Prologue
L’encensoir se balançait paresseusement au plafond des appartements royaux et diffusait des volutes capiteuses. Le qanfasa, onéreux mélange de résine narcotique, envahissait le moindre recoin de la colonnade, malgré le vent frais balayant la nuit frissonnante. Son odeur puissante de camphre et de bois de cade brûlé s’écoulait en une cascade fantomatique le long des tentures et jusque dans la cour en contrebas. Les bras de fumée caressaient les contours des deux silhouettes face à face dans la pénombre.
L'oracle avait les yeux fermés, ses mains noueuses posées à plat sur la table. Sa silhouette pointait au travers du tissu de sa robe simple. Des épaules saillantes, une gorge creuse et une poitrine absente lui donnaient une apparence décharnée. La chandelle devant elle peinait à illuminer son visage parcheminé.
- Alors, que voyez-vous ?
Elle ouvrit lentement les yeux. En face d'elle, le Padishah Melki In Malhoufi était prostré sur un amas de coussins de satin aux couleurs chatoyantes.
- Répondez-moi ! Que voyez-vous ?
Le ton se voulait autoritaire mais la voix trahissait une angoisse pathétique.
- Rien de plus. Chabi, le soleil, la mort. Mes visions s’arrêtent là.
- Oh, par les Lunes ! Ma petite fille… elle ne peut pas mourir ! Elle ne doit pas mourir !
Il réprima un sanglot.
- Décris-moi encore ! Trouve des détails, je t'en supplie ! Il doit bien y avoir un moyen de la sauver !
- On ne peut pas tromper la mort, Votre Majesté.
Elle avait répondu au seigneur sur un ton d'un tranchant inéluctable. En d'autres temps, elle était venue pour la reine et ses deux aînés, annonçant leurs destins funestes sans pour autant être écoutée. Depuis ses dernières prédictions, Melki voyait en son oracle le dernier espoir de sauver Chabi.
- Cherche encore, concentre-toi !
- Comme vous voudrez, Votre Majesté.
Les paupières closes, elle ouvrit son œil intérieur et de son esprit jaillit les visions éphémères pénétrées des vapeurs de qanfasa. Les entrevues nocturnes se répétaient et les présages restaient identiques. Melki était obstiné et souhaitait tous les détails de ces rêves éveillés. Mais la voyante était formelle et concluait toujours par les mêmes mots :
"Personne ne peut tromper la mort."
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