de façonner mon argile en homme ?
IVAN TSAREVITCH, LE LOUP BLEU & L'OISELLE DE FEU
ROZALYN - Diable (3)
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[Laboratoire clandestin du Dr Frankenstein, massif du Monte Rotondo, Région Autonome de Corse, France – premier jour]
Ses doigts fripés palpent la souple membrane autour d’elle. La tiédeur délicieuse, licoreuse et rassurante, de ce cocon translucide où la lumière filtre au travers des mailles de veines dilue le temps. Elle ne distingue rien au-delà de cette mélasse opaque dans laquelle son corps ne pèse rien. Recroquevillée, les genoux contre sa poitrine, elle enserre contre son ventre le tube qui relie son masque à l’extérieur.
Extérieur… Une intuition bien étrange ; le haut et le bas ne signifiant plus grand-chose non plus. Elle flotte dans une quiétude merveilleuse, alimentée par les cathéters qu’on a posés sur sa poitrine, ses avant-bras – de fins filins rigides qu’elle entortille dans sa stase et qui deviennent, tout à coup, encombrants.
Des sursauts sourds l’agitent, la secouent. Son monde bascule. La terrible prise de conscience d’une possible brèche envahit son sommeil morphinique.
L’enveloppe se crève en un déchirement de fibres élastiques. Le liquide se répand, dégouline hors d’elle tandis qu’on maintient sa tête à la surface. Picotement de l’air, chair de poule sur sa peau ainsi découverte. Elle ne voit que les halos aveuglants des lampes scialytiques et les ombres projetées d’une créature filiforme aux appendices démesurés. Sa cage thoracique s’agite, des bronches hurlent. Impossible de bouger. Quelque chose obstrue ses voies. Sa bouche scotchée tente de s’ouvrir grand pour dévorer une bouffée d’oxygène, en vain désespoir.
Des griffes osseuses et froides la redressent. Encore à demi immergée, on soulève ses cheveux, repositionne sa nuque, dégrafe le masque respiratoire, puis tire d’un mouvement sec, assuré, le tube hors de sa gorge.
Elle tousse, crache une glaire épaisse, essaye de crier d’une voix éteinte.
Ses membres sont gourds, figés malgré la peur qui ordonne la riposte. Un corps mâle – une certitude profondément ancrée – la maintient comme un bébé dans une piscine. L’image jaillit là, en barrage d’un grand vide à ce rejet instinctif.
Elle a des flashs, des sensations fantômes lors de ce contact peau à peau. Une proximité déplaisante que celle de ces reliefs de cicatrices. Elle réalise alors que la sienne aussi est striée de marques longues et dures, comme balafrée par des éclats de verres, des souvenirs, minuscules fragments d’une mémoire éparpillée.
Avec une volonté extraordinaire, ses poings se crispent enfin. Des os bougent dans la chair de ses mains, des systèmes entre ses phalanges qui éveillent en elle des réflexes primaux. Est-ce à moi ? Est-ce « moi » ?
Un rire de corbeau électronique résonne. Son esprit émerge avec violence, cet effroi de couler, de ne jamais pouvoir atteindre le bord, de s’enfoncer dans cet abîme en elle.
— Du calme… lui susurre-t-on.
Elle se souvient de ce timbre synthétique si particulier, veut répondre mais sa trachée est enflée, sa langue gonflée. Iel la serre contre ellui, tremble un peu, dégage quelques mèches de cheveux collés de sa vue trouble. L’eau semble épaisse, presque collante. Elle perçoit les bords d’un bassin. Un demi-sourire énigmatique s’étire sur la moitié d’un visage d’enfant ravagé. Elle reconnaît l’N-GE ange, se souvient de sa promesse du paradis, mais sa tête n’est qu’un palais de courants d’air.
Iel pose un doigt sur ses lèvres, tait la plus importante de toutes les questions.
— Tu es née une seconde fois, Rozalyn.
Ses poings se contractent encore. Mais pas de peur cette fois-ci. Une force nouvelle afflue dans ses muscles, une sensibilité douloureuse, exquise aussi. Surgissent alors les épines au bout de ses phalanges.
Rozalyn les plante dans cette chair étrangère, la laboure férocement pour s’y agripper avec la crainte que si jamais, si jamais, on la lâche, elle se noiera dans cette souffrance sans nom qui sommeille au fond d’elle. Elle enfouit son visage contre cette épaule sur laquelle elle a pleuré – un deuil comme une amputation – pour s’abriter de cette lumière féroce qui l’agresse tandis qu’iel la porte en dehors du bassin.
Elle ne veut plus jamais mourir.
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