Registre des enquêtes internes, page 126

5 minutes de lecture

Enquêteur Kobi In Malaiq, garde royale de Kuvalzum

Troisième Diuje de Tonnerys, année 1212 de l'Arche de Torn

L'enquête piétine. Cinquième cadavre sur les bras. Après Rahabim, trameur retrouvé la nuque brisée lors d'une chute dans un escalier, au tour de Thout, ancienne trameuse, asphyxiée dans son sommeil par un feu mal éteint.

L'Oraculaire est terrifiée, et n'ose plus sortir de ses quartiers. Je les comprends.

J'ai pu assister à une autre rencontre publique du Padishah avec des hauts dignitaires de Lil Ahtur. La rencontre était froide et hostile. Des menaces à peine voilées auxquelles ne répondaient même pas le seigneur, tant il était amorphe. Quelques jours auparavant, le Shah d'Edsai était venu pour le même motif, et ses palabres avaient tourné court quand il avisa l'état du monarque. Je crains que quelque chose de terrible ne s'ourdisse derrière leurs politesses de convenance.

À chaque rencontre, je sentais les yeux d'Hila, la mystérieuse trameuse privée du Padishah, se poser sur l'assemblée. Je surprenais toujours un rideau agité ou une ombre dans un courant d'air derrière moi. Cette garce doit savoir quelque chose. Il me faut absolument l'approcher et la questionner.

Troisième Viden de Tonnerys, année 1212 de l'Arche de Torn

J'ai pu surprendre la trameuse Hila se déplacer dans les couloirs menant à l'aile de l'Oraculaire. Au détour d'un couloir, je suis tombé par hasard nez à nez avec elle, en plein cœur de la nuit – il faut dire que cette enquête me donne nombre d'insomnies – lors d'une ronde improvisée.

Elle n'a pas eu l'air surprise. Je lui ai posé toutes les questions restées en suspens, mais elle est restée muette comme une carpe, à me toiser d'un air de défi. Elle avait les cheveux noirs corneille, comme ses yeux. Une taille étrangement petite pour une Jahad. Elle a levé la main en signe d'apaisement – du moins c'est ce que j'ai cru – et ma vision s'est brouillée. J'ai tenté de l'agripper mais mes doigts ne se sont refermés que sur son foulard. Je suis resté aveugle l'espace de quelques instants et lorsque j'ai repris mes esprits, elle avait bien évidemment disparu. J'ai questionné les gardes du palais, mais ils n'avaient rien vu et rien entendu. C'est à se demander à quoi ils peuvent servir.

Elle est la clé, c'est une certitude.

Troisième Sidam de Tonnerys, année 1212 de l'Arche de Torn

Le foulard trouvé hier s'est avéré utile. Trois cheveux retrouvés dedans et confiés à l'alchimiste ont établi deux faits intéressants.

En premier lieu, ce sont des cheveux teints à la galène. C'est donc Hila qui s'est servie dans les réserves de l'Intendance. Elle se déguise.

Le fait suivant – et sans doute le plus singulier – est que cette teinture masquait une couleur de cheveux grise typique des Majaghans. Or il n'y a pas de Majaghans au sein de l'Oraculaire. Hila est donc une intruse. Ce qui fait peser d'autant plus lourdement les soupçons quant à sa responsabilité dans les accidents survenus aux autres trameurs.

Est-elle seulement trameuse, d'ailleurs ? Je suis revenu auprès de l'Oraculaire me renseigner davantage à son sujet. Ces idiots me soupçonnent d'être complice des accidents qui frappent les leurs. Pas moyen de leur faire entendre raison. Les seules indications sur cette dénommée Hila que j'ai pu leur arracher sont bien maigres : elle officie depuis sept ans, et est d'une nature plutôt discrète. Ces derniers mois elle s'est rapprochée du Padishah personnellement, et ses prédictions ont peu à peu éclipsé celles des autres trameurs. D'habitude une divination est toujours contrebalancée par les autres trameurs, pour en tempérer et en moduler certains aspects. Hila ne souhaitait pas avoir d'avis des autres trameurs et s'est curieusement fermée à toute discussion de ses augures.

Il me faut savoir pourquoi. Car Majaghane ou pas, le Padishah ne me laissera l'incriminer qu'avec des éléments sûrs.

Troisième Chane de Tonnerys, année 1212 de l'Arche de Torn

Tant pis, j'ai tenté le tout pour le tout. J'ai attendu sous la colonnade des appartements du Padishah que la quotidienne cascade de fumée de qanfasa fasse son apparition, signe que Hila conversait avec le seigneur.

Avec grappin et corde, j'ai escaladé la fenêtre de la loge de la trameuse. Ce que j'ai trouvé ne m'a pas plu du tout. Une grosse quantité de qanfasa stockée. De la galène, bien entendu.

Et le plus dérangeant, cette obsession qu'elle a pour les chats. Il y en a des statuettes dans tous les coins. Toutes noires. Leur omniprésence me donnait un profond malaise. Comme si elles me regardaient d'un œil mauvais.

J'ai inspecté le reste de la chambre. J'ai trouvé un bijou étrange, une broche de bois et de topaze, représentant Netli, l'étoile du sud. C'est bien évidemment une breloque majaghane. Une inscription est gravée derrière, mais ce n'est pas du langage jahad. Je l'ai relevée le plus précisément possible et j'ai reposé le bibelot.

Je suis ressorti rapidement après avoir constaté qu'un gros chat noir – vivant, celui-là, bien que j'ignore vraiment où il était caché pendant tout ce temps – me regardait avec insistance de son regard d'ambre, perché sur une étagère garnie de flacons vides. Au moindre mouvement brusque, il en aurait provoqué la chute, et le bruit aurait révéler ma présence.

Dans la descente du balcon, je le vis à nouveau me regarder depuis son perchoir. Tant son attention me paraissait malveillante, j'aurai juré qu'il aurait décroché mon grappin pendant mon évasion s'il en avait eu la possibilité.

Troisième Lokar de Tonnerys, année 1212 de l'Arche de Torn

Comme je m'y attendais, l'inscription relevée est du langage majaghan, m'a affirmé l'alchimiste. Il ne peut néanmoins pas la traduire, alors j'ai dû sortir dans les bas-fonds de Kuvalzum trouver un Majaghan qui veuille bien m'aider. Sur le marché, un bédouin du nom de Sabil s'est montré coopératif contre l'achat de quelques-unes de ses marchandises. Il m'a regardé avec un drôle d'air quand il m'a révélé sa réponse. Il a refusé d'en dire plus.

"Zari". C'est donc un nom qui est écrit. Le nom du ou de la propriétaire du bijou ? Un nom à consonnance majaghane, encore une fois. Je ne connais personne de ce nom. Je suis retourné en vitesse au palais, pour visiter les archives.

Rien aux archives royales. J'ai fouillé parmi les registres de la garde, rien. Rien non plus dans les carnets de l'Oraculaire, bien entendu. En désespoir de cause, je suis revenu dans l'aile des investigations internes. Vu le nombre de dossiers à éplucher, je pense en avoir pour un certain temps. Ma douce Jahira comprendra, je dois trouver quelque chose. Je sais que j'approche du but.

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