, paisiblement. Voir sa fille si sereine lui réchauffait le cœur. Il priait intérieurement Lithé et Meroclet qu’elle puisse toujours ignorer les malheurs de ce monde et éviter ainsi d’en souffrir. Lorsqu'il quitta le village, il tomba sur Célian qui broutait docilement. Le velucéros releva la tête et s’approcha du prêtre pour lui lécher affectueusement le visage. Le Guide pouffa de rire. Le grand mammifère lui adressa un geste de tête qu’il comprit aussitôt. Acceptant l’invitation, il monta sur le dos de l’animal. Ils se dirigèrent ensuite ensemble vers la seconde résidence de Barabbas.
En chemin, Amset songea à tout ce qu’il s’était passé depuis plusieurs mois déjà. La destruction de Réunion avait mis le feu aux poudres d’une machinerie infernale. Des villages entiers avaient été rasés par les forces rassemblées par les Inquisiteurs. Les Croisés n'avaient pas été épargnés non plus. Comme le Capitaine Sergius, certains n’étaient là que parce qu’il s’agissait de leur métier. Ils étaient tout aussi fragiles que n’importe quel être humain dans cette guerre. La mort et la désolation n’avaient pas de camp et frappaient chacun sans aucun traitement de faveur.
La missive envoyée par Emilia, plus que tout, le perturbait. Elle y décrivait des choses qu’Amset n’était pas sûr de comprendre. Ou plutôt, il redoutait de les interpréter. Il ne connaissait que peu de monde capable de confirmer ou infirmer ses doutes. Il aurait pu écrire à Hypathie mais Barabbas pourrait, peut-être, avoir de quoi satisfaire sa curiosité et son inquiétude.
Il trouva ce dernier déjà au travail. Là où il avait quitté Nochélys presque encore entièrement endormi, l’homme était déjà en train de monter une palissade de bois. Barabbas était décidément plein de ressources, car l’agrandissement de sa propriété avançait à pas de géant. Sa force exceptionnelle lui permettait de faire seul des choses pour lesquelles un humain lambda aurait dû réclamer de l’aide. Voyant Amset arriver, il lâcha ses outils, se précipita vers eux et lui prit Cassité des bras.
— Eh bien, tu veux m’aider, aujourd’hui ? s’étonna-t-il en voyant Amset descendre du velucéros. Tu sais, on peut s’en sortir, tous les deux, pas vrai, Cassité ?
— À vrai dire, je voulais te poser quelques questions, si ça ne te dérange pas.
Barabbas perdit son sourire et fronça les sourcils, méfiant. Il hésitait. D’un signe de tête, il l’invita finalement à l’intérieur de sa maison. Une fois installés tous les deux à table, Cassité couchée dans un berceau qu’il avait lui-même fabriqué, l’homme lui adressa un regard grave, lui intimant sobrement d’aller droit au but.
— Je sais que tu avais des parchemins, commença Amset. Tu les as encore ?
L’espace d’un court instant, son interlocuteur le fixa comme s’il ne comprenait pas de quoi on lui parlait. Tout aussi vite, il poussa une exclamation et se leva. Il ouvrit un tiroir et fouilla dedans.
— C’est vrai, j’en ai encore quelques-uns, grommela-t-il. Juste au cas où. Pourquoi est-ce que ça t’intéresse ?
— Tu n’as pas besoin de me les trouver, intervint Amset. J’aimerais juste en savoir un peu plus sur leur fonctionnement. En fait, je voudrais savoir s’il est possible de se servir des runes du Culte sur un autre support que les parchemins, justement…
— Cela ne marche pas sur n’importe quel parchemin, expliqua Barabbas en poursuivant ses recherches dans un autre tiroir. Uniquement sur ceux en peau d’animaux, et encore, il faut leur faire subir toute une procédure compliquée lors de la fabrication.
— Sur de la peau d’animaux, répéta Amset avec un poids sur l’estomac. Dans ce cas, serait-il possible de le faire directement sur de… de la peau humaine ?
Cette fois-ci, Barabbas fit volte-face, l’air effaré par cette supposition. Il dévisagea le jeune Guide avec la bouche mi-ouverte puis se rassit sur la chaise, hésitant.
— En théorie… Mais, Amset, tu sais ce qui arrive aux parchemins, une fois utilisés ?
— Ils disparaissent. C’est ce qu’Emilia raconte qu’il est arrivé à des soldats du Denimope lors de l’assaut de son village.
Il sortit la missive et l’étala sur la table de Barabbas. Ce dernier s’en saisit et lut ce que la barde y avait écrit. Selon elle, les soldats avaient encerclé le village avant de disparaitre tout en provoquant une multitude de boules de feu qui avaient embrasé les maisons et les remparts. Elle y avait assisté de loin, s’étant réfugiée avec quelques enfants lorsqu’ils avaient vu l’assaut démarrer. Mais ce n’était pas tout. Emilia y décrivait la présence d’un singulier personnage riant aux éclats.
— Boethe…, souffla Barabbas, effaré.
— Je constate que tu as reconnu sa description, toi aussi, déglutit Amset. Il n’y avait plus aucune trace des Assyriens après la bataille, il y a quelques jours. Le Capitaine Sergius m’a mis en garde contre ce type. Il se sert d’êtres humains pour déclencher la magie des parchemins à des fins militaires. Ce type est complètement fou…
Barabbas ne répondit pas, la main couvrant sa bouche, il paraissait réfléchir. Soudain, il se releva et ouvrit tous ses tiroirs en même temps, les arrachant des meubles afin de les vider plus efficacement. Il se baissa, ramassa une clé dorée et partit soulever le paillasson sur le pas de sa porte. Dessous se cachait une trappe avec une serrure. Amset l’observa, un peu impressionné par les cachettes du protecteur de sa femme. Enfin, il le vit sortir des parchemins, des vrais. Il y en avait plusieurs dizaines, et il en étala un devant le cultiste. Celui-ci se pencha, un peu curieux. Il n’avait jamais eu l’occasion d’en voir un de si près auparavant.
— Amset, observe les runes qui sont ici.
— Je ne sais pas les lire, Barabbas.
— On s’en fiche, de ça ! Regarde-les bien…
Le jeune homme soupira et examina avec attention les différents glyphes et runes dont le parchemin était recouvert. Il s’agissait principalement de formes géométriques complexes, avec des multitudes de symboles. Barabbas attira son attention sur l’une d’elles. Sans aucune hésitation, il se saisit ensuite d’un stylet et commença à gribouiller par-dessus. Vu la rareté et la complexité dans la création d’un parchemin, Amset faillit s’égosiller. Mais c’est lorsque Barabbas retira sa main qu’il ne put s’empêcher de pousser un cri d’effroi et de se lever de sa chaise.
— Par la Pestilence, lança-t-il, pâle comme un Eydolon. C’est… C’est une des fresques qu’il a dessinées sur les murs du village !
— Amset, répondit sombrement Barabbas. S’il a utilisé l’encre à laquelle je pense, il peut alors déclencher la magie qu’il y a dictée. Et il compte utiliser le village pour déclencher ces runes. Il compte tous vous sacrifier.
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