Souvenir trentième ~ Qu'aurais-je dû faire ?

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Nous étions dehors, sous la fine pluie dansant au rythme du vent. La pénombre régnait, il faisait nuit. Les étoiles se cachaient derrière leurs draps de nuages et une douce odeur d'épines de pin emplissait l'air.

Nous étions solennels, face à la sortie Est du repaire. Dans une sorte de rituel, Mœ et moi avions scellé la porte de chacune des pièces, du troisième étage vers le rez-de-chaussée, laissant seulement les restes de celle de la Salle des Murmures pendre sur ses gonds. Il ne restait plus rien dans les quartiers personnels ni dans la salle de musique ou l'Atelier, tout le monde avait tout emporté. Nous avions condamné l'accès aux autres tunnels par de solides blocs de pierre et éteint les torches sur notre passage.

Mœ se racla la gorge et prononça quelques mots :

– Bon, il est finalement l'heure pour nous de clore ce chapitre de notre existence et de passer au suivant. Ce domaine nous aura apporté bonheur et protection durant la sombre période qui touche à sa fin. Espérons pour les présents qu'iels sauront apprécier cette nouvelle vie qui s'offre à elleux. Souhaitons aux absents que leur temps passé ici fut doux et que leur départ fut salutaire. N'oublions jamais, mais ne ruminons pas. Ce qui est fait est fait, luttons pour ne pas répéter les mêmes erreurs.

Mœ siffla l'air des insurgés et les autres, qui ne connaissaient pas sa profonde signification pour nous, ne l'imitèrent pas. Puis iel effectua une sorte de danse et posa ses deux mains derrière l'entrée du tunnel. Le sol brilla de bleu, la lueur se diffusa sur plusieurs mètres en sortes de grosses veines de terre, puis il se mit à gronder de plus en plus fort jusqu'à ce que le plafond s'écroulât sur les marches de pierre.

Chacun rendit son hommage à sa manière puis, dans un même mouvement, le groupe se dispersa. Thœji et Wèthwo s'éloignèrent en nous faisant de grands signes de la main. Mœ resta à mes côtés quelques minutes pour discuter des décisions qu'iel avait prises pour la branche dont Joukwo et lui partageaient la direction.

– Je te laisse le soin de lui en faire part quand le moment te semblera adéquat, me dit-iel avec un sourire.

Je levai un sourcil.

– Hein ?

– Tu ne vois pas les particules d'énergie ? Elles brillent encore.

C'était vrai. Par terre, qui s'éloignait de la route du retour, il y avait une traînée de gouttelettes colorées s'élevant et se mêlant à la pluie. Joukwo était passé par là, en direction des falaises et non de Pfœkiña. Je regardai Mœ, stupéfait qu'iel eût remarqué et pas moi. Iel me fit un clin d'œil et s'en alla en silence.

La route était escarpée et glissante, les flocons se firent de plus en plus en nombreux au fur et à mesure que j'approchais. Tout près de l'endroit où j'avais rencontré Thœji, Dzaè et Wèthwo pour la première fois se tenait Joukwo. Iel était assis et serrait le corps de Ñajii contre ellui. Persuadé d'être seul, iel pleurait bruyamment. Malheureusement, j'étais là... Mœ m'avait incité à venir, mais le moment était peut-être mal choisi pour moi d'intervenir. Je ne voulais pas le déranger. Alors je m'assis dans un coin contre un sapin et posai ma tête sur mes genoux. Je pouvais simplement veiller silencieusement sur ellui.

La nuit était terrible. C'était une de ces nuits où l'on eût préféré rester à l'intérieur. Mais, en même temps, c'était le temps idéal pour noyer son chagrin. La pluie nous glaçait le sang et tourbillonnait comme nos pensées, l'absence de lumière nous cachait aux regards, le silence quasi total était propice à l'extériorisation... Tout était parfait.

Ce n'était pas si désagréable, finalement. On n'y voyait pas à vingt pieds, mais on pouvait percevoir la fin du continent avec netteté, en contraste avec l'océan dont les vagues se fracassaient dans un bruit étouffé au bas de la falaise. De l'eau, de la roche, des plantes, du vent... Tous les éléments de la nature étaient réunis et apaisaient l'esprit.

Au-dessus de moi, les oiseaux commençaient à se réveiller. Un groupe de jeunes alla se laver dans une flaque à quelques pas de moi tandis que d'autres s'envolèrent pour aller se nourrir. Un, plus petit, se fit embêter par les autres. Il passait son bec sur ses plumes quand son compagnon vint méchamment lui picorer la tête. Il piailla de mécontentement et tous les autres s'envolèrent en le moquant.

Désormais seul, le petit oiseau me porta toute son attention. Il se mit à me fixer en penchant la tête tantôt à droite tantôt à gauche. Même si les animaux ne nous comprenaient pas, on pouvait parfois en avoir l'impression. Ils semblaient d'ailleurs étrangement sensibles à nos émotions. J'avais déjà rencontré des cerfs, hiboux ou encore grenouilles qui m'avaient un jour porté de l'attention. Parfois, ils tentaient de me réconforter quand j'étais triste. D'autres se contentaient de m'observer de loin. Mais jamais ils ne s'enfuyaient, comme s'ils savaient que nous les avions créés, que nous n'étions pas des prédateurs... Je n'avais pas particulièrement d'intérêt pour les animaux, alors je ne cherchais pas à les approcher. Mais elleux semblaient globalement en avoir beaucoup pour nous.

Je m'efforçais de comprendre ce que l'oiseau pouvait bien me vouloir quand il me tourna le dos, sautilla sur quelques pieds puis alla effrontément se poser sur la tête de Joukwo. Il lui chanta bruyamment à l'oreille.

– Ah ! Non... ! bredouillai-je.

J'apposai mes deux mains sur ma bouche pour étouffer mon cri, mais déjà Joukwo avait tourné la tête vers moi.

– ...Thoujou ?

Je n'avais pas remarqué, mais iel avait cessé de pleurer. Son visage était encore rouge de chagrin, mais iel semblait s'être un peu calmé. Derrière ellui, le soleil pointait ses premiers rayons, enflammant l'horizon. Ses cheveux brillèrent comme les premières neiges, créant une auréole de lumière autour de son visage. Ils étaient si lumineux que celleux de son ami, qu'iel serrait toujours, paraissaient ternes en comparaison.

Joukwo me sourit et se retourna. Hésitant, je vins m'asseoir à quelques pas d'ellui. L'oiseau passa de sa tête à mon bras en pipetant joyeusement. Je chassai la petite crapule d'un geste de la main et elle s'en alla rejoindre les siens.

– Quoi qu'il nous arrive, le soleil finit toujours par se lever, n'est-ce pas ? murmura-t-iel, la voix brisée.

Iel se pencha sur le visage de Ñajii et se remit à le caresser.

– Tu dois te demander qui iel est et pourquoi je ne t'ai jamais parlé d'ellui... Alors je vais te le dire : c'était mon plus cher ami quand nous étions plus jeunes, le premier sathœ à m'avoir tendu la main quand j'ai commencé à perdre pied... et que je me sentais perdu et terriblement seul.

Iel repoussa une mèche sur son front.

– Ñajii... travaillait à la Fabrique. Iel était de la deuxième génération, c'était le premier artiste. Iel a modélisé toutes nos tenues, le Temple, la Tour-Bibliothèque... Quand je regarde autour de moi, je ne vois qu'ellui.

Un rictus de douleur passa sur son visage. Iel tenta de contenir un nouveau sanglot.

– Nous étions vraiment, vraiment proches, on passait tout notre temps ensemble. À l'époque, les conseillers ne restaient pas toujours au Temple. J'allais et venais, mon seul lien social c'était ellui. On était doués pour trouver des excuses pour qu'iel m'accompagnât. Ça rendait Kawoutsè fou. Moi, je m'en fichais, iel avait sa vie, j'avais la mienne... Et Ñajii en faisait partie. Tu sais, la clairière où vous m'avez trouvé le jour où j'ai été votre otage... ? C'était Ñajii qui l'avait faite, pour nous. Les fois où on ne voyageait pas et où on ne voulait pas être vuxs en train de traîner au boulot, on s'y réfugiait. Originellement, il y avait deux poissons dans le petit étang. Mais ils sont morts... Peut-être qu'ils ont disparu avec ellui. Les nourrissèves, c'est ma petite contribution personnelle. Iel les adorait. Iel disait que ça devait être à ça que ressemblaient les étoiles vues de près... Peut-être qu'elles arrêteront de briller quand... je ne serai plus là.

– Ne dis pas une chose pareille ! protestai-je en me tournant vers ellui. Tu ne dois pas disparaître, Joukwo. Il faut que tu te battes !

– Ne t'inquiète pas, me dit-iel avec un sourire, je ne compte pas m'endormir.

– Mais comment être sûrs que ça n'arrivera pas ?!

Joukwo observa l'horizon avec mélancolie. Les gouttes de pluie ruisselaient sur son visage.

– ...Dans l'absolu, on ne peut pas le savoir. Nous n'avons toujours pas percé les secrets du mécanisme.

Un air d'inquiétude passa sur mon visage et Joukwo l'attrapa au vol.

– Thoujou... Je vais bien, vraiment. Je suis... déjà passé à autre chose, tu sais. Ça faisait des centaines de cycles que j'avais renoncé à l'idée de revoir Ñajii un jour. J'y étais résigné. Même si jamais je n'eusse pu me douter de l'existence du sommeil, je suis apaisé de savoir que tout ce temps iel était ici, avec les insurgés, qu'iel n'était pas seul, ni perdu, ni...

Iel se tut, car iel savait que c'était faux. À un moment donné, Ñajii avait été suffisamment affaibli mentalement pour s'endormir. Mais je ne voulus pas remuer le couteau dans la plaie.

– Je ne le connais pas, mais à voir comment tu l'aimes, ce doit être une personne formidable.

– Oui, iel l'était. Iel était un peu comme toi et en même temps, pas du tout. Iel était énergique, iel fonçait toujours tête baissée sans peur de la douleur ou de la disparition. Iel tenait toujours tête à celleux qui lui parlaient mal, qu'importe leur rang, iel ne se laissait pas faire. Ñajii se pensait invincible et je le croyais... Iel avait une confiance en ellui à toute épreuve mais, avant tout, c'était quelque d'immensément modeste. Iel était le seul à posséder ce parfait équilibre... Jamais iel ne se ventait de son talent, iel connaissait ses capacités sans en faire l'étalage. Iel disait que n'importe qui pouvait y arriver. Certains pensaient que sa personnalité trop bonne devait cacher quelque chose de sombre. Iels imaginaient que s'iels le mettaient en colère, iel risquait de tout détruire. Mais Ñajii n'avait rien à cacher, iel n'avait aucune rage contenue, iel était juste heureux. De toute façon, iel n'eût jamais fait de mal à quoi ou qui que ce fût. Jamais. C'était un créateur. Voilà quel genre de personne était Ñajii...

– Excuse-moi Joukwo, mais... tu parles de Ñajii au passé, alors qu'iel est juste là. Tu ne veux pas essayer de... ? proposai-je en montrant le torse de son ami.

– Non, Thoujou... Ñajii n'est pas là. Je l'ai su dès que je l'ai vu, même si je refusais d'y croire. Son esprit a quitté son corps depuis bien longtemps. Ça ne servirait à rien que je tente de le réveiller. Et puis je n'oserais pas lui faire ce que j'ai fait aux autres... Je suis incapable de lui faire du mal, même pour l'aider.

Je n'osai pas lui proposer de le faire à sa place. Moi non plus, je n'eusse pas osé, je le savais. Il y avait comme un lien muet entre elleux, un lien si fort qu'il les protégeait de tout danger. Depuis le début, j'avais cette sensation d'être un étranger. Je ne m'approchais plus de Joukwo, je gardais toujours une certaine distance entre nous. J'étais physiquement incapable de l'approcher. Était-ce dû au lien ? Étais-je un danger pour leur relation, pour la mémoire de Ñajii ?

Non... N'importe quoi. Joukwo et moi étions toujours amis. L'existence de Ñajii n'y changeait rien. Je ne devais pas le craindre ni en être jaloux. Ça n'avait aucun sens. Joukwo m'avait souri, iel m'avait caressé la tête. Iel m'aimait, c'était certain. Je ne devais pas me mettre en compétition avec Ñajii, je devais avoir foi en ce que nous avions.

– Leur corps n'est plus comme le nôtre, m'expliqua Joukwo. Il est totalement à l'arrêt. Il n'y a plus rien de vivant en elleux, ce ne sont plus que du sang, des rivières de sang... Mes doigts ont pénétré ce liquide chaud, familier, j'ai senti leur vie couler sur le sol, inonder mes vêtements et leurs piédestaux funèbres. C'est alors que j'ai compris que leur esprit était parti ou bien qu'il avait disparu. Dans tous les cas... ce ne sont plus des sathœs, seulement des coquilles vides... C'est tragique ce qui leur est arrivé. Je-... Je me sens d'autant plus coupable, car je pensais Ñajii assez fort pour vivre sans moi. Je pensais le savoir. Mais je n'ai rien su de ce qu'iel traversait et d'à quel point ça a été dur. Je ne le saurai jamais...

– Je-... Je suis désolé, bredouillai-je.

– Ne le sois pas... C'est de ma faute. J'aurais dû quitter le Conseil dès le début pour le retrouver. Ça aurait dû être ma priorité. Mais au lieu de cela, je suis resté pour mes responsabilités... Oh, ce que c'est stupide ! Je vis encore dans le passé, je ne peux pas m'empêcher de vivre avec des « si » !

– On ne peut pas réécrire le passé, c'est vrai. Mais c'est normal de penser à ce qui aurait pu se passer autrement... Tu ne dois pas t'en vouloir, Joukwo. Tu ne pouvais pas prévoir ce qui allait arriver... Tu n'as pas à être toujours responsable de tout. Tout n'a pas à trouver responsabilité chez quelqu'un...

J'avais dit cela sans y penser, parce que je croyais dire la vérité. Cette vérité que j'avais comprise au fil des cycles. Mais, moi-même, ne passais-je pas mon temps à regretter et à m'en vouloir pour chaque chose négative qui arrivait autour de moi ? Moi-même ne vivais-je pas avec des « si » ? J'étais certainement très mal placé pour faire la morale ou donner des conseils sur ce point...

– Pourquoi Ñajii est-iel parti ? A-t-iel commis une faute ?

– Honnêtement, je ne sais pas. Je n'ai jamais pu lui demander, car je ne l'ai jamais revu après sa soudaine disparition. Un jour, je voulais juste me balader avec ellui. Je suis allé à la Fabrique et dans la clairière, mais je ne l'y ai pas trouvé. J'ai demandé à Kawoutsè où était Ñajii, et iel m'a répondu qu'iel était juste parti, comme ça. Mais je ne l'ai pas cru. Ñajii n'aurait jamais fait ça.

– Ne me dis pas que... ?! m'exclamai-je, outré, en me relevant sur les mains.

– Si. Peut-être que Kawoutsè l'a chassé. Ou peut-être que c'est Ñajii qui a décidé de partir. Iels se disputaient sans cesse, tout les deux. Iels avaient beaucoup de mal à s'entendre... Ça criait beaucoup quand iels étaient dans la même pièce.

– C'est drôle, on dirait que tu nous décris ellui et moi, fis-je remarquer.

– Alors là, non, pas du tout ! Ñajii l'adorait. Iels passaient beaucoup de temps ensemble, au grand désarroi de Kawoutsè. D'ailleurs, Ñajii aimait tout le monde. Au bout d'un moment, Kawoutsè s'était même mis à l'éviter pour ne pas avoir à perdre leurs joutes verbales, car il était impossible de tenir tête à Ñajii. Iel était très perspicace et parvenait à lire en ellui avec une telle aisance que cela l'agaçait profondément. Mais malgré le temps et les efforts de Ñajii, jamais Kawoutsè n'a démontré la moindre marque d'amitié à son égard.

– Iel est trop jaloux. Iel ne peut pas supporter que quelqu'un traîne plus souvent avec toi qu'ellui.

– C'est sans doute vrai. C'est pour cela que j'ai longtemps pensé qu'iel l'avait chassé. J'ai fait irruption dans son bureau comme une tornade et l'ai menacé pour qu'iel me dise où iel l'avait envoyé. Ça n'a donné aucun résultat, alors je suis personnellement parti à sa recherche. Mais j'eus beau faire le tour de la Terre des Dieux pendant un cycle entier, Ñajii avait disparu pour de bon.

– Iel était là où personne n'aurait pu le retrouver...

– Oui... Il est d'ailleurs probable que Ñajii soit le premier insurgé.

– Tu crois ?!

– Oui, ce serait logique. Je ne me souviens pas de cas de disparition avant ellui, c'était ellui sur la première table de la Salle Des Murmures, et puis l'architecture de la base... c'était un peu son style. Je le connais bien. La chanson aussi, c'était d'ellui... Iel m'attendait, et moi je ne l'ai jamais retrouvé. Est-ce qu'iel s'était caché ou est-ce que j'ai été trop idiot pour déceler ses indices ?!

Joukwo soupira. De nouveau, iel caressa les cheveux de Ñajii d'un air pensif. La pluie coulait d'un visage à l'autre, telle des larmes de la nature pleurant la disparition d'un de ses enfants. Joukwo avait beau dire qu'iel était passé à autre chose, la présence de Ñajii à ses côtés devait avoir rouvert les cicatrices. Quand je pensais que chaque seconde passée au Temple pouvait potentiellement lui rappeler tous ses malheurs et qu'iel était quand même resté... Quand je pensais qu'iel était resté au Conseil alors qu'iel soupçonnait Kawoutsè d'avoir banni son meilleur ami. Quand je pensais que Joukwo n'avait pas tout abandonné pour partir à sa recherche ! Tout ça pour permettre aux Dix d'être en sécurité... Joukwo était sacrément fort. Certainement la personne la plus dévouée à autrui et courageuse que j'eusse rencontrée.

– Thoujou... murmura-t-iel d'un coup.

– Mh ?! Oui ?

Joukwo regardait à nouveau devant ellui avec dans les yeux cette tristesse qui semblait le ronger de l'intérieur.

– Qu'aurais-je dû faire, à ton avis ? Pourquoi je ne fais jamais les bons choix... ?

Iel avait demandé en toute innocence... Je l'observai, ellui, mon ami. Cette personne que j'admirais et pour qui j'avais cependant la plus grande compassion. Pauvre Joukwo. Il fallait que je lui réponde quelque chose de consolateur.

– Dans la vie, il n'y a pas que des choix évidents entre bien et mal. Parfois... il n'y a aucun choix qui soit bon et on doit choisir entre plusieurs mauvaises possibilités. Parfois, au contraire, on a la chance de pouvoir choisir entre plusieurs bonnes choses... Tout dépend des circonstances et de notre état d'esprit... Je pense que tu as fait le choix que tu as estimé juste sur le moment, car je sais que tu es capable d'être objectif quand tu ne te laisses pas dépassé par l'émotion. Il ne faut pas regretter ta décision. Il faut que tu fasses confiance au toi passé, car iel ne voulait que le bien du toi présent. Même si ton choix s'est révélé être mauvais, tu ne pouvais pas le prévoir, tu ne l'as pas fait exprès. Ce n'est pas tant une question de « ce qui est fait est fait », que d'accepter le fait de s'être trompé et de se pardonner... Moi, je te pardonne.

– ...M- Merci, Thoujou, dit-iel en laissant s'échapper un sourire et une larme. Comme toujours, ta parole est pleine de sagesse et de réconfort.

– Comme toujours ? Oh non, le génie de la sagesse, c'est toi ! Tu es humble, même un peu trop, et tu vois le bien en chacun !

– Sauf en moi-même, heh... relativisa-t-iel.

– Le tout c'est d'apprendre à t'aimer ! Sache que les jeunes te sont immensément reconnaissants. Tu leur as sauvé la vie.

– Je n'ai fait que les blesser, iels ne devraient pas me remercier. J'ai plongé ma main dans leur torse et je les ai fait disparaître. C'était atroce, mais je n'ai pas arrêté.

– Tu as fait preuve d'un grand courage ! Ne dévalorise pas ton action. Ce qui compte, c'est celleux qui se sont réveillés. Donne-toi un peu de crédit, s'il te plaît ! C'est grâce à toi, tout ça.

– ...Oui, tu as raison. Mais je ne pourrai jamais ôter ces sensations de mon esprit et de mes mains...

– Si tu le pouvais, je te prendrais pour un psychopathe !

– Ah oui, carrément ?! rigola-t-iel.

Nous sourîmes en silence, le cœur un peu plus léger. Le jour continua tranquillement de se lever, il perçait de plus en plus au travers des nuages.

– Que vas-tu faire de son corps ? demandai-je sans tourner la tête.

– Je vais l'aider à rejoindre son esprit. Je ne peux pas le garder avec moi éternellement. Je suis heureux de l'avoir au moins revu... Maintenant, il est temps de lui offrir le repos qu'iel mérite.

Joukwo se leva en prenant Ñajii dans ses bras, les bijoux cérémonieux qu'iel portait tintèrent. Iel s'approcha du bord de la falaise. Les oiseaux volaient en faisant des figures acrobatiques devant ellui, là où aucun sathœ ne pouvait poser pied sans se précipiter vers une disparition certaine. Iel s'approcha encore... et chanta. Iel chanta cette chanson que Ñajii avait écrite pour ellui. Iel chanta d'une voix claire et joyeuse cette chanson qui eût dû être triste. Et, ainsi, elle parut d'autant plus belle.

– Je me demande comment aurait été sa voix si j'avais pu l'entendre chanter... murmura-t-iel à la fin.

Joukwo et Ñajii se tournèrent vers moi. D'une main, Joukwo décrocha le collier que Mœ lui avait offert et le laissa tomber dans l'herbe fraîche. Au-dessus, dans le ciel, la lumière qui se réfléchissait sur les gouttes de pluie forma un arc-en-ciel. Joukwo sourit, recula d'un pas et bascula dans le vide.

– Joukwo !

J'avais crié son nom, mais n'avais pas fait un pas dans sa direction. Là où iels étaient tombés, un puits de gouttelettes remonta en tourbillonnant et scintilla sous la lumière multicolore.

Tout le sang versé avait disparu. C'était enfin fini.

Quelques heures plus tard, Joukwo réapparut à mes côtés, l'air libéré.

Ñajii avait pu partir en paix.

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