Chapitre 68: Les secrets de Barabbas

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 Lorsque Barabbas arriva au village, la petite Cassité endormie dans les bras, il déglutit. Il était entièrement vide, abandonné de toutes formes de vie. Certains murs avaient souffert, eux aussi, de l’activation des runes. On aurait dit qu’ils s’étaient pris une explosion tout proche, sans qu’ils soient totalement détruits. Il avança dans le bourg, anéanti de voir que tout était terminé, à présent. Tous ces gens avec qui il s’était finalement lié d’amitié n’étaient plus là et ne reviendraient plus. Pour la première fois depuis longtemps, ses yeux, pourtant endurcis par les épreuves, s'humidifièrent.

 Soudain, il entendit des sanglots. Il se précipita vers leur origine, réveillant le bébé qui protesta à grands cris. Il se figea en apercevant Amset recroquevillé au sol, la tête dans les mains comme en proie à une immense douleur. Il soupira et, cette fois-ci, ne put retenir ses larmes de couler. Si Amset était encore là, cela ne pouvait signifier qu’une chose. Il le savait.

 Les pleurs de Cassité attirèrent l’attention de son père qui, péniblement, se releva. Il voulut faire un pas malhabile vers eux quand Barabbas recula vivement.

 — Retire d’abord le collier, Amset ! lui ordonna-t-il.

 — C’est tout ce que tu trouves à dire… ? souffla l’Assyrien en serrant les poings.

 — Tu as déjà assez souffert comme ça, non ? Alors enlève-le !

 Le visage sombre, le jeune homme obéit, arrachant presque le bijou qui lui avait laissé de vilaines marques de brûlure sur le cou, à l’image d’Orbia six ans plus tôt. Le collier n’était plus chaud, désormais. À cette constatation, il renifla bruyamment et se laissa de nouveau tomber, à bout de force, balançant la Relique plus loin. Cette fois, ce fut le protecteur de sa défunte amie qui s’approcha. Il s’assit au sol, tout en berçant l’enfant qui braillait.

 — C’est elle qui te l’a mis autour du cou, c’est ça ?

 — Tu savais… ? Bon sang, pourquoi ne pas m’en avoir parlé ? J’aurais pu l’empêcher de me le mettre ! J’aurais pu la sauver !

 Il ne lui répondit pas, le fuyant du regard tandis que Cassité prolongeait ses gémissements. Il était rare qu’Amset se sente en colère, mais la perte d’Orbia avait tué quelque chose à l’intérieur de lui.

 — Qu’est-ce que tu m’as caché d’autre ? Tu sais beaucoup trop de choses, Barabbas ! Où est-ce que tu as appris tout ça !?

 — Je vais te le dire, affirma l’homme. Avant cela, il faut que tu saches que je n’en ai jamais parlé à Orbia. Elle ne t’a rien caché, jamais.

 — Accouche, ordonna Amset.

 — Tu as deviné, je pense, que j’avais autrefois eu affaire au Culte ? J’en étais même membre, comme toi. J’étais un jeune homme plein d’arrogance et de croyances, qui se faisait remarquer par son zèle. Jusqu’à ce que je sois approché par Psyendé.

 Au nom du Colosse le plus important du Culte, Amset fit pivoter son visage vers lui, partagé entre la surprise et la peine. Barabbas avait la mine sombre et fixait le sol en serrant les poings.

 — Je ne savais pas, à l’époque, qu’il s’agissait d’elle, poursuivit-il. Elle m’a pris sous son aile et m’a appris d’innombrables choses. Surtout, elle m’a révélé ses propres découvertes concernant le Khême. Ce minerai est loin d’être naturel et ne se forme qu’en toute petite quantité à la mort d’un individu. En poussant ses recherches, elle a vite découvert que, plus une personne souffre et plus la quantité obtenue est grande. En quelques sortes, c’est un condensé de tout le malheur vécu par les êtres vivants. Quant à ses effets, tu en connais déjà une partie…

 — Selon quoi cette roche donne leurs pouvoirs aux Reliques ? intervint Amset.

 — Pas seulement aux objets, grommela-t-il. Aussi aux êtres vivants. En absorbant du Khême, on devient capable d’exploiter à fond notre potentiel. C’est le cas de Psyendé. C’est le cas de tous les Colosses. C’est mon cas, Amset.

 Il releva la tête et le regard du Guide déchu croisa ses petits yeux noirs. Il avait un air grave et parfaitement sérieux. Pourtant, le jeune homme ne pouvait s’empêcher de douter, persuadé d’avoir mal compris. Devant cet air perplexe, Barabbas soupira. Il s’avança en lui tendant Cassité. Une fois l’enfant dans les bras de son père, il recula de quelques pas avant de prendre la forme par laquelle il était connu de tous les croyants.

 Si le haut de son corps ne changea pas immédiatement, on eut dit qu’une queue venait d’apparaitre entre ses jambes. Au fil des secondes, celle-ci s’allongeait et enflait, au point que des paires de pattes, très simples, comme celles d’un insecte, naissaient à intervalles réguliers, séparés des autres par des segments pourvus d’une carapace. Très vite, les jambes de base de Barabbas prirent une forme similaire, ainsi que ses bras. Son corps continuait de s’allonger, sans aucune limite de taille. Enfin, des chélicères apparurent sur son visage, entourant sa bouche. On aurait dit un gigantesque mille-pattes qui se dressait devant Amset, qui n’en revenait pas.

 — Scoléra…, souffla-t-il en serrant plus fort sa fille contre son torse.

 — Ces pouvoirs nous ont confié une vie longue qui pourrait ne jamais connaitre de fin si nous nous obstinons à nous abreuver en Khême, lança la voix de Barabbas, qui n’avait pas changé, si ce n’est qu’elle était plus forte. Tu peux le constater, la forme que vous nous connaissez n’est pas celle que nous avions à l’origine. Nous dominions la Terre des Murmures et étions bien décidés à nous assurer des réserves. C’est dans ce but que nous avons déclaré des Croisades. Quoi de mieux que ces guerres de religion afin d'amplifier notre emprise sur le monde ? Et qu’importe si nous devions massacrer des peuples, tant que c’était dans notre intérêt…

 Il baissa de nouveau la tête, mal à l’aise, conscient qu’Amset l’observait avec un mélange d’horreur et de révolte. Ses innombrables segments commençaient à disparaitre au fur et à mesure. Il reprennait, petit à petit, l’apparence qu’on lui connaissait mieux ici.

 — Un jour, la Pestilence et Lessmass m’ont fait part de leurs inquiétudes. Elles étaient lasses toutes les deux de ces conflits permanents et de ces drames à causer partout. Tout d’abord, je n’y ai pas prêté attention, puis l’idée a fait son bonhomme de chemin dans ma tête. J’ai pris conscience des âmes torturées qui étaient à l’intérieur de moi et qui me maintenaient en vie. Et, lorsqu’ils ont voulu démarrer la Croisade en Cyanide, je me suis interposé.

 — En gardant le Massif de Laya, compléta Amset, qui connaissait bien l'histoire du Culte.

 — Vausturn et Seboth ont essayé de me convaincre, de m’affronter, même. Finalement, Psyendé a lâché l’affaire. Jusqu’à ce qu’elle m’envoie cette humaine qui est parvenue à me tromper et à creuser son tunnel en passant un contrat avec moi. Dépité, je me suis rendu en Cyanide en essayant de préparer les habitants à la guerre qui, je le savais, finirait par venir. Mais je suis tombé sur Nochélys et… et sur la mère d’Orbia.

 Il avait maintenant repris entièrement sa forme humaine. Il n’avait plus rien à voir avec le Colosse aux allures de millepattes qui défiait les croyants de lui prouver leur valeur. En ce moment, ce n’était rien de plus qu’un homme, honteux d’avoir caché tant de choses à ses amis. Amset, qui sentait Cassité attraper son doigt avec un petit cri satisfait, devina la suite.

 — Orbia est ta fille… ?

 — Je n’avais jamais connu ça, marmonna le Colosse. Si je n’avais pas déjà retourné ma veste, son simple sourire aurait suffi… Hélas, en lui apprenant à se servir des runes des parchemins, elle s’est essayé à une expérience qui a très mal tourné, alors que je voyageais dans le pays dans le but de mettre les villages en garde et les aider à lutter contre une sécheresse de l’époque.

 — C’est donc vraiment sa mère qui a causé tout ça ?

 — Ce n’était pas volontaire, répliqua sèchement Barabbas. Elle voulait créer une Relique de protection. Elle s’est servie des premières doses de Khême qu’elle a obtenue pour en sertir son collier. Elle n’avait même pas conscience qu’elle venait de sacrifier des habitants, je ne lui avais pas dit d’où cette pierre sortait... Seulement, l’effet des runes l’a dépassée. Et lorsqu’elle a vu sa fille subir le même sort que les autres villageois, elle a préféré lui confier le collier. Elle souhaitait la protéger elle.

 Il renifla bruyamment. Dans les bras d’Amset, le bébé gazouillait encore en agitant son index. En cet instant, la colère avait quitté le jeune Guide qui observait celui qui lui avait caché être son beau-père avec compassion et amertume.

 — Je suis arrivé après, j’étais loin mais j’ai senti que quelque chose clochait. J’ai retrouvé Orbia, qui ne me connaissait pas, un accord avec sa mère, et j’ai juré de prendre soin d’elle. D’autant plus que, désormais, elle était pleine de Khême. C’est ce qui lui a permis de développer les deux dons que tu lui connaissais. Surtout, c'était ce qui risquait d’attirer, de nouveau, l’attention des Colosses.

 — Quand tu dis qu’elle était pleine de Khême, hésita Amset. Tu veux dire que c’était du fait des runes de sa mère ?

 — Orbia, en portant le collier, n’a pas seulement été protégée. Elle a aussi absorbé ce que le collier ne pouvait déjà plus emmagasiner. C’est ce qui lui permettait de communiquer avec les âmes des habitants puisqu'elles étaient en elle. Et aujourd’hui…

 — Le Khême créé ce matin est en moi, c’est ça ?

 Barabbas ne répondit pas, le regard toujours fuyant. Après quelques instants de silence, le prêtre réalisa quelque chose qui lui fit avoir un faible sourire. Elle était toujours là…

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