Où Hannah se met en route

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Sur le chemin du retour Hannah avait remis de l’ordre dans ses idées. Certes sa priorité dans l’immédiat était de préparer au mieux son voyage, mais elle serait absente un mois et elle ne partirait jamais l’esprit tranquille si elle ne parlait pas avec Enora avant son départ. Elle s’était très brièvement demandée si Emma connaissait la situation, mais elle avait très vite repoussé cette idée. Sa fille ainée était d’une grande droiture et elle ne pourrait jamais porter un si lourd secret sans montrer des signes d’anxiété. Or, elle était effectivement un peu préoccupée ces derniers temps, mais cela était liée à l’attente de la réponse du conseil des familles, cela Hannah en était certaine. Elle la surprenait régulièrement le regard dans le vague un sourire à la commissure des lèvres, la main sur son ventre, songeant très probablement à sa future grossesse.

Pourtant, elle ne voyait pas comment tenir à l’écart sa fille de ce qui arrivait à son amie, et de toute façon elle n’en avait pas le droit. Ce n’était pas à elle d’en décider. Un frisson l’avait parcouru en entrevoyant le tsunami qui allait s’emparer d’Enora et aller sûrement happer sa fille, cela lui paraissait inévitable. Mais la première chose à faire était d’en discuter avec la jeune fille. C’est pourquoi elle s’arrêta chez elle sur le chemin de retour.

En arrivant devant la demeure, elle vit un vélo appuyer sur la balustrade. Enora avait un visiteur ou une visiteuse. Cela rendait son entrevue plus compliquée, mais elle ne pouvait reculer. Elle était prise par le temps. Elle avait encore quelques menus préparatifs à terminer avant de partir, elle devait avoir cette conversation maintenant. Elle saurait habilement faire comprendre à Enora qu’elle connaissait son secret et saurait se débarrasser de son hôte.

Elle donna trois coups sonores sur la porte afin de ne laisser aucune équivoque. Elle n’eut pas de réponse la première fois et donna à nouveau trois coups secs. A sa grande surprise ce ne fût pas Enora qui lui ouvrit la porte, mais Emma. La surprise était partagée, il leur fallut à toutes les deux quelques instants avant de réagir. C’est Hannah qui interrogea sa fille la première.

« - Je ne pensais pas te trouver ici, je te croyais au comité. Enora est là ?

- Je suis venue la voir dans le cadre de ma mission. Elle est là, mais elle ne se sent pas très bien.

Elle se racla la gorge et poursuivit hésitante : Peut-être devrais-tu remettre ta visite à plus tard.

Hannah regarda fixement sa fille, sans mot. Elle vit son visage rosir au niveau des pommettes, elle sut qu’elle était embarrassée. Elle connaissait fort bien cette réaction. Emma n’avait jamais su tricher, mentir ni même manipuler la vérité. Quand bien même elle aurait eu le discours adéquate son visage la trahissait immédiatement en prenant cette teinte rosée qui marbrait ses joues. Elle eut alors immédiatement l’intime conviction que sa fille connaissait le secret d’Enora, et cela venait très certainement de se produire. Elle prit une grande inspiration et opta pour la franchise.

- Emma, je pars demain, je ne peux pas m’en aller en laissant Enora dans sa situation sans savoir de quoi il en retourne. De quelle manière es-tu impliquée ?

Le visage d’Emma vira au cramoisi. Elle balbutia :

- Comment le sais-tu ? dit-elle en chuchotant. Je viens juste de l’apprendre. D’autres personnes sont au courant ? continua-t-elle à voix basse

- A vrai dire je viens aussi de le découvrir. En te quittant ce matin, j’ai décidé de pousser jusqu’au centre pour embrasser Sacha avant de partir. J’ai voulu faire une halte ici pour boire. Comme Enora ne répondait pas j’ai fait le tour de la maison pour voir si elle était là et en regardant par la fenêtre de sa chambre je l’ai vu, caressant son ventre rond, de six mois environ je dirais.

La voix d’Enora appelant Emma retentit. Celle-ci ouvrit la porte et invita sa mère à entrer.

- Tu devrais attendre dans la cuisine, je vais aller expliquer à Enora. Cette histoire est la sienne, à elle de voir comment elle souhaite la gérer.

Hannah acquiesça et en laissant Emma s’éloigner, se dirigea vers la cuisine. Le visage rond et souriant de Babeth, la mère d’Enora l’accompagna le long du couloir. Elles étaient de bonnes amies, et elles aimaient converser autour d’un thé pendant que leur fille construisaient puis consolidaient leur complicité. En entrant dans la cuisine elle se sentie triste. Pas de bonnes odeurs de cuissons, de fleurs aiguayant la pièce, de gâteaux sous cloche, de pâtisseries au centre de la table prêtes à servir, comme elle l’avait connu du temps de Babeth qui était une hôtesse prévenante et une excellente pâtissière.

La cuisine était morte, Babeth aussi. Deux petites perles d’amitié perdue glissèrent le long de ses joues.

D’un geste volontaire Hannah prit la bouilloire sur la table pour préparer un thé. Elles auraient certainement besoin de réconfort dans quelques instants. Elle entreprit de trouver quelques choses à grignoter. En effet elle avait fourni pas mal d’effort physique assorties de fortes émotions et son petit déjeuner était loin à présent. Tout en fouillant à la recherche de nourriture, elle se demandait comment Enora se nourrissait. Le garde-manger était pratiquement vide, il contenait à peine une petite motte de beurre, un reste de viande séchée, quelques pommes flétries et de rares conserves sur les étagères, surement un vestige de l’époque où cette maison était en vie.

Elle prit les pommes, le beurre et un pot de sucre à moitié vide. En sortant du garde-manger elle saisit une poêle. En un tour de main elle fit caraméliser les pommes et les déposa toute chaude sur la table. La bouilloire siffla. Elle saisit la poignée en bois et versa l’eau bouillante dans la théière posée sur la table garnie des feuilles de thé qu’elle avait trouvées sur la paillasse. Elle déposa deux tasses pour accompagner celle déjà présente sur la table. Cette dernière contenait du thé froid, elle le vida dans l’évier. La table dressée lui donna satisfaction et elle apporterait surement un peu de réconfort pour ce qui allait suivre. Ce fût le moment que choisi Enora pour apparaitre à l’entrée de la pièce, où elle se figea.

Hannah se dirigea lentement vers elle et spontanément la pris dans ses bras, l’entourant de toute sa maternité réconfortante. Elle sentie le corps d’Enora se secouer de sanglot la tête posée sur son épaule. Elle lui parla d’une voix douce, lui assurant que tout allait bien se passer. Emma attendait derrière sans un mot. Hannah saisit les épaules d’Enora et lui dit avec une voix claire et détachée :

« - Je ne sais pas vous, mais moi j’ai faim ! j’ai fait bien plus de kilomètre en vélo que mon corps ne peut en supporter à jeun. Je me suis permise de caraméliser quelques pommes et de servir un bon thé chaud, nous allons en avoir besoin »

Elle s’installa autour de la table imitée par les deux jeunes femmes. Elles mangèrent les pommes et burent le thé dans un silence apaisant. C’est Hannah qui prit les devants.

« -Nous sommes devant une bien étrange situation. Je ne sais pas vraiment quoi en penser. Enora, tu vas devoir nous éclairer un peu, et nous devrons décider ensemble de la suite à donner. Y a-t-il d’autres personnes informées ?

Enora fit non de la tête. Elle regarda son amie et dit : « Je ne voulais pas vous impliquer dans cette histoire. Elle marqua un temps et ajouta, je ne renoncerai pas à cet enfant. » Elle prononça la dernière phrase sur un ton ferme en durcissant ses sourcils. Emma posa sa main sur la sienne et en soutenant le regard de son amie ajouta : « - Personne ne te demandera cela »

Hannah reprit la parole : « peux-tu nous éclairer sur la chronologie des évènements ? » Comment as-tu fait pour être enceinte sans que personne n’en sache rien et comment imagines-tu la suite ?

Enora se resservit un peu de thé et la tasse fumante entre ses mains débuta son récit.

Elle leur raconta alors, comment, un soir de profonde tristesse son ex-petit ami, Assim, avec qui elle avait rompu à la mort de sa famille, vint la réconforter. Il lui dit alors combien il l’aimait et qu’il attendrait qu’elle surmonte sa peine. Il avait été, comme à son habitude doux et patient. Ils avaient fini par faire l’amour. Mais au matin elle lui avait demandé de partir, elle n’avait pas d’énergie pour prendre soin d’une relation amoureuse. Puis la solitude la transperça de nouveau. Cette maison était à la foi son refuge et le lieu le plus douloureux qu’elle connaissait. Dans chaque pièce, dans chaque objet elle voyait ses parents et son petit frère. Assise dans cette cuisine, elle avait entendu résonner la voix de sa mère qui demandait à Assim et à elle-même s’ils souhaitaient engager une formation parentale comme Emma et Ilhan.

C’est là que l’envie s’était ancrée en elle.

Elle travaillait au comité de gestion des contraceptions, il lui avait été facile de soustraire son ex-petit ami au traitement en lui administrant des placébos et en falsifiant ses analyses. Elle lui avait alors laissé la porte entrouverte en lui demandant de n’en parler à personne, en arguant qu’elle ne se sentait pas assez forte pour affronter une relation au grand jour. Assim n’avait fait aucune difficulté.

Elle but quelques gorgées en regardant Emma et Hannah. Après un bref silence elle précisa. « Assim ne sait rien de tout cela. Dès que j’ai eu la confirmation d’être enceinte, j’ai à nouveau cessé toute relation avec lui. »

Emma le visage soucieux la questionna : « - Mais comment as-tu fais pour ta contraception ? »

Enora en soulevant sa manche montra une vilaine cicatrice et répondit : « j’ai enlevé mon implant…

- Mais, et les contrôles mensuels ? Comment-ont-il été validés ? demanda Hannah

- J’ai simplement cessé de m’y rendre, personne vu ma situation n’a réellement osé insister, comme je ne sortais pas il fallait venir ici, et personne n’a vraiment envie de sauter à pied joint dans un abime de tristesse. Le mois dernier j’ai eu peur à la fête du printemps, j’y ai croisé mon vérificateur, Cecil. Je suis rentrée immédiatement, je n’ai plus osé sortir pour ne pas attirer l’attention.

Enora marqua une pause et finie sa tasse de thé. Hannah dit alors : « - Bien, nous savons à présent comment ce petit être à été conçu. Qu’avais-tu envisagé pour la suite Enora ? »

Enora baissa la tête, et dis d’une voix lasse : « Partir, quitter l’île » Elle releva la tête et plongea son regard dans celui d’Emma.

Emma à la grande surprise des deux autres femmes se leva d’un bon et dit avec colère :

« Mais on marche sur la tête là ! Vous êtes tranquillement entrain de discuter comme si tout était normal ! Mais rien n’est normal. Enora, tu as manipulé Assim, tu as falsifié des données médicales, la suite ? oui, c’est quoi la suite ? As-tu pensé à cet enfant ? ce sera quoi sa vie ? Où allez-vous vivre ? Partir ? mais partir pour aller où ? et comment ? C’est vraiment n’importe quoi ! La rage se lisait sur son visage empourpré, les yeux exorbités, la bouche déformée, elle criait et gesticulait transpirant l’impuissance et l’incompréhension.

Hannah dit d’un ton ferme et bienveillant : « Emma, ça suffit. Tu t’assois et tu retrouves ton calme. Tu as raison rien de tout ça n’est normal, mais la dernière chose dont nous avons besoin est de perdre notre sang froid » Emma s’exécuta. Elle reprit sa place, les mains encore tremblantes de colère.

Hannah invita Enora à continuer : « Tu veux quitter l’île, mais pour aller où ? as-tu réfléchis comment ? »

Enora répondit en évitant le regard d’Emma cette fois-ci : « A vrai dire Hannah, je n’ai pas réellement réfléchi jusque-là… Je sais que c’est insensé… Emma, je suis désolée. Je sais que tu as peur, mais je te promets que rien de tout cela ne te posera le moindre problème directement. La seule chose que je te demande c’est de n’en parler à personne, mais tu peux quitter cette maison et ne plus t’en préoccuper. Je n’ai jamais voulu que tu sois impliquée. Cet enfant à venir est tout ce qu’il me reste.

- Tu n’as peut-être pas voulu que je sois mêlée à tout cela, mais aujourd’hui je le suis. Si le conseil apprend, et il l’apprendra, que j’ai joué un rôle dans tout ça, cela aura des conséquences sur moi, sur Ilhan et surement sur notre envie de fonder une famille. Quelle mère serai-je si je cautionne ce mensonge ? Crois-tu que le conseil des familles nous permette toujours d’être parents ? Alors, quoi ? Je dois sacrifier ma famille à venir par ce que toi tu as décidé de passer outre nos règles ? Et crois-tu que je puisse partir d’ici et reprendre le cours de ma vie comme si de rien n’était ? Depuis le drame je me préoccupe de toi, j’ai essayé de te soutenir, de t’apporter du réconfort, de t’aider à relever la tête. Et toi pendant tout ce temps tu trichais, tu mentais, tu me mentais. Tu as agi comme toujours sans réfléchir aux conséquences. Je suis en colère Enora, je ressens une profonde tristesse et j’ai peur. J’ai peur pour moi et j’ai peur pour toi et ton enfant à naitre

Emma avait dit tout cela d’une traite. Hannah s’approcha d’elle pris ces deux mains dans les siennes et les posa sur ses genoux comme lorsqu’elle était enfant et avait besoin d’être rassurée.

Elle avait peur elle aussi et faisait d’énormes efforts pour ne rien laisser paraître. Elle se sentait responsable des deux jeunes femmes. Emma avait raison toute cette histoire pouvait compromettre leur souhait d’avoir un enfant. Elle ignorait quelles conséquences exactes cela entrainerait si tout éclatait au grand jour, mais elle savait au fond d’elle qu’Enora avait raison. La réaction du conseil entrainerait surement des conséquences dramatiques. Il y a quelques temps, à l’instar d’Emma elle n’aurait pas cru possible que le conseil sépare la mère et l’enfant mais aujourd’hui elle savait que c’était à envisager Cette pensée la renvoya à son voyage. Il devait être près de midi à présent, elles devaient prendre des décisions.

Elle dit en s’adressant d’abord à sa fille : « Emma, tu as le droit d’être en colère, et ta peur et légitime, mais le fait est qu’Enora et son bébé ont besoin de notre aide.

Puis elle se tourna vers Enora sans lâcher les mains d’Emma : « Je suis d’accord avec toi, tu dois en parler à Ilhan, mais il doit comprendre que cela ne peut pas être divulguer.

Enora lui rendit un regard suppliant, Hannah ajouta :

« Enora, tu es sûrement dans le vrai, le conseil risque de te séparer de ton bébé, nous ferons tout ce que nous pourrons pour que cela n’arrive pas, tu peux compter sur nous. Je pars demain pour deux semaines environ, en attendant je te propose de venir à la maison pour être à l’abris et te reposer, ainsi la maison sera libérée et Emma pourra achever son travail. A qui destines tu cette demeure ?

Emma l’air toujours inquiet répondit à la question mais elle revint rapidement sur la proposition de sa mère, en effet si Enora venait chez elle, Sacha saurait aussi ce qu’il se passe, elle n’était qu’une enfant, elles ne pouvaient pas lui demander d’être complice d’un si lourd secret.

Enora ne disait rien, elles les regarder discuter et voyait les efforts qu’Hannah faisait pour rassurer sa fille, elle n’avait pas la force de parler. Elle se sentait seule depuis si longtemps, leur présence était réconfortante malgré les circonstances. Sa mère à elle lui manquait plus que jamais à cet instant.

Hannah et Emma continuèrent à discuter afin de trouver des solutions qui paraissent sécurisantes et possibles à organiser. Des décisions furent prises. Enora viendrait s’installer chez elles. Sacha ira au centre le plus possible, on lui expliquera qu’Enora a besoin de se reposer. Lorsque l’enfant sera dans la maison, Enora restera dans la chambre. Sacha vivait dans son univers d’enfant, elle ne se poserait sûrement pas plus de questions que cela, elle adorait le centre, cette proposition lui conviendrait sûrement. Restait à croiser les doigts quant à la réaction d’Ilhan. Hannah était confiante, c’était un homme intelligent et attentionné. Certes sa position au conseil de l’éducation allait le mettre dans une situation délicate, mais il ne compromettra Enora, cela elle en était persuadée. Puis Enora finit par les interrompre.

« - Merci, leur dit-elle la voix basse »

Emma se leva puis se dirigea vers son amie d’enfance et la pris dans ces bras.

« - J’ai peur lui dit-elle, mais tu es mon amie et je tiens à toi, je ne ferai jamais rien délibérément pour te nuire. Merci maman pour ton aplomb, je sais qu’avec toi à nos côtés tout ira bien. Il est tard je dois retourner au comité. Je te propose de venir à la maison dans 5 jours, cela te laissera le temps de faire tes adieux à ces lieux et de rassembler tes affaires. Dans trois jours Ilhan sera là, j’ai besoin d’une soirée en tête à tête avec lui, tout d’abord pour ouvrir l’enveloppe et connaitre la décision du conseil puis ensuite pour l’informer de tout cela.

Enora se recula le visage contrit : « Emma, oh Emma, je suis désolée, tu as reçu la décision du conseil et tu attends Ilhan pour ouvrir l’enveloppe bien sûr, et voilà qu’à cause de moi ce qui sera surement une belle nouvelle se trouve entachée d’angoisse. Je suis sincèrement désolée mon amie, ma chère amie. Je ferai exactement ce que tu me diras.

- Alors ça, ce serait bien la première fois ! rétorqua Emma

Un rire nerveux s’empara d’elles et dans un fou rire mélancolique elles déchargèrent toutes les trois la tension accumulée. Sur ces bonnes résolutions Hannah prit congés en les embrassants toutes les deux.

Une fois à l’extérieur elle prit une grande bouffée d’air frais expira lentement en fermant les yeux en invoquant le visage rassurant de Markus, puis elle se mit en route…

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