Le vent emportait les paroles en l'air et celles plus terre-à-terre. Aucun chapeau attrape-nigaud ne pouvait résister aux bourrasques ; aucune jupe légère ni paréo ne se rebellaient contre les rafales chaudes et impétueuses. Sur les peaux révélées, les embruns vaporisaient quelques fleurs de sel délicates à souhait.

Les hommes de la mer descendaient du chalutier. Mal rasés, les yeux cernés, les caleçons de travers, tout en eux dénotait d'avec la bande des propres-sur-eux, touristes à l'affût d'une bonne affaire au cul du bateau sur le quai ou, pour les lève-tôt, à la criée.

Un enfant solitaire empilait des pierres. Il entretenait le repos de son esprit aussi tranquille que la mer qu'il contemplait. Un des marins l'interpela.

— Approche petit, écoute ce que j'ai à te dire. Plus près, si tu veux entendre l'histoire.

C'est l'histoire de Jaouen, Tu la connais cette histoire ?

— Non.

— C'était il y a très longemps, Jaouen le jeune pêcheur s'était engagé au service de Nominoë, roi de Bretagne. Au moment du coucher du soleil par-delà la digue, Jaouen pêchait tous les jours à l'entrée du port.

Un jour, il éventra son filet puis s'échoua sur les récifs.

— Ton incapacité me coûte trop cher, bon à rien. Que faire de toi, tête en l'air, sinon te changer en caïrn ! grogna le contremaître.

La sentence fut prononcée le jour même.

— Soit, dit Jaouen, j’accepte le sort que me réserve mon bon Roi. Mais puis-je émettre un vœu ?

— Dis toujours, après il avisera.

— Je désire rencontrer Méduse.

Le petit pêcheur innocent s'imaginait que le regard de Méduse lui redonnerait apparence humaine. Sans pour autant revenir sur le châtiment promis, la dernière volonté du pêcheur surprit le Roi du pays Breton. Il tenta d'organiser la rencontre improbable. Mais la nature en décida autrement. Poséidon prit en main le destin de Jaouen. Un beau matin, sans prévenir, la mer se déchaîna, la plaine se souleva, les vallées se creusèrent, la géographie tout comme le carnet de rendez-vous de Méduse furent bousculés. Jamais elle ne vint réaliser le souhait du petit pêcheur désormais immobile pour l'éternité.

Depuis ce temps, Jaouen reprend vie à chaque fois que les enfants s'amusent à assembler les pierres sur les récifs, avant que les vagues ne les engloutissent à nouveau.

Continue petit, continue d'assembler tes pierres, même si tu sais d'avance que la marée démontera ce que tu as construit. Un autre que toi recommencera.