Khamkhedet-maz-Kuvalzum (Partie 3)

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Ashka rédigeait nerveusement une lettre d'instructions pour l'enquêteur Kobi. Elle lui intimait de rédiger des rapports aussi souvent que possible et de se renseigner avec prudence sur le trameur que consultait le Padishah. Reposant son porte-plume, elle leva la tête. Le reste du Haut-Conseil et le capitaine Fahri attendaient ses instructions.

  • Conseillers, merci de bien vouloir prendre congé, ordonna-t-elle. Vos affaires requièrent vraisemblablement votre présence séance tenante.

Elle bouillait d'une rage froide. Un monarque déconfit, des conseillers inaptes, une aventure grotesque. C'en était trop. Fahri ôta les menottes et les chaînes de la Ligresse avec prudence. Celle-ci lui jeta un regard haineux en se massant les poignets. Pour toute réponse, il lui tendit un flacon de verre lumineux qu'elle glissa sous son gilet.

Seul Izmeer paraissait à son aise. Regardant avec intérêt la collection d'armes d'Ashka, il flânait dans le bureau de la conseillère comme une abeille butineuse. Alors que le capitaine et les cinq autres conseillers disparurent dans l'embrasure de la porte, il saisit et parcourut avec avidité un ouvrage traitant des territoires pirates à l'ouest d'Harkara.

  • Je ne vous gêne pas trop ? lui demanda Ashka avec agacement.
  • Oh ! Pardonnez-moi. Je n'ai pas pu m'empêcher de voir que vous aviez une magnifique collection. Des armes et des livres, êtes-vous une sorte de guerrière érudite ?

Elle ignora la question et enchaîna :

  • Puisque nous allons devoir collaborer tous les trois, je suggère que nous nous présentions. Je suis Ashka Bin Salaad, conseillère au service du Padishah depuis bientôt dix années.
  • Dix années à caresser les rats dans le sens du poil, maugréa Kalaar. Alors que tu n'es même pas d'ici. Des peaux pâles comme la tienne, j'en ai rarement vu.
  • Je suis Evaylienne, Ligresse, riposta Ashka. Je te conseille d'adopter un ton plus respectueux à mon encontre si tu ne veux pas retourner dans ta cage.
  • Je suis Kalaar, sans-griffe. Les larbins des Jahads n'ont pas droit à mon respect, autant t'y habituer. Tu peux me demander de me taire, mais tu n'auras aucun égard.

Izmeer se racla la gorge.

  • Eh bien, eh bien. Quel préambule chaleureux ! s'amusa-t-il. Puisque vous vous bousculez pour me le demander, je vais aussi me présenter. Izmeer In Raafi, pour vous servir ! Élève de l'école de magie de Saalirraz et lointain descendant d'une branche de la famille royale de Nekhnesiris. J'ai longtemps cherché la trace de l'antique cité, comme mes prédécesseurs.

Les deux femmes ne l'écoutaient que d'une oreille. Elles se fustigeaient mutuellement d'un regard aiguisé par la méfiance.

  • Si c'est le prix pour avoir la paix, je vous conduirai à ceux qui connaissent les secrets du désert, lança Kalaar. Nous irons à Nekhnesiris, trouverons l'objet et reviendrons. Plus vite nous en aurons fini avec cette histoire, plus vite je pourrais partir d'ici.
  • Au moins là-dessus, nous sommes d'accord, trancha Ashka. Toutefois, si vous avez besoin de quelque chose avant de partir, faites-le-moi savoir.
  • Dagues, dards, poudre aveuglante, commanda la Ligresse. Et si vous aviez des capes tegelmoust majaghanes pour nous trois, ce serait un avantage.
  • Oh oui ! J'ai toujours rêvé d'en porter ! s'enjoua Izmeer. Je suis sûr que cela m'irait à ravir !
  • Nous n'allons pas nous pavaner devant des noblaillons, Jahad. Nous allons affronter le Dhazzem.

Kalaar l'avait choqué par son ton acerbe. Un instant décontenancé, il se reprit et lui répondit :

  • Je vous en prie, appelez-moi Izmeer.

Il tendit la main. La Ligresse la regarda puis dévisagea le Jahad. Elle n'en avait jamais vu de tel. Jeune mais déjà marqué par le soleil et le temps, le visage bronzé et tanné, les traits empreints d'une élégance sophistiquée. Une moustache soigneusement taillée, une barbiche coupée en pointe ornée d'un anneau d'argent et un saphir sur l'oreille droite donnaient à ce Jahad une prestance que peu de membres de la Cour possédaient. Sa robe de coton satinée aux couleurs voyantes d'azur et de carmin ainsi que ses nombreuses bagues et bracelets donnaient écho au raffinement suranné qu'il affichait. En outre, il portait au front le bandeau des mages, bande d'étoffe noire dans laquelle un Éclat de Tellure était enchâssé.

  • Nous allons chercher tout ce dont vous avez besoin auprès de l'Intendance, proposa Ashka. Et vous, Izmeer, avez-vous besoin de quelque chose en particulier ?
  • Je n'ai que mon esprit et ma magie à votre service, lui répondit-il. Malgré cela, je ne serai pas contre un moyen de transport confortable, bien sûr !
  • Nous verrons cela en temps voulu. Suivez-moi.

L'Intendance était un long bâtiment jouxtant son office. Servant à la fois de magasin pour le personnel militaire et de dispensaire pour les serviteurs royaux, il était doté de quelques rayons de manuscrits de tactique militaire et de médecine. Kalaar se dirigea immédiatement vers l'armurerie et y prit tout le matériel qu'elle jugea nécessaire : deux dagues billaos majaghanes, dont elle plaça les fourreaux sur chacune de ses cuisses puis enfila un gilet de cuir brun et des chausses larges en lin. Ne trouvant pas de dards ni de fumigène, elle s'empara d'une fronde et d'un sac de billes de plomb.

"Toujours estimer le danger à distance. L'achever d'un seul coup une fois à portée." Elle se rappela la leçon de son père sur les berges des oueds cachés, après les grandes pluies printanières, alors que la nature renaissait autour d'eux. Elle ne devait avoir que quelques années, mais savait déjà manier la lame avec férocité contre les prédateurs. Jamais elle n'aurait pensé un jour avoir à la retourner contre les sans-griffes. Jamais elle n'aurait envisagé changer à ce point, de n'être animée que de cela, sinon du souvenir de l'amour de sa famille.

  • Kalaar ! tonna Ashka.

La Ligresse sursauta.

  • Voilà ton tegelmoust. Si tu as ce qu'il te faut, nous partons sur l'heure.

Kalaar prit l'étoffe d'un geste sec. Le manteau du désert était d'un coton vert foncé, la teinte la plus répandue des tissus majaghans.

  • Où est le Jahad ? répliqua-t-elle.
  • Il s'appelle Izmeer, rappela Ashka d'un ton ferme.

Kalaar la toisa. Elle s'était changée. Délaissant ses habits de la Cour pour endosser un habit plus utilitaire : une broigne de cuir cloutée, des bottines de marche et le traditionnel poignard jambiya des Jahads à la ceinture. Sur sa hanche, attaché à un baudrier de cuir noir, pendait le fourreau richement décoré d'un sabre yatagan.

  • Une lame pirate ? demanda-t-elle à l'Evaylienne en désignant son arme.
  • Sache que si je devais la dégainer, alors nous serions en très mauvaise posture.

Elle avait coiffé ses cheveux en une épaisse tresse ramenée sur son épaule. Kalaar détailla son visage avec plus d'attention. Ce regard d'émeraude la dérangeait, sans savoir si c'était de l'émoi ou de la peur. Son visage d'ivoire était fin et ses traits étrangement beaux. Sa haute taille et sa silhouette élancée lui donnait plus une allure d'exploratrice que de conseillère royale.

Ashka perçut son hésitation. Elle alla s'expliquer quand Izmeer revint du fond de l'Intendance en s'écriant :

  • Ne vous en faites pas pour moi, je n'ai besoin de rien de plus que ce que je ne possède déjà ! J'ai posé la question aux domestiques, je crois que vous avez des dromadaires dans les écuries, non ? Il nous en faudra au moins quatre, je pense.

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