Chapitre 66: Table rase

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 Amset pressait Célian d'accélérer sa charge. Il devait à tout prix rentrer à Nochélys et l'évacuer avant qu’il ne soit trop tard. Il avait obligé Barabbas à veiller sur Cassité, en retrait, en cas de représailles. Si le bébé n'avait pas été là, il n'aurait certainement pas obéi aussi docilement.

 Le soleil montait dans le ciel. De loin, il pouvait apercevoir les derniers habitants, à peine une petite cinquantaine, s’activer de partout, sans quitter l’enceinte du bourg, inconscients de la menace qui pesait sur eux.

 Une fois arrivé en bordure, Célian s’arrêta et secoua la tête avec agitation. Amset sauta de son dos, manquant de trébucher, et fit promettre au velucéros de ne pénétrer dans le village sous aucun prétexte tant qu’il ne l’appelait pas. La bête ronchonna mais se coucha dans l’herbe, penaude. Aussitôt, le jeune prêtre se précipita pour rejoindre ses amis.

 — Sortez ! cria-t-il en courant. Sortez tous de là !

 Son étrange arrivée laissa perplexe ses camarades. Il vit la femme de Jessé ouvrir sa fenêtre et lui jeter un regard plus intrigué qu’inquiet, imitée par d’autres. Ils ne comprenaient pas pourquoi leur Guide semblait si accablé et paniqué. C’était tout juste s’ils sortaient de chez eux ou interrompaient leurs travaux et venaient voir ce qu’il se passait.

 Comprenant que ses ouailles n’étaient pas conscientes du danger, Amset s’arrêta sur la place centrale, plié en deux pour reprendre son souffle. Il cherchait ses mots afin de leur expliquer au plus vite l’urgence de la situation quand il sentit quelqu’un lui taper amicalement dans le dos. Il se releva et se retourna, s’attendant à découvrir Nathan, Saa ou n’importe quel autre villageois. Son cœur faillit rater un battement en reconnaissant Estienne Boethe qui lui souriait avec malice.

 — Vous me paraissez bien agité, Mr Zalacotl ! On pourrait presque croire que vous êtes en danger de mort imminente !

 Amset déglutit, tellement livide que ses origines cobaltes remontaient à la surface. Le Faussaire lui faisait face avec un air si assuré qu’il en était effrayant. Il fit un pas maladroit en arrière en le dévisageant, plein de haine.

 — Un problème, Amset ? demanda Spartacus qui se dirigeait vers eux.

 — Non, aucun…, lui répondit-il, de peur de déclencher l’ire de Boethe. Ne t’inquiète pas…

 — Tu es sûr ? insista Saa, suspicieux.

 — Tu viens de courir en gueulant à tout le monde de sortir, ajouta Samuel. On peut savoir ce qu’il t’a pris ?

 De plus en plus de monde se dirigeait vers eux, attirés par les premiers appels du Guide. Les voyant affluer, Boethe perdit son sourire. Il avait dorénavant l’air mal à l’aise et scrutait autour de lui comme s’il envisageait une fuite. C’est en remarquant ça qu’Amset comprit qu’il n’était peut-être pas si désavantagé qu'il ne le pensait. Si cet homme pouvait déclencher ses runes, il ne chercherait pas d’échappatoire ! Il ne devait pas avoir eu le temps de tracer tous les glyphes nécessaires ? Les deux adversaires croisèrent le regard et l’Assyrien vit, pour la première fois, une lueur revancharde derrière son monocle. Il l'interpréta comme une confirmation quant à ses doutes.

 — Cet homme ! lança-t-il en le pointant du doigt. Cet homme voulait essayer de tous nous tuer ! Les fresques qu’il a tracées sur nos murs cachent des runes cultiques !

 La déclaration d’Amset figea d’horreur les habitants de Nochélys. Chez certains, c'était l’incompréhension. Chez d’autres, et en particulier parmi les premiers à s'être installés ici, consternation et colère prirent le dessus. Spartacus s’avança, menaçant, vers Estienne Boethe, vite suivi par les anciens esclaves et bâtisseurs assyriens présents. Le Cobalte se renfrogna en murmurant des paroles inaudibles. Alors qu’ils s’apprêtaient à se jeter sur lui, l'accusé tendit une main. Celle-ci était recouverte d’un gant sur lequel il avait tracé des runes qui s’étaient mises à briller. Aussitôt, un violent coup de vent emporta les assaillants, si puissant qu’ils furent soulevés de terre l’espace de quelques secondes avant de retomber lourdement quelques mètres plus loin. Sans demander son reste, le Faussaire fit volte-face et entama sa fuite.

 — Arrêtez-le !

 Nombreux furent ceux qui se lancèrent à la poursuite du scélérat, Amset le premier. Estienne Boethe courrait en se tenant la main. Son gant avait disparu, il enrageait d’avoir été contraint de s’en servir, car en fabriquer un nouveau lui demanderait un travail de précision. Quant à ce village, ce n'était que partie remise… Il avait l'impression d'être un lapin chassé par un aurulve. Il craignait de manquer de ressources, cette fois.

 Soudain, il se sentit plaqué contre le mur d’un bâtiment par une force invisible. Acculé, il demeurait incapable de bouger de son propre chef. Il fit de son mieux pour voir qui était responsable et constata avec colère qu’il s’agissait de la femme d’Amset.

 Orbia se dirigeait à petits pas vers lui avec une expression haineuse. Il était rare qu'elle use de son don d’Héritière en public, si bien que la grande majorité des villageois se figèrent. Tout le monde, effrayé et immobile, l'observait s'approcher de Boethe. Seul Amset sortit de la masse dans le but de rejoindre son épouse.

 — Orbia ! Tu tombes à pic…

 — C’est pas que ça me fait un bien fou de le serrer comme ça, mais qu’est-ce qu’il a fait, au juste ? demanda-t-elle.

 — J'ai découvert qu'il comptait nous tuer, de la même manière qu'il l’a fait avec ses propres soldats l’autre jour, et sûrement bien d’autres fois, avec des runes cultiques !

 — On dirait que votre entrevue avec Narcisse ne vous a pas convaincue ! ricana alors l’accusé.

 — Parce que tu connais ce type ? s’exclama Orbia tandis que les autres fronçaient les sourcils, perplexes.

 — Évidemment ! C’est un peu mon collaborateur. Je dirais même mon commanditaire !

  L’homme fut arraché du mur et soulevé dans les airs avant d’être rejeté plus loin. Il essaya de se relever, en vain. Orbia exerça son pouvoir pour le faire à sa place et l’éloigner d’eux à force de propulsions. Après trois ou quatre chocs successifs, au bout desquels il avait perdu chapeau et monocle, il constata que l’emprise de la Cyanidienne avait disparu. Il était désormais en dehors du village. Ses habitants l’observaient, toujours depuis les rues, par terre, déchu et vaincu. Il essayait de reprendre sa respiration et de se relever, d'abord à quatre pattes. Les regards inquisiteurs d’Orbia et d’Amset le fixaient, telles des lances prêtes à le transpercer de part en part.

 — Vous n’êtes plus le bienvenu ici, clama-t-elle.

 — Soyez sûr que le monde connaitra vos actes et que vous devrez y répondre, ajouta Amset.

 Ce dernier était bien décidé à écrire une missive qu’il adresserait à toutes les nations, histoire de souligner l’horreur de la Croisade. Pas en reste, Quetzu descendit des épaules de sa maitresse et s’envola près du Cobalte en exposant sa collerette de manière à le menacer. Le Faussaire se releva avec peine, le visage baissé, reculant de quelques pas malhabiles. Pourtant, lorsqu'il releva la tête, il leur adressa un grand sourire victorieux.

 — Pauvres fous !

 À ce moment-là, il écarta les bras et ses lèvres remuèrent, prononçant une formule secrète. Aussitôt, les runes cachées sur les murs des maisons commencèrent à rayonner.

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