Tabili (Partie 2)

5 minutes de lecture

La caravane était en plein préparatifs pour le départ alors qu'ils arrivèrent : une longue cohorte d'une quinzaine de dromadaires venant de l'ouest, composés de Jahads au tegelmoust orangé. La femme majaghane leur servant de guide mit pied à terre en avance de son convoi, et se précipita vers la tente du qadim. Son empressement trahit une gêne, une certaine honte dissimulée. L'ancien l'accueillit comme il se devait, mais elle ne fit pas grand cas de son amabilité, et revint prestement auprès de ceux qu'elle avait dirigés dans le Dhazzem, comme animée du l'impérieux devoir de les surveiller avec attention. Sa crainte se révéla légitime lorsque l'un d'entre eux quitta son mantel bédouin. Le cœur de Kalaar se serra quand elle aperçut l'Aspic de Fer frappé sur le bracelet de cuir.

Tous enlevèrent leur cape, et s'ébrouèrent bruyamment. La tribu Telledim vint leur souhaiter la bienvenue, mais elle ne reçut que des rires gras, des moqueries et des insultes en retour. Les mercenaires n'avaient visiblement pas besoin de s'encombrer de ce genre de coutume stupide, ni d'une hospitalité dont ils n'avaient que faire. Leurs provisions étaient suffisamment importantes pour se priver d'un partage de repas avec leurs hôtes.

Ashka revint précipitamment vers Kalaar, dont elle avait perçu le malaise. La Ligresse s'était statufiée aux pieds de sa monture. Son tegelmoust vert n'était pas encore enfilé et la féline attirait les regards, malveillants pour la plupart. D'autres œillades plus libidineuses visèrent Ashka.

  • Viens Kalaar, murmura l'Evaylienne. Ne restons pas plantées là.

Mais Kalaar n'écoutait pas. La bouche entrouverte, son Ori d'un bleu foncé sur l'épaule, la main crispée sur la poignée de sa dague, tout son visage était contracté de colère et de haine. Elle fixait un homme resté en retrait. Un Jahad au crâne rasé, arborant une longue cicatrice lui barrant le front. Un homme à la carrure plus massive encore lui faisait une tape dans le dos.

  • Kalaar, réponds-moi ! insista Ashka. Qui est-ce ?

Elle prit la Ligresse par les épaules, s'interposant entre elle et sa cible. Kalaar cilla un instant.

  • C'est... ce sont eux, balbutia-t-elle. Eux. Deux d'entre eux étaient présents, ce jour-là.
  • Tu es sûre ? Tu es certaine que ce sont eux ?

Kalaar foudroya Ashka de ses prunelles dorées. Oui, elle n'avait aucun doute. L'homme à la cicatrice. C'était lui. Lui qui avait tenu sa tête pour contempler l'horreur. Lui qui l'avait forcée à regarder son mari être assassiné, à voir ses enfants se noyer. Lui qui l'avait empêchée de les secourir. L'autre avait ordonné leur mort. Sa vision se resserra sur ces hommes, à tel point qu'elle ne discerna plus rien d'autre. Ni la lumière du soleil couchant, ni les paroles d'Ashka, ni la caresse du vent dans les tresses de ses cheveux.

Le départ était prévu pour le début de la nuit. Le ciel allait abriter deux lunes gibbeuses, Lok et Imae, et leur lueur permettrait d'avancer sans danger. Un festin allait être donné pour l'occasion. Beaucoup d'amitiés avaient été nouées entre les membres de la caravane de Hadj et les Telledim. Même Tabib le marchand était triste de devoir quitter l'oasis.

Bien que les Aspics de Fer aient été conviés au repas, ils ne partagèrent pas les libations avec les autres, préférant leurs propres rations aux plats communs. Plusieurs fois, hommes et femmes des Telledim vinrent vers eux pour leur proposer plats et boissons, mais ils se firent rabrouer sèchement. Chaque tentative infructueuse de les inclure aux festivités ajoutait de la tension dans l'assemblée. Gênée, la guide majaghane ne savait quoi faire, se contentant de rester la plus discrète possible.

Quand Tafna voulut faire preuve à son tour de bienséance, un mercenaire lui prit le poignet et l'attira à lui grossièrement, entouré de rires et de plaisanteries graveleuses. Izmeer se leva, outré, et se dirigea vers eux.

  • Ça suffit ! cria-t-il d'une voix tremblante. Vous n'avez donc aucune tenue ? Vous leur crachez au visage alors qu'ils vous accueillent à bras ouverts !
  • Qu'est-ce qu'il a, l'emplumé ? railla celui qui semblait être le chef des Aspics de Fer. T'es presque plus mignonne qu'elle dis donc !
  • Mais c'est qu'elle est en colère, la p'tite dame ! ricana un autre à côté.

Un troisième se leva et expédia à Izmeer un coup de poing dans le visage. Le mage tomba à genoux, la lèvre fendue. Tafna se précipita vers lui.

  • Sont-y pas mignons, ces deux-là !
  • Elle m'a donné faim, la p'tite ! J'en mangerai bien un bout !
  • Eh, partage un peu, c'est moi qui l'ai vue en premier !

Les gaudrioles de mauvais goût plurent, tandis qu'Izmeer et Tafna s'éloignaient avec une dignité en berne. Ashka avait assisté à la scène à sa place. Elle se tourna vers Kalaar à côté de qui elle dînait, mais la place de la Ligresse était vide.

  • Tu te souviens de moi ?

Ashka se braqua vers l'origine de la voix. Kalaar s'était éclipsée du repas et s'était rapprochée furtivement des brutes. Elle faisait face à son bourreau.

  • Tu veux quoi le chaton ? maugréa-t-il. Une caresse ? Retourne dans ta litière !
  • Tu te souviens du clan Bir'Talis sur les contreforts du Tjeb Klimazhad ? Tu te souviens de moi ? demanda encore Kalaar, la voix tranchante comme du métal.

L'homme à la cicatrice porta la main à sa lame. Son geste fut rapide comme l'éclair, la courbure de sa lame nue dévoilée refléta l'éclat des lunes. Le moulinet ample ne rencontra que le vide. Kalaar s'était accroupie, comme on comprime un ressort, puis se détendit d'un coup, se projetant sur son adversaire de toutes ses forces. Elle l'envoya rouler en contrebas de la butte où ils étaient installés, soulevant la poussière et couvrant leur visage de sable.

Il se redressèrent tous les deux, se faisant face. Une colère viscérale les animait. Alors que Kalaar tirait lentement de ses fourreaux les dagues billaos majaghanes, le lieutenant des Aspics de Fer avait fait entourer l'emplacement du duel par ses troupes.

  • T'as intérêt à crever de sa main, minette ! gueula-t-il. Je te garantis que tu vas le regretter sinon !
  • Plus un geste, où vous le regretterez vous aussi ! s'écria Ashka par derrière.

Elle avait dégainé son sabre yatagan et s'était avancée, défiant la menace. Dressée, magnifique et terrible, face à ces sauvages sans vergogne. Izmeer la rejoignit, ainsi que les guerriers des Telledim dont les sabres brillaient au clair des lunes.

  • Je vous propose un marché, mercenaire, reprit Ashka d'une voix forte. Laissez le duel se faire. Le premier hors de combat a perdu. Pas de mort.
  • Peuh ! Et sinon quoi ?
  • Sinon, aucun d'entre vous ne verra le jour, je vous en fait le serment devant les Déesses.

Annotations

Vous aimez lire Fidèle L. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0