Tabili (Partie 3)
Le lieutenant des Aspics de Fer se redressa.
- Allez, comme tu veux, la blondinette ! tonna-t-il. Mais c'est juste parce que je sais que la minette va se faire dépecer. Après qui sait... je pourrais m'occuper de la tienne !
Il fit une œillade à Ashka qui s'empourpra de colère. Les autres mercenaires encouragèrent leur camarade et scandèrent son nom : Fazar. Ils rompirent le cercle de duel, laissant la place au combat qui allait se dérouler. Chacun se dispersa dans la foule de Majaghans qui s'amassait en silence.
Kalaar fit face à son adversaire et le jaugea. Fazar – d'après les braiements de la foule – était dans la pleine force de l'âge. Il possédait l'avantage de la puissance et de la corpulence. Son agilité n'était pas négligeable non plus. Elle soupesa ses dagues, appréciant leur équilibre et leur poids, pendant que le combattant enchaînait les moulinets acrobatiques avec son cimeterre comme une provocation.
Avant qu'elle n'ait pu envisager une attaque, Fazar s'élança à sa rencontre. Quelques pas. Deux coups de taille obliques. Kalaar recula, parant une attaque et esquivant l'autre. Étincelles crépitantes de métal. Elle sauta de côté, se mit hors de portée. Pour l'atteindre, il lui faudrait pouvoir se rapprocher davantage, briser l'allonge du Jahad. Elle feinta une approche pour s'évader au dernier moment. La lame passa devant son visage, Kalaar plongea. Deux pointes en avant, prédateur aux dents d'acier. Ses assauts taillèrent le vide. La frustration céda la place à la douleur, quand le contre tranchant du cimeterre mordit son échine. Elle laissa échapper un feulement de colère, accueillit par les railleries des Aspics.
Fazar n'attendit pas. Il donna un coup de pied dans le sol, projetant du sable dans le visage de son opposante. Son tranchant fendit l'air, une, deux, trois fois. À chaque fois, la Ligresse se déroba. Le sang suintait dans son dos, balafre écarlate dans sa fourrure, brillante dans la lumière sélène. Elle essuya d'un revers de main le sable maculant son pelage. La diversion n'avait pas fonctionné. Dommage pour toi, pensa-t-elle. Dagues tenues vers le bas. Changement de tactique.
Au coup de taille suivant, Kalaar vint parer de sa lame, puis entoura de son bras libre les mains de son adversaire. Fazar fut coincé, mais rua comme un forcené. Il donna un vigoureux coup de genou à la Ligresse. Elle tint bon. Une estafilade apparut sur la joue du combattant, qui brailla de fureur. Trait rouge sur peau fragile. Il dégagea sa prise, lâcha son épée et décocha un uppercut à la féline. Elle recula en titubant, le souffle coupé. L'Aspic se jeta à terre dans une roulade souple. Il ramassa son épée et d'un balayage ample lui fendit le mollet.
Kalaar mit genou à terre en serrant les dents. Le sang bouillait dans ses veines. Une noire haine rétrécit sa vue. La déforma. Envahit tout son esprit. La lueur de son Ori se fit d'encre. Elle se cramponna lorsque ses lames continrent celle de son ennemi. Ce visage qu'elle a tant souhaité voir souffrir. Le détruire, morceau après morceau. Lui rendre la douleur qu'elle avait ressentie.
Son billao rebondit contre le cimeterre et vint entailler profondément un muscle. La grande lame courbe tomba à nouveau dans la poussière. Kalaar tournoya sur elle-même. Tempête d'acier et de fourrure, elle ouvrit une large plaie dans le flanc de Fazar, dont le sang inonda immédiatement les vêtements.
- Pour Adula ! vociféra-t-elle.
Un autre arc rougeoyant, dont la trajectoire se termina dans le bas-ventre.
- Pour Rasum ! hurla-t-elle à nouveau.
Fazar tomba à terre dans un râle d'agonie. Kalaar sourit de toutes ses dents, telle une prédatrice carnassière. La proie à sa merci. La vengeance à sa portée. Enfin. Des clameurs montaient derrière elle, mais elle n'y prêta pas attention. Ses deux lames, croisées en ciseaux sous la gorge transpirante. Alors que des mains allaient l'agripper, elle murmura :
- Pour Sarian.
Un geste sec. Un bruit de chairs et de tissus déchirés. Une bouche dessinée à coup de poignards, vomissant un magma rouge. Des lèvres qui s'agitèrent, susurrant des mots qui ne trouvèrent plus de souffle. Le sable s'assombrissant sous la marée chaude. Les lunes impassibles devant le spectacle.
Elle fut projetée en arrière alors que l'exultation était à son pinacle. Tout autour d'elle, une cohue de frappes assénées. Pieds, poings, coudes, genoux, ciblèrent son corps indolent. Une corde fut passée autour de son cou alors qu'elle reprit conscience. On allait la pendre. Le lieutenant beuglait tandis que les Majaghans avaient chargé les mercenaires. Ashka avec eux. Kalaar aperçut même Izmeer protéger le caravansérail abritant femmes et enfants, à l'aide de sa magie.
Des mains puissantes la hissèrent au-dessus du sol et le nœud se resserra. Elle commença à étouffer. Une silhouette tomba à ses pieds. Des cris s'élevèrent. La mêlée se transforma en chaos. Formes indistinctes, cris de chair et d'acier. Elle retomba brutalement au sol, rebondissant sur un corps trempé de sang. Un poignard s'approcha de sa gorge, et trancha d'un coup sec le lien lui coupant la respiration. Les premières bouffées d'air furent douloureuses, mais elle survivrait.
- Lève-toi, Kalaar ! ordonna une voix connue.
La Ligresse releva la tête, et examina Ashka, le sabre rougi, le visage enfiévré par la bataille. L'Evaylienne lui jeta ses deux dagues et accourut vers Izmeer. La féline se redressa en toussant, puis fila vers elle.
Hadj était en difficulté face au lieutenant des Aspics de Fer. De nombreuses blessures souillaient son tegelmoust déchiré. Alors qu'Ashka tenta de s'interposer entre eux, il la repoussa d'un cruel coup de pommeau lui entaillant l'épaule. Kalaar le défia alors.
- Toi ! rugit-il. Sale petite trainée ! Je vais t'apprendre à traiter avec les Aspics !
À peine rétablie de son précédent combat, elle se vit bondir sur le côté pour éviter le fendoir que lui asséna le combattant. Sa carrure lourde et imposante et son crâne tatoué lui donnait un air sauvage et menaçant. À l'instar du défunt Fazar, il maniait un redoutable cimeterre que Kalaar avait appris à craindre.
Elle n'était pas de taille à l'affronter. Ses assauts se brisaient sur une escrime trop bien rôdée et sur une technique de combat aguerrie. Une faille sembla pourtant apparaître dans ses parades. Mais les réflexes de Kalaar étaient élimés. L'espace d'un instant, elle hésita. L'épée s'abattit sur elle, et une de ses dagues s'arracha de ses mains. Elle perdit l'équilibre et tomba en avant. La mort l'emporterait au prochain coup. C'était inéluctable. Par instinct, elle barra la route au tranchant avec son poignard restant. Et ferma les yeux. Mais rien ne vint.
Le sabre tomba dans le sable. Les yeux trop clairs du lieutenant se figèrent. Il tomba comme une poupée de chiffon sur le côté, emportant dans sa chute le jambiya d'Ashka. La lame fichée entre ses omoplates.
Les deux mercenaires restants rendirent les armes, tandis qu'un calme lourd retomba autour d'eux.
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