Khamkhedet-maz-Kuvalzum (Partie 2)

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Les portes se refermèrent derrière eux. La salle du trône était aussi imposante qu'elle était vide, servant principalement pour les grandes cérémonies où toute la Cour pouvait rentrer. Le sol aux dalles couleur lapis-lazuli, pareil à un océan tranquille, était réhaussé par un long tapis dessinant un chemin de grenat et d'or. La myrrhe et l'encens parfumaient l'atmosphère, leurs brumes montaient au sommet des colonnes et se perdaient sous un dôme laiteux d'où tombaient en franges des soieries colorées. Alors qu'ils s'avançaient, le capitaine Fahri s'éclipsa par un corridor latéral et rejoignit une troupe de soldats.

Au milieu de cette mer minérale, sur un piédestal de marbre blanc, dominait le trône du Padishah. Hefsa In Abat, le grand Vizir de Kuvalzum, était assis sur les marches y menant. Ashka se rapprocha et remarqua son attitude inquiète. Dans sa grande robe d'apparat de soie noire et azurée, son nez crochu lui donnait l'allure d'une sinistre corneille.

À l'approche des Six, il leva la main sèchement. Il affichait des traits cernés et des yeux rougis.

  • Haut-Conseil, commença le Vizir. Je vous ai mandé pour vous faire part de bien mauvaises nouvelles.

Il parut à bout de souffle à dire ces quelques mots. Les conseillers attendirent dans l'appréhension.

  • Comme vous le savez, depuis la disparition de notre bien-aimée Shahbanu Sabina, le Padishah vous a délégué une partie des charges qui lui incombaient. Et il vous en remercie.

Sa voix était chevrotante. Il paraissait avoir pris vingt ans en quelques années.

  • Mais la mort du prince Morwa et celle de la princesse Saifa, ses enfants chéris, qui sont survenues au printemps de leur vie sont pour lui des tragédies d'une cruauté insoutenable.

Ashka retint un soupir. Malgré la sympathie qu'elle avait pour le souverain, elle ne pouvait plus supporter ce genre de larmoiements. Ces discours viraient inéluctablement vers le pathos. Porter le deuil était une chose. Remuer le couteau dans la plaie en était une autre.

  • Le Padishah est grandement abattu. Aussi cruel soit-il, le mauvais sort a également jeté son dévolu sur sa petite princesse, Chabi.

Les conseillers murmurèrent autour d'Ashka. Elle attendit la suite.

  • Une malédiction ronge Chabi depuis déjà quelques semaines et j'ai du moi-même prendre des mesures pour la cloîtrer dans ses appartements afin de la protéger.
  • Une malédiction, grand Vizir ? demanda le conseiller Talifa. Mais pourquoi nous avoir laissé dans l'ignorance d'une telle chose ? Nous aurions pu...
  • Silence ! coupa Hefsa. Pas trop fort ! Nous ignorons tout de l'origne de cette obscure magie. J'ai déjà dû me persuader qu'elle ne provenait pas de vous.

Le Vizir était agité et confus. Il transpirait à grosses gouttes malgré la fraîcheur persistante.

  • Des guérisseurs ont cherché à travers tout le Rajahai un remède. En désespoir de cause, le Padishah a décidé que la princesse reste aux soins de sa guérisseuse personnelle, continua-t-il. Ce n'est qu'une affaire de temps avant que tout Menmerun ne soit au courant.

Les Shahs des royaumes de la province lorgnaient depuis trop longtemps le pouvoir de Kuvalzum. Ils étaient pertinemment au courant de son déclin. Si la dernière héritière venait à périr, le Padishah n'aurait plus de descendance et les lois du Rajahai l'obligerait à désigner un successeur parmi les seigneurs voisins.

  • Sa chair se détruit lentement, affirma le Vizir. Les onguents prodigués ne font que ralentir le processus et alléger sa souffrance. Mais Toumim soit louée, le remède est à notre portée. Enfin, à votre portée.

Un bruit de talons résonna alors sur le dallage. Un homme de haute stature avançait d'un air guindé vers les Six, un long bâton d'albâtre à la main.

  • Haut-Conseil, voici venir Izmeer In Raafi, dernier membre vivant de la famille royale de Nekhnesiris. En plus d'être un sage et un talentueux magicien, il va de soi.
  • Nekhnesiris, la cité maudite ? s'interposa la conseillère Malduka. Grand Vizir, vous n'y pensez pas !
  • Je crains de ne pas avoir le choix. L'Oraculaire me l'a affirmé, la seule solution repose dans les ruines de son palais, au cœur du désert. Il s'agit d'un objet béni, le Soleil Ancien, que vous devrez trouver.

Elle comprit l'enchaînement des faits et ce qui allait en découler. La seule inconnue était l'Oraculaire. Qui était le trameur qui prodiguait ces conseils alors même que les consultations du Padishah à l'extérieur du palais avaient cessé ? Et quelle était la teneur de ces conseils ?

  • Enchanté, conseillers, déclara Izmeer d'une voix suave. Je serai celui qui ouvrira les portes de la cité, si toutefois nous parvenons à la retrouver.

Tous le dévisagèrent avec défiance. Nekhnesiris, cité du Premier Empire Jahad d'Il Bahad, siège de la démence d'un despote et de la tyrannie d'un peuple esclavagiste et conquérant, fut victime de sa propre folie et lorsque les sables du Dhazzem la dévorèrent et l'égarèrent dans la mémoire du temps. Nul n'en avait jamais retrouvé la moindre trace. Et nul n'avait jamais eu la folie d'essayer.

  • Quel est cet artéfact, seigneur ? Et quel est son pouvoir ? demanda Malduka.
  • D'après les visions de l'Oraculaire, il a le pouvoir de purifier les corps des sanies et des imperfections. Grâce aux incantations des devins, il pourra sauver la princesse Chabi, à condition de le retrouver à temps.
  • Pourrait-on au moins connaître la teneur de cette vision ? s'indigna le conseiller Murdus.

Le capitaine Fahri, à la tête du groupe de cinq soldats, rejoignit alors la salle du trône, traînant derrière lui une prisonnière. Ashka la regarda s'avancer, entravée mais néanmoins droite et fière. Une Ligresse au pelage beige et roux, dont l'Ori à la lueur bleutée voletait innocemment auprès d'elle.

  • Ces détails ne concernent que le Padishah et de ce fait vous sont tenus secrets. Les visions ont montré le Soleil Ancien reposant à Nekhnesiris, cette Ligresse possédant une étoile nacrée sur le front, ainsi que l'héritier des rois de la cité maudite.

Les soldats défirent le bâillon de leur prisonnière, qui feula de colère.

  • Voici Kalaar du clan Bir'Talis, continua Hefsa. Il s'agit une criminelle notoire connue depuis longtemps de nos gardes, particulièrement douée pour l'évasion et la seule à notre connaissance à avoir survécu dans le désert en vivant parmi Ceux-qui-courent-sur-les-Dunes durant des années. Ses connaissances nous seront très utiles pour trouver des indices sur l'itinéraire menant à la cité.
  • Donnez-moi une seule bonne raison de vous aider, Jahad ! cracha Kalaar.

Un soldat lui donna un rude coup de poing derrière la tête qui la fit tomber à genoux.

  • Il suffit ! intima le Vizir dans un soudain accès de fureur. Vos méfaits salissent le royaume depuis trop longtemps. Vos agissements s'arrêtent ici désormais. Je vous offre un sauf-conduit pour vivre normalement dans la province, si vous obtempérez.

Ashka contempla la Ligresse avec attention. Jamais elle n'en avait vu d'aussi près. Elle fut prise de pitié devant cette créature, mise à mal et humiliée de la sorte.

  • Et si vous étiez tentée de vous enfuir pendant l'expédition, ajouta Hefsa, n'oubliez pas qu'il reste des membres de votre clan parmi les mineurs de Marhkun.
  • Vous mentez ! siffla-t-elle.
  • Silence ! Je pourrais envisager de les tuer, ou de les libérer, si votre mission est une réussite.

La Ligresse plissa les yeux, puis émit un grognement sourd.

  • Je vous ferai tenir votre parole, susurra-t-elle. Imae m'en soit témoin.
  • Seigneur, quelle est la raison de notre venue ici ? coupa le conseiller Remzi. Avec mon infini respect, Votre Altesse, vous semblez déjà avoir tout planifié et prit votre décision. De quelle utilité sommes-nous ?
  • Les Six doivent décider qui est le plus apte d'entre eux à superviser l'opération. Je suis trop occupé moi-même pour faire office de guide.

Et voilà. Gros comme le nez au milieu de la figure. Ashka avait vu juste. Il fallait un représentant de l'autorité royale dans l'expédition. Et si possible quelqu'un qui avait vécu à l'extérieur du palais et qui avait de l'expérience dans le maniement des armes. Quelqu'un de débrouillard et d'adaptable. Au vu des cinq autres conseillers, elle n'eut guère de doutes : Remzi souffrait de la chaleur et des longs déplacements, Malduka était malade et âgée, Talifa et Murdus étaient à la tête de compagnies marchandes dont les affaires péricliteraient sans leur dirigeant. Quant à Hanif, il était bien trop utile pour lustrer les babouches du Padishah et s'occuper de l'administration du palais. Le regard des conseillers convergèrent naturellement vers elle : Ashka Bin Salaad, l'Evaylienne adoptée, l'ancienne pirate repentie, l'aventurière à la retraite.

  • J'irai, grand Vizir, soupira-t-elle. Laissez-moi juste le temps d'organiser les préparatifs et nous aurons trouvé votre cité dans le désert avant la fin du mois.
  • Je n'en attendais pas moins de vous, conseillère Ashka, sourit faiblement Hefsa. Votre dévouement est un exemple pour nous tous ici. Vous aurez tous les moyens dont vous aurez besoin, dans la mesure du possible et du raisonnable, bien sûr.
  • Suis-je seulement en mesure de refuser ?
  • Pas si vous tenez à la vie, conseillère. Si vous décidez de vous soustraire à votre devoir, je considèrerais cela comme un acte de haute trahison envers le Padishah, avec les conséquences douloureuses que vous connaissez.

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