Un amour qui cocotte

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Abandonnées au milieu du fatras, les aventurières sortirent de leurs paquetages de quoi casser la croûte.

— Le pain est un peu dur, prévint Poise, mais ça ira bien pour ce soir.

Marxia massait ses épaules douloureuses. Le poids du sac meurtrissait ses cervicales un peu plus chaque jour. Elle déplia un carré de papier blanc, qui dévoila une tome de montagne.

— Tu te rends compte, on est encore montées d’un palier, se réjouit-elle en superposant un morceau de fromage sur son quignon de pain rassi.

— Ouais, youpi, maintenant on est poursuivi par un pervers narcissique sanguinaire, se rembrunit Poise.

Elles s’abîmèrent quelques instants les mâchoires sur le pain sec.

— Tu crois qu’on peut aller visiter la tour ? demanda Marxia après une bonne rasade d’eau.

— Ça sera sans moi. Imagine que ça ne leur plaise pas et qu’ils nous transforment en dindon, ou pire, qu’ils nous flanquent à la porte.

Décidée à fouiner, la demi-elfe rabattit son attention sur les cartons à sa portée.

— Mais tu veux pas t’occuper de tes oignons ! la houspilla Poise en la voyant ouvrir les rabats.

— On est des voleuses aguerries maintenant, ça ne l’étonnera pas si je farfouille un peu. En plus, on pourrait glaner quelque chose d’utile.

L’archère sortit les flacons un à un pour déchiffrer les étiquettes.

— Ça doit être les fameuses potions coquines dont parlaient Angel. Voyons : “Dose de romantisme”, “Remède contre la migraine”, “Souplesse d’une nuit”, “Electriseur de sens”. Je ne crois pas que ça nous servira beaucoup en mission, enfin si, pourquoi pas la fiole pour le mal de tête.

Elle replaça les contenants dans leur gangue de polystyrène, sauf un, qu’elle rangea dans son sac .

— Tu crois que ça fonctionne vraiment ?

— Le mec s’appelle l’Embobineur, Marxia, répondit Poise qui retirait ses chaussures.

Elle se débarrassa de son pull et de son pantalon avant de se couler avec bonheur dans son duvet. Elle ferma les yeux, lasse, percluse de courbatures. Son corps s’appesantit sur le tapis de sol. Elle n’attendait plus que la douce étreinte de Morphée.

— Je voudrais faire pipi et me laver les dents.

L’elfe noire rouvrit une paupière lourde de sommeil. Sa binôme la regardait avec un air de chien battu, son dentifrice à la main.

— Tu n’as qu’à faire ton affaire dans une fiole vide et appeler ça “Essence de pisseuse”, asséna-t-elle avant de lui tourner le dos.

Bien plus haut dans la tour, Gerlin regardait par la fenêtre du dernier étage. Il avait très distinctement aperçu une silhouette tapie dans les sous-bois.

Il ne va jamais lâcher le morceau, pensa-t-il, les dents serrées.

— Tu n’as pas le choix, il te faut l’affronter.

Le magicien sursauta. Il pivota sur ses pieds pour faire face à son aîné, Kerlin le Conciliateur.

— Tu ne voudrais pas y aller à ma place ? demanda l’Embobineur en tripotant nerveusement son bouc.

— Non, pas cette fois, apprends à te défendre.

Son homologue lui adressa un sourire d’encouragement. Gerlin respira un bon coup. Un tambour au rythme effréné cognait dans sa poitrine.

— Tu ne veux pas avoir peur de lui toute ta vie, non ?

Les paroles de Kerlin ouvrirent la voie à son courage. Certes non, il ne pouvait ad vitam eternam flatuler dans sa robe de mage chaque fois qu’il verrait un homme aux cheveux gominés. Un sortilège plus tard et il se retrouva au bas de la tour, à l'affût du moindre bruit.

Une ombre familière émergea du feuillage. Emo apparut de toute sa hauteur sous le clair de lune. Les cernes qui creusaient le dessous de ses yeux semblaient avoir été exagérés par du maquillage. Il avait revêtu un costume sur-mesure, offert par Gerlin, qui rendait compte de sa silhouette fine et de son élégance. Son visage se couvrit du masque des grands moments de tragédie dont il avait le secret.

— Gégé, pourquoi ? demanda-t-il d’une voix vibrante de trémolos. Je pensais que nous pourrions en rediscuter, en adultes, sans mêler de stupides aventuriers à tout cela.

Le magicien tremblait devant son ancien amant. La peur qu’il lui inspirait encore le tétanisait. Le vampire fit un pas vers lui et il en fit deux en arrière. Ils dansèrent cet étrange ballet jusqu’à ce qu’il trouve la force de parler :

— Cessons ces enfantillages, Emo. Ne joue pas les innocents, tu sais très bien pourquoi je suis parti. Tu endors tes proies par de belles paroles jusqu’à ce qu’ils baissent leur garde et puis, une fois qu’ils sont entre tes griffes, tu joues avec comme un chat le ferait d’une souris.

Emo planta un genou en terre, les mains croisées sur son cœur, comme meurtri des paroles de son interlocuteur.

— Tu es bien trop sensible, mon chéri. Tu vois de la fourberie là où il n’y en a pas. Je veux simplement te rendre heureux, ne soit pas si paranoïaque, rentrons, viens.

Il lui tendit une main aux longs doigts blancs. Le bâton de Gerlin se mit à crépiter alors que la colère montait en lui.

— Ne t’approche pas de moi, ni des aventurières qui m’ont aidé ! Tu es une sangsue !

L’autre accusa l’insulte et sa lèvre s’ourla sur ses canines soigneusement brossées. Personne ne répudiait ainsi Emo Globine. Il se fendit d’un sourire à faire pâlir la mort.

— Gerlin, Gerlin, Gerlin, soupira-t-il. Tu me forces à utiliser des méthodes que je n’apprécie guère. Je vais être obligé de nuire à ta réputation avant que tu n’entaches la mienne. J’espère que tu as mis de l’argent de côté, car tu ne vendras bientôt plus une seule potion.

Un éclair sortit de la pierre du magicien et frappa le vampire au visage.

— Voilà mon cadeau d’adieu, un de mes derniers sorts. Je l’ai baptisé “exhalaison du charmeur“. Tu peux bien cracher autant de couleuvres que tu veux, tu as maintenant l’haleine qui va avec.

— Que dis-tu ? s’offusqua le centenaire.

Une odeur de marée basse s’insinua aussitôt dans ses narines. Emo Globine plaqua ses mains devant sa bouche.

— Annule ce maléfice tout de suite ! ordonna-t-il entre ses doigts.

L’odeur devint intenable. Gerlin cacha son nez — et son sourire satisfait — derrière sa manche argentée.

— Espèce de sale petit… commença le vampire avant d’être coupé par une quinte de toux.

Une fragrance de vase de marais flottait dans l’air. Les yeux du vampire pleuraient.

— Je ne pense pas que tu retrouveras une victime à séduire de sitôt, Monsieur bouche-d’égout, se moqua Gerlin.

Le vampire entra dans une colère noire, il se replia au sol, s’apprêtant à bondir sur le magicien et lui déchiqueter la carotide.

— Méfie-toi ! Je suis le seul à pouvoir annuler ce sort. Cette punition ne sera pas éternelle, je la maintiendrai active le temps que tu intègres la leçon.

Souillé et piteux, Emo dû se résoudre à quitter les lieux, sans plus oser prononcer le moindre mot.

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