20 : Penjing blues

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Il avait choisi de s'occuper des fleurs comme d'autres les saccagent.

Ce vieux jardinier louait, au notable du village, une masure. Sobre dans sa définition de maison, elle ne disposait en tout et pour tout que de quatre murs en torchis. Un toit de chaume protégeait la construction. Percé de l'unique ouverture, le mur sud donnait sur le chemin par une porte guère plus large que le passage d'un homme. Au sol, de la terre battue. Contre le mur nord, un amas de pierres avaient été disposées en guise de foyer. Formant cheminée épurée, un simple trou pratiqué dans le chaume, tout juste protégé de la pluie par une savante chicane réalisée lors de la conception. Ce coin cuisine rassemblait une brassée de bois fendu, un chaudron, deux écuelles et un sceau en bois capable de contenir environ une quinzaine de litres d'eau. Une paillasse tenait lieu de lit tandis qu'une petite chaise de bambou s'enorgueillissait d'être le seul meuble de la pièce. Rien ni personne n'invitait quiconque à rester ici, sinon pour y converser à propos de la nécessité de se retirer du monde.

En jardinier assidu, Kuan Ti cultivait le moindre espace de terre non pas pour y semer, planter ou récolter des légumes comme ses voisins d'ici bas. Lui désirait assouvir une passion peu commune, celle des fleurs. Dès lors que le mot passion apparaît, se pointe son ombre jumelle nommée déraison. Comme il se doit, Kuan Ti nourrissait les deux de concert. Autant de fois qu'il jugeait vital, il s'arrêtait lors de ses promenades attiré par une variété de fleur non répertoriée dans sa connaissance pourtant fort étendue, autant d'hystérie l'agitait lorsqu'en son jardin il parvenait à reproduire ladite découverte.
Vous aviez beau le saluer matin ou soir, il passait ses journées tête baissée, dos courbé, à genoux sur la terre comme si plus rien n’existait autour de lui. Il répondait toutefois avec un hochement de tête. Qu'il pleuve, vente ou neige, Kuan Ti se réfugiait dans le petit cabanon de son jardin. Impossible de connaître les éventuels trésors cachés car personne n'y entrait. Personne, pas même son chien, une espèce de ratier filiforme trop occupé à poursuivre une nourriture non distribuée par son maître.

Kuan Ti, l'homme à fleurs, se complaisait à représenter la nature en son jardin. Tout autour de la mare, bien plus vaste que la surface de sa masure, il avait façonné trois collines monumentales. L'une d'entre elles, composée uniquement de roches et de cailloux volumineux, symbolisait la montagne des sept vanités.
Kuan Ti reproduisait, en miniature, la nature qu'il connaissait autour de lui, les vallées, la plaine et ses collines, les forêts et leurs secrets. Chaque paysage s'accompagnait des fleurs correspondant à la réalité, des végétaux et des minéraux dupliqués au réel.
Si quelconque visiteur curieux s'aventurait, il était conduit à se promener dans le jardin, percevoir le paysage qui se dévoilerait au fur et à mesure de sa progression sur le sentier aménagé. Chaque espace possédait une identité composé de couleur, de senteur, de sérénité.


Un rapace, genre bouledogue-bulldozer, vint courtiser le notable du village. De cette relation amoureuse naquit une affichette, puis dix et cent, autant d'affichettes que les portes de ses propriétés pouvaient en supporter. Kuan Ti ne savait pas lire mais comprenait le sens des chuchotements furtifs.

Sous la menace grandissante et considérant sa fin prochaine, il creusa sa tombe surélevée d'une stèle appropriée. L'homme aux fleurs en perdit la vie, gagna en notoriété. Une forêt d'arbres penjing réputés indéracinables trône en lieu et place dans la cour de la nouvelle grappe d'immeubles insipide à souhait.

On dit que des branches minuscules fleurissent la nuit. Mais n'est-ce pas trop tôt pour affubler de légende ce qui ne s'explique pas ?


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