Akh Qidyis (Partie 2)

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La journée passa dans un inconfort total. Kalaar rêvait de pouvoir s'étirer, du fond de sa barrique tout juste assez grande pour elle. Elle arriverait probablement le lendemain. Tant mieux. Si la faim l'avait laissée en paix, oubliée dans le creux de son ventre, la soif se faisait sentir âprement. Ses maigres réserves d'eau avaient rapidement été bues, tentant en vain de calmer le feu dans sa gorge. La respiration rendue sifflante par l'explosion de la veille, la Ligresse dut se faire violence pour ne pas tousser.

La fraîcheur du soir s'installa sur les eaux calmes. Le cri des oiseaux côtiers s'était tu et seul le clapotis contre l'étrave signait la présence de la mer autour d'eux. La Ligresse aurait payé cher pour un bon bain, s'ébattre dans les hautes herbes et relâcher son Ori. Mais plus urgent, sa jambe blessée la faisait souffrir, repliée dans cet espace étroit. Elle décida de sortir à découvert, quitte à en profiter pour trouver de quoi se contenter la gorge et l'estomac.

Par la bonde, elle ne vit rien. Elle dut ouvrir le couvercle pour entrapercevoir la bâche recouvrant la cargaison de barriques. Elle profita de l'espace entre deux fûts et s'y engouffra. Elle arriva à l'arrière du navire, une feluka, et l'air frais lui fouetta le visage. L'équipage, deux ou trois hommes d'après les voix qu'elle parvenait à entendre, discutait paisiblement sur le pont à l'avant. Ils ne la voyaient pas et ne s'y attendaient certainement pas. L'odeur de la combustion de l'herbe à pipe embauma, un des rares goûts qu'elle avait en commun avec les hommes, même si l'herbe qu'elle préférait était plus difficile à dénicher que ce tabac blond. Une pipe à eau ghelyan avec de l'herbe des versants du Tjeb Klimazhad, bercé par le vent salé nocturne, quel délice cela aurait été !

Perchée au-dessus du safran, elle rêvassait en regardant les vagues de poupe s'éloigner du bateau. L'horizon noirci l'apaisait. Pas une lumière, pas la moindre lueur d'une cité en vue.

Sa solitude fut brisée lorsqu'un frisson la parcourut. Elle se retourna, rien à tribord, ni à bâbord. Pourtant, quelque chose n'allait pas. Les éclats de rires sur la feluka l'empêchèrent de se concentrer. Elle tourna à nouveau la tête. Le bruit de vagues lui revenait, porté par un étrange écho. La côte était pourtant loin. Impossible que des récifs en soient si éloignés. Ses pupilles dilatées par l'absence de lumière discernèrent une forme mouvante sur les flots. Une silhouette rapide, fendant l'eau et gagnant du terrain sur eux. Une dahabeya. Le navire de guerre léger remontait du sud vers le nord. Les doubles voiles et les avirons lui conféraient une vitesse impossible à surpasser pour le petit bateau marchand...

Comme par hasard, encore une fois ?

Kalaar tenta de se rassurer, mais les marins à bord prirent peur quand le bâtiment s'approcha. Elle se tassa sur elle-même. La dahabeya était très rapide, donc peu chargée. Un convoi vide ? Étrange.

Un autre écho lui revenait. Du nord. Elle scruta les ténèbres et son espoir s'évanouit. Un autre navire de guerre descendait vers eux. Moins leste. Rempli d'hommes en armes. L'hypothèse de la coïncidence parut de plus en plus farfelue.

La manœuvre de l'équipage de la feluka fut tardif et lent. Poussant au mieux les capacités de leur modeste embarcation, les marins ne purent davantage tirer profit de leur avance. Les bâtiments militaires les rejoignirent aisément. Alors que la nef venue du sud leur coupa la route, une voix s'éleva depuis le nord.

  • Veuillez jeter l'ancre ! La garde royale va procéder à l'inspection de votre navire ! Obtempérez et aucun mal ne vous sera fait !

Kalaar ne pouvait fuir. Elle craignait l'eau car elle ne savait pas nager. Impossible de partir sans se noyer, la côte était trop éloignée. Elle dut se résoudre à retourner dans sa barrique en espérant que les gardes ne fassent pas trop de zèle. Pourquoi deux navires de guerre pour un simple bateau marchand ? Elle referma le couvercle de la barrique alors qu'une passerelle était jetée.

Des pas sonnèrent sur le plancher du pont et le dialogue s'engagea entre les deux équipages.

  • Mais qu'est-ce que vous voulez ? s'inquiéta un matelot. Nous devons livrer notre cargaison avant demain soir à Besme !
  • Vous n'irez nulle part ! tonna une voix sévère. Votre cargaison doit être inspectée, par ordre de sa majesté royale le Padishah Melki In Malhoufi. Donnez-moi votre registre de marchandises sur-le-champ !

Kalaar entendit la marche pressée d'hommes, puis un cahier dont les pages étaient froissées.

  • Une cargaison d'huile. Ce doit être eux.
  • Mais enfin, vous allez nous dire ce qu'il se passe !
  • Vous êtes soupçonnés d'être impliqués dans le transport illégal de personne recherchée par la garde royale de Kuvalzum.
  • C'est impossible, tout est en règle !
  • Nous allons le voir par nous-mêmes ! Soldats, inspection !

Des lames découpaient et déchiraient le tissu, découvrant la cargaison. Kalaar était prête à bondir pour défendre sa vie. Elle entendait le couvercle des barriques être forcés, puis ouverts, l'un après l'autre. D'un coup, l'opercule de son tonneau s'ouvrit et trois hommes en armes l'accueillirent toutes lames sorties. Elle se jeta sur le premier qui tomba à la renverse, pris au dépourvu. Trois autres lanciers se ruèrent sur elle alors qu'elle s'élançait vers la proue. Le capitaine des gardes lui-même lui coupa le passage, l'envoyant au tapis d'un adroit croc-en-jambe. Les armes se pointèrent vers son visage et elle ne put plus faire un geste.

  • Regardez qui voilà ! La Ligresse à la tache étoilée ! Kalaar du clan Bir'Talis, vous êtes en état d'arrestation pour vol, recel, meurtre et terrorisme, lança le capitaine de la garde. Vous allez être conduite à Kuvalzum pour y être jugée par le Tribunal des Lunes et du Soleil. Puissent les Dieux avoir pitié de vous.
  • Et vous, maudits sans-griffes ? cria Kalaar. Vous, les tueurs d'enfants et de vieillards ? Quand obtiendrai-je vengeance pour ma famille et mon peuple ?
  • Bâillonnez-la et mettez-la aux fers. Sous bonne garde. Nous retournons à Kuvalzum. Tuez les autres.

Dans la stupeur de l'équipage marchand, une volée de flèches fut tirée de la dahabeya. Trois hommes s'écroulèrent inertes sur le pont de la feluka. Les soldats balancèrent les cadavres à la mer et laissèrent le navire dériver à l'abandon. Kalaar fut mise à fond de cale sous escorte, tandis que l'embarcation effectuait demi-tour sur les eaux noires de l'Akh Qidyis.

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