Souvenir # ?% ~ ???
J'étais frigorifié. Cependant, je m'efforçai de tenir cette information à l'orée de mon esprit.
Ton corps était léger, en aucun cas il n'était un poids pour moi. Ce fut avec plaisir et chagrin que je te portai et te serrai fort contre moi. Tes cheveux venaient parfois me chatouiller le cou.
Je ne savais pas où j'allais et laissai mes pas me guider jusqu'au bord de la falaise. Le vent était terrible et menaçait à chaque instant de me faire trébucher. Mais je ne pouvais pas me le permettre, pas avec toi dans mes bras.
À bout de force, je m'assis sans cesser de te serrer.
Cela faisait si longtemps... Si longtemps que toi et moi n'avions pas été réunis... Pourquoi fallait-il que ce fût en une occurrence si tragique et que tu fusses... ainsi.
Ton corps était froid et immobile, tes paupières étaient fermées et je ne parvenais pas à te faire réagir. Mon cœur était brisé. Tes cheveux... étaient aussi soyeux qu'auparavant, tes traits aussi délicats et tu étais ainsi d'une beauté encore plus époustouflante.
Mais pour parfaire ton portrait, il manquait une chose essentielle : ta personnalité. Sans cette-dernière, je ne pouvais te reconnaître. Je ne pouvais identifier ce corps sans l'enthousiasme qui l'animait d'ordinaire, sans ce brin de folie qui brillait dans tes grands yeux bleu ciel... sans toi. Le vrai toi.
En effet, je l'avais constaté dès que je t'avais vux dans la Salle des Murmures : tu n'étais pas là. C'est pourquoi j'avais même douté qu'il y eût une quelconque connexion entre cette enveloppe et toi. Mais la vérité m'avait déjà été révélée par Thoujou, et je ne pus que l'accepter.
Et elle était si cruelle. Tu m'avais tant manqué tous ces cycles, ces milliers de cycles... Et pourtant, ma patience n'eût jamais été récompensée, mon chagrin n'eût jamais été justifié. Je me demandais même si cela avait du sens, d'attendre et d'espérer, de souffrir...
Non, la souffrance n'avait aucun sens, j'en étais persuadé à présent... Car j'avais beau avoir donné ma vie pour le Conseil, au final, ça n'avait rien changé. J'avais quitté Thoujou, et ça ne lui avait pas permis de vivre en paix. J'avais souffert pour la Révolution, et ça n'avait pas changé la vision des jeunes à notre égard... Souffrir volontairement, c'était si stupide. Souffrir et croire qu'un jour nous eussions eu justice, c'était si vain.
La vérité c'était qu'il ne fallait jamais attendre, mais agir par soi-même. La souffrance seule ne payait pas.
Ni la tienne, ni la mienne. Tu n'avais pas mérité ce qui t'était arrivé – bien que je ne susse toujours pas le fin mot de l'histoire quant à la raison exacte de ta disparition. Tu eusses mérité que je donnasse plus pour toi... Et c'est ce que j'eusse fait si j'avais été plus courageux, si je t'avais retrouvé...
J'enfouis ma tête dans les plis de tes vêtements. Tu... sentais encore le cyprès. Même après tout ce temps, tu portais cette odeur que j'aimais tant... Tu m'aimais donc encore quand tu tombas dans cet état... !
Je me demandai si tu avais souffert. Et je fus désolé.
Je me demandai si tu t'étais senti seul. Et je me mis à pleurer.
C'était ma manière d'exprimer mon amour : pleurer. Si je ne l'avais pas fait, j'eusse admis ne pas être atteint. Or, je l'étais terriblement.
Après ces cycles de silence, toutes les hypothèses et le manque me transpercèrent de nouveau. Tous les souvenirs que nous n'avions pu partager, tout ce que tu avais accompli et dont je n'avais aucune idée, tous celleux que tu avais connus après moi et qui t'avaient vu partir... Je voulais leur rendre hommage.
Alors je pleurai, sans retenue. Comme autrefois j'avais pleuré dans tes bras, je le fis encore une fois. Pusses-tu me pardonner de ne pouvoir te demander ton consentement, mon ami...
Mais je promis de ne pas pleurer trop longtemps. Je n'avais pas ce loisir, je ne l'avais plus.
Pour une fois, j'avais de véritables responsabilités. Des gens qui comptaient – à raison – sur moi, et moi seul. Des gens qui ne dépendaient pas, mais me regardaient tout de même avec de grands yeux attentifs et admiratifs. Iels attendaient mon retour avec impatience, j'imaginais, et je comptais retourner auprès d'elleux. Je ne pouvais rester ici à contempler le vide en noyant mon chagrin dans ta chevelure dorée. Je ne pouvais rester là à laisser les vagues emporter mon sel.
Non, je tenais trop à toi pour me laisser aller à ne plus être moi.
Je ne sais pas ce que tu eusses attendu de moi en cet instant. Mais je savais ce que moi j'attendais. Ce fut pourquoi, après un moment, je dus relever la tête. Et mes larmes cessèrent naturellement de couler.
Tu étais parti, mais moi j'étais resté. Et je promis de faire ce que tu ne pus plus, c'est-à-dire tout, et évidemment de mon mieux et plus encore, pour toutes ces fois que je regrettais.
Je t'aimais, Ñajii.
Et je t'aurais aimé pour l'éternité.
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