Souvenir # ?% ~ ???

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Je montai les marches rugueuses et mal taillées menant au dernier étage. C’était un des bâtiments à l’arrière de la Cité Mouvante, une tour sordide et abandonnée, comme toutes les choses inutiles. Comme nous, les anciens insurgés.

Un vent brûlant empli de poussière soufflait sur Dzwoha. Le sable s’insinuait partout, il grattait et détériorait vêtements, corps et humeur. Moi, il ne me gênait pas. J’étais capable de m’habituer à peu près à tout. N’avais-je pas vécu sous terre pendant des centaines de cycles ?

Derrière moi, les jeunes étaient silencieux, graves. Notre arrivée datait de quelques mois et, déjà, nous avions rallié le groupe des marginaux. Le nom avait été choisi en hommage à l’Insurrection et à la réussite de leur manœuvre pour renverser le Conseil. Cependant, contrairement à elleux, nous étions unis sous une bannière, un leader, et n’avions pas de vision édulcorée de la réalité. Nous étions vrais, fidèles à nos sentiments, et nous comptions bien prendre notre revanche sur les conseillers.

Dans la petite salle en haut de la tour se déroulait une réunion comme nous en avions chaque semaine. Nous étions peu nombreux – même si notre nombre ne faisait que croître – car ce n’était pas toujours les mêmes personnes qui venaient.

Je toquai à la porte de bois qui pendait presque sur ses gonds tant elle était usée. Une voix nous invita à entrer. Tamiaki nous accueillit avec un sourire amical et un signe de la tête. Nous nous assîmes en silence sur des caisses de bois couvertes d’étoffes crasseuses. Notre leader ne fut en aucun cas offusqué par notre retard, son sourire était égal à d’ordinaire. C’était ainsi chez les marginaux : nous pouvions aller et venir librement, aucune réunion n’était obligatoire.

un de nos camarades était en train de raconter ce qu’iel avait constaté à l’autre bout de la Terre des Dieux. Iel semblait alarmé par les penchants pacifistes que certains groupes semblaient adopter sans réticence.

Notre leader le rassura grâce à l’une de ses fameuses tirades :

– L’heure du rassemblement approche. Je peux t’assurer que l’accession au pouvoir des jeunes nous permettra de remédier à cette situation. Nous ne laisserons pas les conseillers avoir l’esprit tranquille pour trop longtemps et nous ne laisserons pas nos adelphes se laisser leurrer par leurs illusions ! Nous allons nous-mêmes ouvrir la voie vers notre avenir ! Si la Révolution n’a pas suffi à obtenir ce que nous désirons, nous avons à présent les moyens de mettre en place notre Grand Projet ! Et avec mon entrée au nouveau Conseil, ce n’est plus qu’une question d’une centaine de cycles, je vous le promets…

Le Grand Projet… C’était la raison pour laquelle j’avais rejoint les marginaux. J’avais foi en cet espoir, en cette simple conviction que les erreurs ne pouvaient rester impayées, et que la punition devait être à la hauteur de l’erreur. Je voulais bien me rassembler dans la haine d’une chose commune, mais pas si ce fut sans réinvestissement de celle-ci.

Tamiaki nous avait servi un plan tout prêt et parfaitement détaillé afin que nous puissions accomplir cette vision, et la préparation avait d’ors et déjà commencé. Honnêtement, il y avait de l’esprit derrière cette idée. Elle eût pris le temps qu’il fallait, mais pas sans raisons. Il y avait même des plans B et C, au cas où. J’avais été étonné de découvrir ce penchant calculateur de sa personnalité. On remarquait tout de suite que ses sourires n’étaient pas totalement sincères, mais qu’ils cachassent tant de fourberies… c’était une surprise. Une bonne surprise, en l’occurrence.

La première fois que j’avais entendu parler de Tamiaki, ça avait été dans la bouche d’un des insurgés qui avaient accompagné Thoujou lors de la Révolution. Ces derniers étaient en effet partis avec moi, car iels avaient été déçus de ce que Thoujou et Mœ avaient accompli – ou raté – et de la manière dont iels s’étaient comportés. En revanche, le charisme de Tamiaki les avait séduits. Durant tout le trajet de Kaou à Dzwoha, iels m’en avaient fait un portrait si flatteur que la réalité me dérouta d’autant plus.

Iels l’avaient dépeint comme quelqu’un d’extrêmement confiant, d’audacieux et de rayonnant. Un leader né ! Certes, je pouvais comprendre où iels avaient décelé ces qualités, mais moi je voyais autre chose en ellui. Je voyais d’abord un outil, un simple moyen d’atteindre mon objectif – je ne m’attachais pas facilement aux personnes, ou plutôt je m’en détachais vite. Mais encore, je voyais un être profondément dérangé et prêt à tout pour accomplir son plan, au mépris de toutes les règles de la morale. Je le craignais un peu, il fut vrai, car j’ignorais quelles étaient ses raisons personnelles, et je les imaginais terribles.

La raison pour laquelle je l’avais suivi ellui et non pas n’importe quel autre sathœ opposant, ce fut – outre qu’iel partageât mes objectifs – parce qu’iel me fascinait plus qu’iel ne m’intimidait. Son idée était diabolique, mais sa forme physique, en revanche, n’avait rien d’impressionnant. De plus, iel semblait étranger à la normalité et échappait à toute prédiction. Je ne parvenais pas à le déchiffrer et cela me troublait énormément.

Plus encore que la fascination ou la crainte, j’étais sur la verge du dégoût envers ellui, car iel avait, pour son plan, pris la décision d’intégrer le nouveau Conseil. Et je ne pouvais m’empêcher de voir en cela un besoin sous-jacent de régner ou de combler une sorte de manque, quel qu’il fût. S’il lui prenait l’idée de nous trahir ou de nous abandonner, iel pouvait imaginer les conséquences immédiates pour ellui. Du moins, nous espérions que le nouveau Conseil eût permis moins d’impunité à ses membres.

Je ne l’imaginais cependant pas faire tout cela en vain et changer de camp au dernier moment. Au contraire, je l’imaginais mieux se battre jusqu’au bout, au mépris de sa propre sécurité. Car, s’il y avait bien une chose de charmante chez ellui, c’était son fou courage et sa capacité à placer son entière confiance en nous pour le défendre et garder le secret. Peut-être même trop…

J’eusse protégé les marginaux. J’eusse protégé notre Grand Projet, et eusse aidé à l’accomplir, quel qu’en fût le coût. Personne n’eût touché à un cheveu de Tamiaki tant que nous ne fussions pas vengés. Personne n’eût révélé notre existence sans s’attirer notre courroux…

Nous n’allions plus nous laisser mépriser par qui que ce fût. Jeunes ou aînés, personne ne nous eût plus marché sur les pieds !

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