Bonsoir, je m'appelle Poise
Prise par leur euphorie, le duo se trouva bien bête quand la nuit tomba sur le monde, couvrant le paysage de son voile d’obscurité.
— Euh… on fait quoi ? demanda Marxia. Il fait encore trop froid la nuit pour dormir dehors.
Cette perspective n’avait même pas effleuré l’esprit de Poise, qui scrutait les alentours à la recherche du moindre indice indiquant la présence d’une demeure.
— Là bas ! s'écria-t-elle en pointant du doigt un minuscule point orangé à l’horizon.
Elles sortirent leurs lampes torches et se hâtèrent en direction de la source de lumière. Le sentier les emmena à la rencontre de l’auberge, perdue à des kilomètres de toutes autres habitations.
Soulagées, les filles poussèrent la porte pour découvrirent des personnages assis sur des chaises en cercle. Les tables avaient été repoussées contre le mur et un buffet froid attendait les participants sur le bar.
— Bonsoir, émit Poise d’une petite voix alors que tous les yeux convergeaient vers elles.
Le patron s’empressa d’ajouter deux chaises au cercle et tapota l’assise en leur répondant :
— Je vous en prie, prenez place, la séance n’a pas encore commencée.
Se demandant dans quel guêpier elles venaient encore de se fourrer, les aventurières posèrent leurs sacs à dos dans un coin et vinrent rejoindre la réunion. L’animateur, un nain aux vêtements pastel, attendit qu’elles soient bien installées pour reprendre.
— Je me présente à nouveau, Jordan Paumefort, je représente l’association “Nain pour tous” qui lutte contre les discriminations et pour le maintien du mode de vie traditionnel du peuple nain. J’anime ces réunions depuis maintenant plus d’un an et je suis ravi de voir de voir des nouvelles têtes à chaque intervention.
Marxia ouvrit de grands yeux et attrapa le bras de son binôme avec empressement.
— Regard, là-bas, chuchota-elle avec excitation, c’est Angel.
L’elfe noire eut du mal à reconnaître l’homme fée, caché sous une jungle d’extensions bleu électrique. Néanmoins, quand elle croisa son regard farceur, elle fut assuré qu’il s’agissait bien de lui.
— Le thème de la soirée est “ Les clichés de mes origines me collent à la peau”. Chacun va pouvoir prendre la parole. Pas d’inquiétude, vous êtes dans le cercle de la bienveillance, nous sommes ici pour nous soutenir.
L’homme fée leva la main pour commencer.
— Salut, moi c’est Angel.
— Bonsoir Angel, scandèrent les autres participants.
Poise grimaça, comptant le nombre de personnes restantes à se présenter avant elle. La réunion dénombrait une douzaine de fidèles aux profils peu communs : une sirène aux cheveux courts rouge vif et à la forte musculature, un leprechaun aux vêtements troués, un elfe dépeigné…
Marxia trouvait le thème de la soirée très intéressant et avait hâte d’entendre les récits de vies des intervenants.
— Du coup, poursuivait Angel, depuis que je me suis établi à Eros sur charme, je ne me sens plus victime des clichés. J’ai, comme qui dirait, trouvé ma place.
Il croisa les bras sur sa poitrine d’un air satisfait et l’assemblée l’applaudit.
— Suivant ! annonça Jordan.
La sirène hésita, encouragé par d’autres à prendre la parole. Elle appuya sur un bouton de son respirateur pour mieux se faire entendre à travers l’eau qu’elle inhalait.
— Bonsoir, je m’appelle Béatrice.
— Bonsoir Béatrice !
Elle agita nerveusement sa queue aux écailles saumon, qui trempait dans une grande bassine en bois rempli d’eau salée.
— Je suis une sirène et depuis que je suis petite on me pousse à apprendre à chanter, à prendre soin de mes cheveux et à surveiller les côtes à la recherche d’un homme séduisant.
Plusieurs têtes se secouèrent d’indignation.
— Je me suis toujours sentie différente. J’avais envie de faire de la boxe marine, d’apprendre à me battre, de tester mes limites. Le jour où j’ai coupé mes cheveux, mes parents m’ont mis dehors.
Le visage de Marxia prit un air scandalisé.
— Depuis j’ai tracé ma route, je suis toujours à la recherche de sensations extrêmes et j’ai rejoins une équipe de water polo. Depuis que je suis dans le sport, on m'enquiquine moins avec mon apparence, ça va mieux.
Le leprechaun la soutint en posant une main compatissante sur son épaule. Il enchaîna avec son histoire de vie à pleurer. Poissard au lieu de chanceux, il avait été repoussé par les siens et vivait à la rue avant de trouver un emploi de thanatopracteur.
— Je me ferai une joie de m’occuper de vous si vous veniez à décéder, conclut-il en sortant sa carte de visite.
Poise s’empressa de faire passer les rectangles de papier glacé sans en conserver un. Elle se rendit compte que tous la regardait. Son tour était venu.
— Eh bah… je… je… bafouilla-t-elle avant de s’enfermer dans le mustime.
Jordan Paumefort lui adressa un regard compatissant.
— Ça n’est jamais facile de se lancer. Ne vous forcez pas, si vous voulez, je passe avant vous, écoutez plutôt. Je suis un nain qui aime le plein air, la tisane et les lectures au soleil. Autant dire qu’on me regardait de travers au village. J’ai mis un sacré temps à m’accepter et les autres encore plus. Bien heureusement, mes efforts ont été récompensé par l’association de Martial Beldur, dans laquelle je me sens comme un poisson dans l’eau.
Il sourit d’une oreille à l’autre tandis qu’on l’applaudissait.
— Voulez-vous réessayer ? demanda-t-il à Poise.
Tu as fait fermer son caquet à un critique célèbre et tu as affronté des vampires et des chats sauvages, c’est pas parler en public qui va te faire peur ! Secoue-toi ! se convainquit-elle.
— Bonsoir, je m’appelle Poise.
Elle marqua une pause pour que les autres la salue.
— Je suis une elfe noire, pourtant je ne suis pas versée dans la violence et les orgies de viande puisque je suis végétarienne.
Elle attendit les rires moqueurs mais n’obtint que des sourires encourageants.
— Je me sentais seule et incomprise jusqu’à tomber sur Marxia.
Sa gorge se serra.
— Partir à l’aventure est la meilleure chose qui me soit arrivée.
Elle s’arrêta avant que l’émotion ne la submerge.
— Bravo ! clama Paumefort en l’applaudissant bruyamment.
Marxia, touchée par le discours de son amie, se fit une joie de se présenter et récolta immédiatement l’affection des participants.
Quand tous eurent parlé, l’aubergiste les invita à entamer le buffet. Affamées, les filles garnirent leurs assiettes de taboulé et de salades diverses. Elles conversèrent joyeusement avec les uns et les autres et réservèrent une chambre pour la nuit dans la foulée.
— Ouais, on en est au palier violet, dit fièrement Poise en montrant sa carte à une nymphe au profil gothique.
La jeune femme au yeux cernés de noir parut impressionée.
— Il paraît que vous êtes entré au Dra-cul-la, je rêve d’y aller !
Marxia fit la grimace et passa nerveusement la main dans son cou.
— Oui alors, ne fais pas confiance à n’importe qui et surveille toujours ton verre ! la prévint-elle.
Après une excellente soirée, qui dura jusque tard dans la nuit, les aventurières gravirent l’escalier en bois pour trouver le chemin du repos.
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